case en paille à Mafate

[Mafate] Et puis la tôle a fait son apparition

KAZ AN PAY • CASES EN PAILLES — ÉPISODE 3

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail… » Sociologue, Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il propose aujourd’hui de partager avec les lecteurs de Parallèle Sud. Il nous ouvre ses cahiers et ses albums photos des jours et des nuits qu’il a passés auprès des habitants du cirque de Mafate. L’enquête se déroule durant la première décennie du 21ème siècle (2005-2007). Certains témoins ont disparu ou ont changé. Mais l’essentiel demeure.

Le voyage sera long, il s’agit cette semaine du troisième épisode. Partons avec Arnold Jaccoud à la découverte de « la réalité restituée et ressuscitée de ce que fut la vie dans Mafate et, plus généralement, dans les Hauts ». 

Parallèle Sud

Il est de plus en plus rare de voir une kaz an pay à Mafate. On peut suivre l’itinéraire de l’étude, commanditée par le CCEE en 2005 et réalisée par l’AREP : 

« la kaz an pay té bon mé sé la pay lavé pu. An plis kan la tol larivé, ben le moun la kité plant létivèr, la abandoné lé payot » ; « Isi i ginyré fé ankor ti kaz an pay. Mé le problème sé le zétivèr na pu! le moun la abandoné. mé lé dézolé dire la abandoné zétivèr pou la tol ; ou vwa si lavé le drwa fé d-kaz an dur isi, noré déja kit la tol pou d-béton!! ».

case en paille à Mafate
Tondil (Théodule O.) devant sa case en 2005

Certaines personnes en possèdent toujours, souvent en guise de cuisine, plus rarement pour l’habitation principale.

Ce savoir-faire tend à disparaître, et aujourd’hui rares sont les jeunes à savoir coudre le vétiver pour recouvrir le toit de ce type de kaz : 

« na ankor dé zan zot ki koné fé la kaz an pay » ; « Koméla fo planté, mé si lé zèn la tomb dosi zot i fé manz kabri dosi !! Amwin minm mwin na ankor inn ti kaz. Mi trouv fodré remèt in pé bann ti kaz la, serès pou touris ! » ; « Nou noré refé nout kuizine an pay, mé na pu ! kisa i koup, kisa i très !? si in marmay i vé aprann li pa dir !! na in fason fé sa prop, koméla zèn i koné pi, zot pi la ansanm sa (…).Ou vwa isi la, dizon tout bann zèn i koné pi tousa. Ou rakont bana i kalkil aou mantèr, zot i krwa pa ou !! ».

Le choix de ce mode de construction révèle la capacité de plusieurs générations de Mafatais à s’adapter au mieux à leur environnement naturel, adaptation harmonieuse déterminée par le choix des matériaux mais aussi très efficace, puisque beaucoup de gramouns nous ont dit que la kaz an pay présente plusieurs avantages par rapport à la kaz an tol :

 « La kaz an pay lé utile pou lé dé koté : la chaleur, et l’hiver ! an plis arivé cyclone la pwinn brwi, vi antan pa le van kom dan la tol. Ou lé trankil !! » ; « La kaz an pay, si ou vé byin, té bon parapor lo brwi » ; « koméla ifé kaz antol, mé li pa byin labri pou cyclone. 

Or ti kaz an pay lo van i pran pa dodan ! kan la ariv Dina, na kèk moun lantanié la nu protèz azot dann monn ti kaz an pay diran cyclone ! Nou la mèt in li par la, lot koma, nou la aranz in manièr, é nou la pas cyclone dann monn ti kaz an pay…é la tenu ! Lontan cyclone Jenny, sa té for!! Lo van la souflé omwin trwasan kilométrèr (…) Ou vwa lo van, sa té konm loraz, té fé dézord parey, si! Té défèy out kaz konm la ni! (…) Bin la pa arasé, ni déféyé bann kaz lontan té fé an pay ( …) Dié li lé bon, li lé zis, li fé pa in nafèr amwatié. Sa cyclone la té pa pou tir anou isi, mé té in leson… pa tout domoun na lidé konstrwi si in fondasyon solid ! Fo ke vi rod le sinn la tèr… fo pa rod in sol lé tann ! Ou gard lé zèn zordi fé la kaz, ben mi di aou, fo pa cyclone konm danntan la pasé ! ».

Sur la longévité de la vie des kaz an pay, plusieurs dizaines d’années ne sont pas une exception !

Aujourd’hui ce savoir-faire n’est plus transmis, hormis chez quelques jeunes Mafatais (ils sont rares, mais il en reste) qui ont voulu reprendre l’héritage de cette culture. 

Aussi ce sont principalement les gramouns qui gardent, la connaissance de ce savoir-faire architectural traditionnel :

 « Lontan golèt té mélanzé, lavé soka, kadèr, bwa doliv, kalimé (…) Piké té an bwa doliv…ptèt in zour ma rekouv mon kaz ek la pay. Ma tire la tol, piké lé ankor bon…in zour ma fé » ; « Dann tan ti kaz an pay vétivèr, té falé sanz la pay toulézan (…) mé pou la kuizine vétiver té tyin pli lontan solman, parapor la fimé i konsèrv ali mié (…) la ou tébon pou omwin kinzan parla ».

case en paille Mafate
« Une cour de Be Cabot (Salazie) » en 1980 • Photo extraite de l’ étude ethnologique menée par Claude Vogel – Centre univ. de La Réunion •

La tisanerie, l’agriculture, l’architecture sont notamment des expressions très marquantes du rapport d’appropriation des Mafatais à leur espace environnant et à la culture que cette relation leur a permis de construire. Mais même ainsi, cette présentation du patrimoine culturel mafatais demeure incomplète et n’est pas satisfaisante. Il faut nécessairement la rattacher à une dimension beaucoup plus globale : on peut alors dire qu’à partir de ce rapport à la terre très particulier, les Mafatais ont développé un art de vivre qui constitue le cœur du patrimoine culturel des habitants de Mafate.

De fait, l’étude des cases en paille ou celle du temps passé ne se suffit absolument pas d’une approche de type technique. Elle conduit à considérer l’ensemble de la socioculture, des modes de vie ainsi que l’inscription dans un environnement humain, social et économique particulier.

Il convient de le rappeler : ce que nous appelons aujourd’hui la « culture » ou le patrimoine culturel et que nous mettons en valeur comme « art de vivre » n’est en fait que le fruit de la contrainte redoutable imposée à l’homme par la nature, pour sa survie même. À l’ingéniosité humaine puissamment sollicitée, créatrice de savoir-faire techniques adaptés au milieu, sont venues s’ajouter de solides doses de courage et d’obstination. À ce qu’il me semble, ce rapport à l’environnement est souvent dépourvu de poésie. Ses dimensions pragmatiques, donc économiques dominent. 

Le patrimoine ne subsiste ici que pour des raisons économiques. Sa sauvegarde ne peut se traiter véritablement que dans la reconnaissance de cette logique…

L’évolution des pratiques sociales, des productions agricoles, du recours aux plantes, de l’architecture des constructions, de la fabrication et de l’usage des ustensiles et objets mobiliers, de l’utilisation des matériaux naturels environnants a progressivement accompagné l’amélioration du niveau de vie, aussi bien que les modernisations techniques.

Nous sommes dans l’ordre de l’utilitaire. Pour simplifier, lorsque la tôle se fait moins chère, plus facile à acquérir et plus durable que la paille, on abandonne peu à peu la culture du vétiver. Tant que la faiblesse de son revenu familial l’y oblige, le moun Mafate persistera à planter la pay, en dépit du lourd travail que représente cette culture. Il n’a pas le choix. Les motifs affectifs qui le lient à ses ancêtres semblent parfaitement subordonnés à ses intérêts matériels. On peut le regretter, mais il faut d’abord le comprendre. Le patrimoine ne subsiste ici que pour des raisons économiques. Sa sauvegarde ne peut se traiter véritablement que dans la reconnaissance de cette logique…

case à Mafate Jaccoud

« Dans la cuisine de Bernard Bègue, le doyen de Mafate »

Des réflexions datant de 2007

L’économie touristique semble être promise à un avenir radieux à Mafate comme sur plusieurs micro-territoires de La Réunion. Qu’on l’applaudisse ou qu’on le déplore. Si la sauvegarde des kaz an pay est intégrée à un programme touristique intelligent, apportant une « valeur ajoutée » et garantissant un apport substantiel à ses initiateurs, elles seront à nouveau construites, des jeunes hériteront des savoir faire ancestraux et on re-déploiera la plantation du vétiver.

On peut estimer en tout cas que cette perspective constitue potentiellement un secteur de travail et d’amélioration matérielle pour ceux qui ne bénéficient d’aucune façon jusqu’à maintenant des revenus du tourisme.

Le rapport à la terre et aux productions agricoles et animales fait également partie de ces questions fondamentales. Le rapport à la terre est totalement subordonné aux besoins alimentaires. Qui va gratter la terre sans nécessité ? Qui va vendre en dehors du cirque son grain ou ses légumes ? Sans marché intérieur, il n’y a plus de production autre que vivrière. Pour l’heure, l’hélicoptère a résolu une bonne partie du problème alimentaire, au grand dam des défenseurs de la tradition ou de la nature et de certains touristes … Pour changer la situation, les structures touristiques, premiers consommateurs du cirque devraient réapprendre à s’approvisionner chez les producteurs locaux. Utopie ?

Le contexte de modernisation accélérée dans laquelle les modes de vie mafatais sont engagés conduit à tenir compte de deux facteurs supplémentaires qui influencent la problématique de la sauvegarde des cultures anciennes :

• D’abord, le patrimoine envisagé est personnel, familial et fait l’objet d’un usage quasi quotidien. On entre dans la sphère privée actuelle, pas dans l’historique ou le collectif. Sur Roche Plate, une interlocutrice demande en février 2007 s’il est exact qu’avec la création du Parc National, « on sera obligé de faire entrer les gens chez soi » ?

• Secondement, de multiples objets culturels et patrimoniaux qui intéressent les chercheurs et les aménageurs touristiques renvoient à l’époque de la misère et de la dévalorisante précarité, à laquelle ont tenté d’échapper de toutes leurs forces les habitants des îlets. Et c’est cela que nous ne pouvons pas leur présenter aujourd’hui comme attrayant : constructions et ustensiles, pratiques de vie, savoir faire artisanaux, productions et modes alimentaires. Faudrait-il qu’ils demeurent les arriérés de la Réunion ?

Face à cette cruelle et tenace réalité, seule la perspective d’un accroissement du revenu pour tous que promet le développement touristique peut étayer le discours sensibilisateur et conscientisant.

Qu’en est-il quinze ans plus tard ?

Arnold Jaccoud

La case du Noir

P. de Monforand – Album de l’Ile la Réunion

« …Chaque établissement de sucrerie se divise, par suite, en trois parties distinctes : la maison du Maître, ou Grande -Case, les bâtiments d’exploitation, enfin le Camp des engagés. C’est de cette dernière seulement que nous voulons nous occuper aujourd’hui : pénétrons y donc, sans plus tarder, et nous trouverons probablement à faire quelques études intéressantes. Le Camp se compose le plus souvent d’une large rue, des deux côtés de laquelle s’alignent à peu près régulièrement les cases construites en torchis ou même en paille, et recouvertes de vétiver. Elles ont de trois à quatre mètres carrés ; .cependant, il y en a toujours quelques une d’une longueur triple ou quadruple, occupées en commun par plusieurs célibataires, race nombreuse dans les bandes d’engagés, où les femmes ne sont guère admises que dans la proportion d’un dixième.

Si l’atelier est considérable, d’autres rues transversales coupent la première et enfin on trouve en s’éloignant du centre quelques maisonnette isolées : ce sont le plus souvent celles des ménages créoles qui, pour se soustraire aux inconvénients de la communauté, se sont retirés sur les limites de l’enceinte, position dont ils profitent pour cultiver un petit jardin et élever quelques animaux qu’ils logent autour d’eux. Somme toute, le camp, sur une habitation bien tenue, n’offre à la vue rien de désagréable ; des arbres, des bananiers touffus, souvent un ruisseau qui traverse, les tiges de différents légumes se suspendant aux perches des toitures, donnent à cette réunion de cabanes une apparence assez riante, et qui ne rappelle en rien l’aspect misérable de certains hameaux dans les campagnes de France. Le mobilier de chaque logement varie suivant l’ordre ou le goût de celui qui l’occupe : les uns, regardant le luxe et le confort comme superflu, se contentent d’une natte en paille, vulgairement nommée saisie, sur laquelle ils dorment à terre, et d’une marmite unique, servant, à la fois, à cuire le riz et à le manger.

D’autres ont un rudiment de ménage : un coffre, un cadre (1) garni d’une paillasse, un tabouret en bois. Enfin, il y a des cases qui représentent un véritable petit appartement : le lit se cache derrière un rideau, la table a ses vases à fleurs et sa glace dorée ; une armoire, des chaises, quelques images encadrées, une batterie de cuisine suffisante, prouvent que les travailleurs auxquels elle est échue en partage, sentent le charme d’un intérieur propre et coquet. »… 

1) Cadre en bois à peine dégrossi porté sur des pieds courts et dont le fonds est formé de cordes entrecroisées

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