REPORTAGE A NOSY IRANJA
Nosy Iranja, au sud-ouest de Nosy Be à Madagascar, avec sa grande plage peu fréquentée, accueille une quantité impressionnante de tortues venues y pondre. On y trouve deux espèces : les tortues vertes et les imbriquées. Sur place, deux guides indépendants, financés par le tourisme, s’occupent chaque jour de consigner les données sur leurs carnets.
A peine émergées du sable, les minuscules tortues se hissent sur la plage. Il est 9h30 mais la chaleur est déjà écrasante. Instinctivement, elles se dirigent en direction de la mer, avec des mouvements de nageoires frénétiques. Le sable chaud est balayé par les bourrasques de vent.
C’est le guide qui a creusé pour faire sortir les bébés tortues. Les premières ont émergé seules, pendant la nuit et ont déjà rejoint la mer. Chaque nid peut compter entre 100 et 190 œufs. La présence humaine permet d’éloigner les prédateurs comme les oiseaux, les crabes de sable, les souris ou encore les chats. Ce n’est que le début de l’aventure pour elles puisque seules 5 sur 1000 survivront. Parmi elles, les femelles seront en mesure de revenir sur cette plage pour y pondre à leur tour dans plusieurs années.
Tortues vertes et tortues imbriquées
Arthur, à la fois guide et protecteur de tortues, a repéré l’éclosion en cours pendant ses tours de garde, la nuit dernière. Il s’agit de tortues vertes, comme c’est écrit sur la pancarte en bois qu’il avait installée il y a quelques semaines. La plage est parcourue de petites pancartes en bois qui indiquent la présence de nids, la date de ponte et l’espèce à laquelle appartient la tortue. A la nuit tombée, Arthur fait seul le tour de l’îlot, relié à Nosy Iranja par un banc de sable d’un kilomètre, et note soigneusement ce qu’il observe sur son carnet. « Cette nuit, il y avait cinq tortues en train de pondre », raconte-t-il en menant les touristes sur la piste des bébés tortues. Il se passe entre 45 et 70 jours entre le moment de la ponte et l’éclosion, en fonction de l’emplacement et de la température.
Le contraste avec La Réunion est saisissant. Alors qu’à La Réunion nous avons le centre Kelonia, ses équipes et ses spécialistes, deux plages de ponte et seulement deux tortues qui s’y rendent, à Nosy Iranja ils sont deux à travailler pour la protection des tortues de manière totalement indépendante. C’est le tourisme qui aujourd’hui rémunère leur activité quotidienne, depuis que l’hôtel qui les employait a été désafecté en 2018.
Augmentation de la population de tortues
Nous traversons un jardin abandonné, dont les allées disparaissent dans la forêt. L’ambiance est étrange. Les bungalows de luxe qui coûtaient autrefois 600 euros la nuité sont mangés par la végétation. Les trois associés de l’hôtel — parmi lesquels un Réunionnais — ont arrêté toute activité en raison de conflits entre eux. Depuis, l’hôtel est en vente. Sur un pan de mur de l’ancien accueil de l’ Iranja Resort, une affiche délavée provenant du centre réunionnais de protection des tortures, Kelonia, indique comment reconnaître les différentes espèces de tortues.
Sur l’île, on en trouve deux : les tortues vertes et les tortues imbriquées. Les premières pondent toute l’année quand les tortues imbriquées préfèrent les mois de novembre à fin mars. Bien sûr le braconnage existe, il suffit de s’éloigner des plages fréquentées pour s’en rendre compte. Les tortues — notamment les imbriquées, plus vulnérables — sont chassées pour la viande ou la carapace. L’augmentation de la population montre toutefois que le phénomène est en diminution.
Ignace, le prédécésseur d’Arthur, a été formé à La Réunion par le personnel de Kelonia. Depuis la fermeture de l’hôtel, il a trouvé du travail ailleurs. Il continue néanmoins de transmettre les données récoltées par Arthur et son collègue, Jean-Louis, en échange d’une modique somme versée à La Réunion par le Centre d’étude et de découverte des tortues marines (le CEDTM qui englobe le centre Kelonia).
Aire marine protégée
La dernière fois que des équipes réunionnaises se sont rendues sur place, c’était en 2021, juste après la période covid. « C’était compliqué, on est parti en bateau, avec nous il y avait des gens de l’aire marine protégée », se souvient Claire Jean, chargée d’études scientifiques à Kelonia. Nosy Iranja fait partie d’une aire marine protégée, baptisée Ankivonjy, avec Nosy Ankazoberavina et une partie de la côte. Elle est co-gérée par l’ONG Wildlife Conservation Society (WCS) et un comité local composé de villageois.
Lorsqu’ils bénéficient de programmes financés par l’Europe comme le fonds Interreg, les équipes du CEDTM se rendent dans d’autres pays de la zone pour faire des études et approfondir leurs connaissances des populations de tortues. Comme ils l’ont fait dans l’aire marine Ankivonjy, ils placent des balises sur les femelles pour observer les déplacements entre les sites de ponte et les sites d’alimentation. Ils réalisent également des biopsies, des analyses génétiques. Cela leur permet d’identifier les populations de tortues et les sous-populations et de les suivre de façon distincte.
« Les moyens de l’Etat sont tellement faibles »
« Mais il y a toujours des trous entre ces projets et il est difficile de maintenir ces actions sans ces financements et ainsi de suivre ce qu’il se passe sur le terrain », reconnaît Stéphane Ciccione. Il est prévu de retourner à Nosy Iranja. Mais la date n’est pas encore connue, les subventions ne sont pas encore attribuées. « En dehors de ça, il y a les privés, poursuit le directeur de Kelonia. Là, c’est surtout des moyens de surveillance qu’ils mettent en place, mais sur la partie connaissances ce n’est pas leur job. Sur Madagascar, les moyens de l’Etat sont tellement faibles et pas toujours utilisés à bon escient. Donc quand il y a des opérateurs comme ça — il faut qu’ils soient un peu honnêtes dans leur démarche et ne cherchent pas uniquement le green washing — c’est plutôt favorable. A Nosy Iranja, l’hôtel a participé au financement de l’école, il a payé le salaire de l’instit, il avait une réelle démarche sociale et environnementale. »
Cela ne permet tout de même pas de contourner les autorités malgaches à qui il faut demander des autorisations. « Ce n’est pas toujours facile, regrette Stéphane Ciccione. Il faut dire qu’on représente l’ancienne puissance coloniale, on est toujours sur les îles Éparses revendiquées par Madagascar et puis certains se disent certainement qu’en traînant un peu, il y aura peut-être moyen de récupérer des bakchichs. »
Jéromine Santo-Gammaire
Dessin : Pierre Pongerard