Mafate vannerie

[Mafate] La vannerie, un art de vivre en voie de disparition

EPISODE 43 – ATELIER DE VANNERIE À ILET À BOURSE

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Le sociologue Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud. Dans le 43e épisode, il parle du patrimoine culturel des habitants du cirque.

Atelier de vannerie – mai 2006 – Îlet à Bourse. Organisé sous l’experte direction de Geneviève Planchat-Bravais, l’animatrice APR de Mafate

Ce chapitre entend simplement porter un témoignage. On touche ici à l’aspect particulier, même restreint, d’un art de vivre tout entier des habitants du cirque et qui constitue leur patrimoine culturel. Mais il faut bien en convenir, il est en voie de totale disparition.

La vannerie appartient au patrimoine culturel des sociétés paysannes, ce que randonneurs et touristes considèrent avec cette admiration un peu condescendante et protectrice qu’ont les représentants des civilisations dites avancées, à l’égard des pratiques de vie et des objets en voie d’effacement…

On peut considérer qu’elle représente le dernier artisanat encore « relativement » exercé dans le cirque. Tissage ou tressage, cette pratique de vieille tradition est condamnée au risque d’une disparition progressive totale, dans la mesure où la transmission du savoir-faire n’a pu se produire, face aux déferlements de la modernité qui, en améliorant fort normalement leur niveau de vie, a éloigné les Mafatais d’une part importante de leur patrimoine. La plupart des objets exogènes manufacturés, considérés comme plus résistants, plus durables ou plus pratiques, ont contribué à l’extinction de tout ce qui renvoyait constamment à la précarité et à la misère de l’existence dans les Hauts.

De fait la pratique de la vannerie a quasiment disparu à Mafate. Exclue de la socio culture du quotidien qui en nécessitait l’usage indispensable, elle est appelée aujourd’hui à ne produire que des objets relevant du folklore et de l’économie touristique.

En 2006, si quelques femmes connaissent encore le tressage des capelines, la confection des bertels en vacoa n’est plus exercée que par Philippe Tiburce, l’ancien d’îlet Moutou, qui n’a plus la force d’en tisser… Et seul Michel Cernot fabrique encore des vans en éclisse de bambou. Quant aux vouves, plus personne ne connaît vraiment ici cet art d’une précision particulière. On pourrait bien sûr ajouter à ce bref inventaire la fabrication d’instruments de musiques traditionnels, qui demeurent eux, plus populaires.

Dans ce contexte marqué par une dépréciation structurelle des modes de vie « anciens », le lancement à l’Îlet à Bourse d’un week-end d’atelier de vannerie, même ponctuel, répondait à plusieurs préoccupations complémentaires. J’en ai consigné ici les plus immédiatement évidentes :

• Bien que se présentant sous la forme de signes plutôt discrets d’un art de vivre difficile, dont, par conséquent, le mérite est exemplaire à plus d’un titre, cet atelier collectif renvoie à l’époque où dominaient la solidarité et l’entraide entre les habitants, ainsi que le respect des valeurs familiales et la mémoire du vécu des anciens.

• Il favorise la mise en valeur de la connaissance d’un savoir-faire traditionnel en voie de disparition. Et par là-même la sauvegarde et si possible la préservation de la « mémoire vivante » du cirque. • Pour l’un des promoteurs d’Ilet à Bourse qui entend se vouer au développement de l’artisanat, il veut trouver dans cet atelier un lieu d’expérimentation de nouvelles techniques (pour lui !). Cette initiation doit favoriser un précieux travail d’apprentissage, lui permettant de réenvisager le petit artisanat traditionnel en tant que production et diversification d’activités promises à une commercialisation, même restreinte.

• En revanche, pour beaucoup d’anciens, l’atelier est un signe, plus ou moins conscient et explicite, d’opposition au dénigrement de leurs connaissances empiriques, de leurs savoir-faire et de leurs traditions par les autorités publiques et la majorité des intervenants des bas, qui ont déjà effacé de leurs projets toute référence au vécu qu’eux-mêmes « vié moun » incarnent encore, tant bien que mal… À leurs yeux, et à ceux de plusieurs jeunes également, Il y va de la préservation de l’identité mafataise qui, alors qu’on n’en avait pas le choix, s’appuyait sur l’art, en site enclavé, de fabriquer des objets usuels avec ce que la nature offre sur place.

Animé par des vié moun provenant de plusieurs îlets, qui tressent des capelines en nik chiendent, agapanthe, létiver ou zerb rouges… et par ceux qui tissent des vann’, des corbeilles et des bertel en vacoa ou en bambou, l’atelier réunit une population de tous âges, souvent en famille, mais surtout des jeunes qui ont envie d’apprendre les gestes du « tan lontan »,

Il n’est pas indifférent de savoir que les trois jours d’atelier se déroulent « dans » la salle verte, confectionnée selon leur tradition par les habitants, en décembre 2005 à l’intention de la rencontre de travail du Comité Mafate. Amarré aux poteaux de bois ou de bambou, le matériau des parois, c’est du choka ou kader – Furcraea foetida, de la famille des agaves.

On commence par le tissage du vacoa – Les bertel –

Juste quelques images…

Sous le regard attentif des participants, Jacqueline la formatrice engagée pour la réussite de l’atelier prépare les feuilles de vacoa qui avaient été coupées sur la plante. Il faut leur enlever les épines et les fendre en longues bandes mises ensuite à sécher.

Résultat : le bertel est un sac à dos plat, donc à bretelles, tressé en fibres de vacoa. Dans les campagnes, dans tan lontan, on le chargeait de tous les produits possibles, fruits, légumes, objets… On pouvait même voir des coupeurs de canne qui y rangeaient et y transportaient leur sabre. En 2006 déjà, on n’en voit plus beaucoup…

Il en va de même pour le tressage des capelines…

Précision : la capeline, c’est un chapeau pour dame, porté comme protection légère et efficace contre le soleil. Elle faisait partie, à l’époque, du vêtement féminin de tous les groupes sociaux et en toute situation.

Elle est tressée avec des tiges séchées de plantes recueillies dans l’environnement. On en trouve en vétiver, en agapanthe / lys, en z’herb rouge (probablement l’armoise avec ses tiges de couleur rouge sang), en paille chouchou… À l’îlet Cernot à La Nouvelle, Antoinette Cernot tresse avec des « nik chiendent », sans doute un Sporolobus africanus (Poaceae), avec des feuilles engainantes, des fleurs sur un très long épi, des tiges solides et de petites graines vert foncé. Dans notre atelier de Bourse, c’est le vétiver qui a été choisi.

Comme pour toutes les actions en matière de vannerie, il faut commencer par trier les fibres et procéder à leur préparation en les assouplissant au couteau pour éviter les cassures lors du tressage.

Reste à débriefer et analyser notre action !

Du débriefing qui a suivi ces journées, j’extrais quelques observations, en laissant de côté les questions d’organisation technique, de budget, d’information et de temps collectifs hors atelier, sans intérêt dans ce recueil.

• L’expérience artisanale des granmoun ne suffit pas (ou plus) à garantir la possibilité d’une transmission aux jeunes générations. Mauvaise santé, incapacité physique, impossibilité de se déplacer, difficultés d’ordre « pédagogique », etc., justifient, paradoxalement, le recours à des compétences extérieures. On peut même imaginer la constitution et la stabilisation d’une équipe « Arts et Techniques du Patrimoine » qui saurait respecter la délicate combinaison de l’endogène et de l’exogène.

• Un inventaire des artisanats susceptibles d’être développés dans des ateliers patrimoniaux similaires devrait être systématisé. Il doit nécessairement s’appuyer sur l’utilisation de matériaux locaux.

• À la suite de ce premier test, l’équipe d’intervention envisage que ces ateliers, au travers de la rencontre des « moun Mafate » dans une action commune, puissent servir d’amorce à un projet territorial et communautaire dans les îlets moins fréquantés.

• Les deux perspectives qui se présentent en 2006 sont :

a) de mener un ou deux ateliers vannerie (capelines, bertel’s, vann’s) sur d’autres îlets éloignés les uns des autres, avec des formateurs ou formatrices extérieurs nécessaires.

b) de développer le projet d’un atelier de fabrication d’instruments de musique traditionnels sur Bourse, avec des matériaux locaux (bambous), couplé éventuellement avec un atelier de chant, et s’achevant par une soirée kabar préparée permettant l’utilisation de la production. Moniteurs extérieurs indispensables.

Je considère personnellement qu’il est indispensable de renoncer à une vision idyllique et idéalisée du patrimoine dit « culturel », ou de ce que nous considérons comme tel. Répondant à l’origine comme unique ressource vouée à la survie des populations, il correspondait à un mode de vie, à une culture globale. On n’en repère aujourd’hui que des vestiges fragmentés que l’on ne peut (hélas… ?) que réorienter vers une destination économique moderne : la vente aux randonneurs et aux touristes de produits dont on aura soigné la qualité !

Arnold Jaccoud

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud