Kour de Paul Mélade Ravine Grand-Mère

[Mafate] La kour de Paul Mélade à la ravine Grand-Mère

KAZ AN PAY • CASES EN PAILLES — ÉPISODE 6

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Sociologue, Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud depuis quelques semaines. Pour ce 6e épisode, il nous amène chez Paul Mélade à ravine Grand-Mère. La rencontre a eu lieu en 2007. Partons avec lui à la découverte de « la réalité restituée et ressuscitée de ce que fut la vie dans Mafate et, plus généralement, dans les Hauts ». 

Extrait de « Sentié krazé – Mafate l’autre histoire » Arnold Jaccoud – L’Eclipse du Temps – éd. – 2015

« … Après le captage, la marche se fait plus lourde en remontant dans la gorge de la ravine des Orangers, pleine de galets qui roulent sous le pied. Des touristes qui marchaient dans la même direction m’avaient rejoint au bas de la passe et me dépassèrent bientôt. Je les sentais nettement mieux entraînés que moi, plus musclés. Je les enviais. En arrivant sur la hauteur, où je parvins après mille efforts, je me souvins de cette impression dont parle Jacques Lougnon, dans ses articles intitulés « Quinze années d’actualités locales », que j’ai redécouverte en rédigeant ce récit : « C’est précisément à l’extrémité ouest au-dessus des sources, que se trouve le plateau où sont regroupées les cases. Il est malheureusement en fer à cheval, tout à fait évidé en son centre, et comme le sentier passe justement dans cette excavation, le randonneur ne se doute pas de ce double plateau entre les branches duquel il émerge… ».

En surgissant de cette « bouche », les pieds d’orangers qu’il découvrait ça et là indiquaient au visiteur qu’il était arrivé. Les habitations m’avaient toujours parues dispersées. La végétation était dense, en dépit de cette pénurie d’eau chronique, caractéristique de l’îlet, que l’Ecopark n’avait visiblement pas résolue. Tiens, tiens ! Goutali ! Sans m’arrêter, je redescendis par les lacets qui me menaient vers la ravine Grand’mère. Il n’y avait plus qu’à remonter en direction du Ti Col, en prenant garde de ne pas rater l’entrée de la propriété qui abritait ma Linou. Là encore je croisai deux groupes de robustes marcheurs qui me considérèrent avec une curiosité insistante.

Cette région, aujourd’hui à peu près déserte, a été fortement habitée dans le temps. Le manque d’eau, les difficultés de la culture, la politique de regroupement menée par les Eaux et Forêts, puis par l’ONF, ont eu raison de la ténacité des occupants. Linou m’attendait à l’entrée du sentier…

Ravine grand mère mafate
La ravine Grand-Mère vue depuis les Orangers.

… Paul se consacre à maintenir les traditions et les modes de vie anciens. Il doit bien être un des derniers à le faire volontairement. Sans faire de vagues, sans revendication médiatique. Ou bien peut-être ne dispose-t-il tout simplement d’aucun des moyens financiers qu’exigerait la moindre modernisation. Il répare et bricole selon ses possibilités. Il y a plus de trente ans, des architectes métropolitains ont dressé le plan de cette propriété, demeurée pratiquement identique : Ensemble du site, avec sa cuisine abritée, sa cuisine de plein air, ses chambres et ses pièces diverses, les treilles raisin… On y retrouve même des ruches, les plus anciennes de Mafate, et de la Réunion sans doute, les authentiques bombardes – Bois de bombarde ou de tambour – Tambourissa elliptica – dans lesquelles les mouches à miel se réfugiaient naturellement… Et Paul, qui décortique le café avec un petit moulin maïs. Il enroule autour du pivot une rondelle de plusieurs épaisseurs de goni pour ne pas écraser les grains. Il les grille avec soin, les broie au moulin à manivelle. Il en confectionne un breuvage délicieux et réparateur. Parfois la récolte de café est insuffisante. Il broie alors simultanément, après les avoir grillées avec son café, des graines d’indigo, ce cassia occidentalis qui pousse partout et qu’on appelle au Sénégal Café-nègre. Surprenant et invraisemblable ! Il m’assure qu’en Europe, on ne fait pas mieux avec la racine de chicorée. Et il ne se prive pas un seul instant de trancher de fines lamelles dans une de ses carottes de tabac péi, pour se confectionner ses cigarettes roulées dans les feuilles de maïs les plus délicates… »

La concession acquise par Paul MELADE était occupée par défunt Honoré LOUISE, « gramoun de miel », jusqu’à son décès en mars 2006, à l’âge de 75 ans. Elle est située formellement dans le secteur des Orangers-les-Hauts, en fait sur le sentier de la Ravine Grand-Mère, à mi-chemin entre les Orangers et la Brèche (le Petit col), à proximité du cimetière des Orangers. Cette région, aujourd’hui à peu près déserte, était fortement habitée dans le temps. Le manque d’eau, les difficultés de la culture ont eu raison de la ténacité des habitants.

Ravine Grand mère Mafate

On se trouve bien, ici, dans un espace de vie isolé, dont l’accès est placé sous la protection d’une Notre-Dame dans sa touchante fragilité, et dont l’habitant a appris à se suffire largement à lui-même. Il serait exagéré de parler d’autarcie, bien qu’on en trouve des signes partiels : Végétaux alimentaires, bananes, raisins, miel, café, tabac, volailles…

On connaît le plan de cette concession, dressé en 1983 par l’atelier d’architecture Gounaud et Piérart, pour le compte de l’ONF. Il est demeuré pratiquement identique en 2007. Les emplacements n’ont pas varié : cuisine abritée, cuisine de plein air, chambres et pièces diverses, poulailler, treilles raisin…

  • Ravine Grand Mère Mafate
  • Ravine Grand Mère Mafate

• La kour

Cette propriété a été achetée en 2006 aux descendants directs de défunt Honoré LOUISE, « gramoun de miel ». L’origine de l’ensemble des constructions est située au milieu du 20ème siècle. Les constructions ont bien sûr évolué au cours des 50 dernières années. Et partout la paille a été remplacée par la tôle. Mais pour le reste, la manière de vivre, bien peu de choses ont changé.

  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade
  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade
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  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade
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  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade
  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade
  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade

À la périphérie de la kour, on trouve des ruches, les plus anciennes de Mafate (et probablement de La Réunion), que les anciens appelaient les bombardes, et dans lesquelles les mouches à miel se réfugiaient naturellement… Ici, les mouches à miel rôdent dans le pierrier. Une approche permet de comprendre. Il faut chercher un peu. Il est truffé de morceaux de troncs enfouis : Ce sont les bombardes

  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade
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  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade
  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade
  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade
  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade
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C’est Honoré LOUISE qui a installé et entretenu ces ruches. Les ruches – bombardes sont devenues extrêmement rares à Mafate, tout autant que les pieds de bois qui ont servi à leur fabrication. On continue cependant à désigner sous le vocable de bombarde n’importe quelle caisse à « mouches », même informe… 

Aussi appelé bois de tambour, de son nom savant Tambourissa elliptica, le bois de bombarde est un arbre endémique de l’île de la Réunion, appartenant à la famille des monimiacées. On trouve également cette essence et ses cousines, comme le quadrifida, à Maurice ou à Madagascar. Assez commun dans les forêts de bois de Couleurs des Hauts (Sentier d’interprétation des Sources de Bras Cabot), il n’est (apparemment) pas rare d’en trouver dans des forêts plus basses, mais humides telles que la Forêt de Mare Longue. Il est très facilement reconnaissable à l’aide de ses fleurs et de ses fruits (naissant directement sur le tronc ou les rameaux)

  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade
  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade
  • Mafate Ravine Grand Mère chez Paul Mélade

Le tronc des vieux individus, arrondi grisâtre et fissuré, contient une moelle et se creuse avec l’âge. Occupé « naturellement » par les essaims d’abeilles, il se transformait jadis en ruches rustiques, localement appelées tout simplement “bombardes”. Ça leur est resté !

Arnold Jaccoud

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