Ilet à Malheur et La Plaque depuis Aurère. (Photo Ysabelle Gomez)

[Mafate] Le chemin de croix du moine

CONFLIT A LA PLAQUE

Pour accéder au petit îlet de La Plaque dans le cirque de Mafate, il faut emprunter le sentier scout. On admire la magnifique vue plongeante du Bord et on descend dans la brume. A l’embranchement, suivre la direction d’Aurère. Les premières maisons de l’îlet se trouvent de part et d’autre du GR, avant l’îlet à Malheur. 2h30 de marche pour y accéder à un rythme tranquille. Les filaos, le son des oiseaux, la nature revitalisent le corps. Difficile d’imaginer que le paysage soit le théâtre d’un huis clos qui dégénère de mois en mois. Après les menaces de mort, en février 2022, des coups de feu ont mené son auteur en prison pour quelques mois. A l’abri des regards, derrière les grillages, la scène voit s’opposer les habitants, un homme qu’on appelle « le moine » et l’ONF.

Cela fait des semaines qu’il n’a pas plu. Les réserves d’eau s’amenuisent, les installations demeurent résolument sèches. Alain Hoareau n’a plus d’eau sur son terrain depuis près de trois ans, quand le reste de l’îlet arrose abondamment ses plantations. Il n’a pas non plus d’électricité, s’éclaire le soir à la bougie. Il nous accueille, marchant avec difficulté sur les feuilles de bambous, prenant appui sur sa canne. L’homme que les Mafatais surnomment « le moine » a eu un AVC il y a quelques années.

D’Ermite à élu

C’est une personnalité atypique, un érudit en quelques sortes. Né en Algérie de parents Réunionnais, il a beaucoup voyagé dans son enfance, vécu en France et en Inde, a étudié la théologie, avant de revenir s’installer sur l’île vers la vingtaine. C’est à ce moment qu’il décide de devenir ermite et de vivre en pleine nature à Mafate. Il passera 17 ans, tantôt assis dans une grotte, tantôt reclus dans la prière sur des terrains, légèrement vêtu, engagé dans une quête spirituelle. « J’avais une vraie vocation », résume-t-il aujourd’hui âgé de 64 ans.

Alain Hoareau dit le Moine, un habitant de Mafate, est en conflit avec l'ONF, il n'a plus d'eau depuis trois ans. (Photo Ysabelle Gomez)
Alain Hoareau dit le Moine, un habitant de Mafate, est en conflit avec l’ONF, il n’a plus d’eau depuis trois ans. (Photo Ysabelle Gomez)

« J’ai fait deux erreurs », lâche-t-il. « Celle de croire que le dénuement pouvait sauver, alors que si on prend ce précepte au pied de la lettre, on peut plutôt en mourir. Et celle de me jeter ensuite dans la miséricorde parce que je n’ai jamais eu de vocation dans le social, je n’ai jamais voulu être guérisseur. » A la fin de son ermitage, Alain Hoareau établi à la Plaque devient « le moine ». Les habitants se tournent vers lui pour obtenir conseils et soins. Il bénéficie d’une certaine aura qui fera peur à l’église. « Les gens se détournaient du prêtre et venaient me consulter. »

Chiens d’attaque

Pour se ranger, éviter les polémiques, il ouvre en 1998 un gîte et un camping sur son terrain, profitant de la politique et de généreuses subventions qui encouragent alors le développement des hauts. Il devient aussi élu à la mairie de la Possession, développe des associations pour les intérêts des Mafatais, ouvre une bibliothèque de livres ésotériques. Son gîte cartonne. Il rencontre sa conjointe avec laquelle il aura deux fils, sous un arbre, sur le terrain.

Mais la quête d’absolu se heurte avec violence à l’âpreté parfois des relations humaines. La richesse des expériences passées contrastent avec l’enfermement et l’isolement que le sexagénaire connait à l’heure actuelle. Protégé par deux chiens d’attaque et une barricade de bambous construite pour l’occasion. Sa famille est retournée sur la côte. Comment la situation a-t-elle pu dégénérer à ce point ?

Un voisin tire des coups de fusil

En février 2022, un voisin tire des coups de fusil. L’huissière que le sexagénaire a fait venir des bas se cache terrorisée et disparait dans la nature pendant deux heures. « Les gendarmes ont dit qu’il avait tiré en l’air mais il nous a visé », s’exclame Alain Hoareau, encore marqué à l’évocation des souvenirs. L’auteur des tirs est condamné à 12 mois de prison dont 8 avec sursis avec mise à l’épreuve pendant deux ans. Il a interdiction d’entrer en contact avec la victime et l’obligation de suivre des soins. L’événement intervient alors que la situation s’est lentement et sûrement envenimée pendant des mois.

  • A l'îlet de la Plaque, à Mafate, chez Alain Hoareau, tout est mis en place pour récupérer la moindre goutte d'eau et il ne pleut pas. (Photo Ysabelle Gomez)
  • Un système de récupération d'eau de pluie a été installé un peu partout ainsi que des cuves, qui sont les seules ressources en eau pour la concession. (Photo Ysabelle Gomez)
  • M. Hoareau n'a plus d'eau depuis 3 ans. Les tuyaux de la canalisation coupée ont été jetés par-dessus la clôture. (Photo Ysabelle Gomez)
  • En face de l'entrée de M. Hoareau, l'eau coule en abondance. (Photo Ysabelle Gomez)
  • La vaisselle est faite avec des bonbonnes d'eau. M. Hoareau, 64 ans, a survécu à un AVC qui lui a laissé de lourdes séquelles. (Photo Ysabelle Gomez)
  • La vaisselle est faite avec des bonbonnes d'eau. M. Hoareau, 64 ans, a survécu à un AVC qui lui a laissé de lourdes séquelles. (Photo Ysabelle Gomez)

Autrefois, il allait marcher, explorer les pitons et les forets avec certains de ses voisins. Aujourd’hui, il craint de les voir pénétrer une nouvelle fois sur son terrain. Incapable dit-il de se défendre vu sa condition. Mais la bête noire d’Alain Hoareau est avant tout l’Office national des forêts, responsable à ses yeux de l’ensemble de ses difficultés.

La bête noire : l’ONF

« Tout a commencé il y a environ trois ans », raconte-t-il. Après l’AVC en 2014, sa longue hospitalisation et le départ des enfants pour le collège, il a les plus grandes difficultés à maintenir son activité touristique. Il recherche quelqu’un pour l’aider, un homme se présente. Il lui propose de s’installer sur la parcelle du camping, au milieu de son terrain, en tente. Ils décident ensemble d’acter la décision auprès de l’ONF. Mais l’homme en question plutôt que d’apporter son aide construit sa propre maison et s’implante ainsi. Alain Hoareau indique avoir découvert un an plus tard que l’ONF lui avait octroyé une concession sans lui demander son autorisation et sans lui envoyer le document.

La version de l’ONF est le négatif de la photo des événements décrite par le moine. « C’est M. Hoareau qui nous a demandé d’accorder une concession à M. V. », répond Sylvain Léonard, le directeur de l’ONF. « Et pour être aimable avec lui on a accédé à sa demande, alors qu’il avançait ses problèmes de santé. Apparemment, vu le caractère de M. Hoareau, rapidement ça a coincé entre eux, et il s’est retourné contre l’ONF. » Pour l’administration, c’est le moine qui aurait construit la maison du nouvel arrivant sans permis de construire, argument que conteste fermement l’intéressé, outré du revirement de situation.

« On n’est pas en état de guerre »

Petit à petit, les habitants instrumentalisés et l’ONF rognent sur son terrain, assure Alain Hoareau sans ciller. Le sexagénaire extirpe les documents de sa mallette. « Ils ont anticipé. En 2018, l’ONF m’a fait signer un document sur lequel ils m’ont retiré une parcelle. Je n’avais pas vu. Aujourd’hui, ils sont en train de prendre cette parcelle. Le garde forestier refuse ma demande de délimitation. En janvier 2022, il ne réagit pas quand les autres habitants se mettent à défricher devant lui et à installer un grillage. » Le garde forestier aurait alors agrandi à la peinture orange le terrain de M. V. en prenant ses bananiers.

Il poursuit son récit. « Ma femme leur a dit d’arrêter, un gars lui a balancé une pierre au visage devant le garde. Une demie heure plus tard un bout de bois lui éclate la gueule. » Un événement qui l’a traumatisée, indique-t-il. « Ce n’est pas comme ça qu’on agit avec les gens, on n’est pas en état de guerre. » Quelques jours plus tard, accompagné de deux amis à forte carrure, il fait venir un huissier en hélicoptère pour effectuer les constats. C’est là que le fusil est sorti par un voisin.

Résiliation de concession

Pour les intrusions, les dégradations, les menaces de mort, les incendies, le harcèlement et les violences, M. Hoareau assure avoir déposé des plaintes. « Mais les gendarmes ne m’écoutent plus », affirme-t-il, « j’ai écrit au procureur ».

Un mois après, sa femme reçoit une lettre de résiliation de ses concessions. Une décision incompréhensible aux yeux de l’ancien ermite. « Mme D. avait deux concessions : une concession agricole et une concession habitation principale », indique le directeur de l’ONF. « Cette dernière était attribuée le temps qu’elle construise. On a besoin de faire des réserves foncières pour reloger les habitants de Mafate qui sont en zone aléa élevé. Avant, ça ne posait pas de problème mais aujourd’hui ça devient sensible depuis qu’on voit qu’on ne peut construire qu’en aléa faible. C’était des terrains que Mme D. et M. Hoareau avaient ensemble. Constatant qu’au bout d’un certain nombre d’années elle n’habitait toujours pas dessus, on s’est aperçu qu’ils faisaient de la spéculation, de la réserve foncière. On a alors fait qu’appliquer les clauses du contrat qui figurent dans le corps de la convention d’occupation temporaire. »

  • L'ONF a demandé à Alain Hoareau de retirer la nouvelle clôture trop haute qu'il a construite pour se protéger. (Photo Ysabelle Gomez)
  • L'homme qui était venu aider M. Hoareau dispose désormais d'une concession en plein milieu de son terrain. (Photo Ysabelle Gomez)
  • L'ONF a demandé à Alain Hoareau de retirer la nouvelle clôture trop haute qu'il a construite pour se protéger. (Photo Ysabelle Gomez)
  • Alain Hoareau, habitant de la Plaque à Mafate, a deux malinois pour se protéger. (Photo Ysabelle Gomez)
  • Les plans du terrain fournis par l'ONF. (Photo Ysabelle Gomez)

Sentier botanique sans eau

En juin 2022, après l’aggravation du contexte, Alain Hoareau se met à construire une barrière de près de trois mètres de haut, afin de se protéger. Un mois plus tard, le garde forestier lui demande de réduire la taille de la clôture. Il reçoit alors une mise en demeure de remettre en état au risque de perdre la concession de son sentier botanique. Le moine se sent acculé, il est sur tous les fronts.

« Un sentier botanique sans eau, ça n’a pas de sens ! » s’exclame-t-il. « Des plantes endémiques sont en train de crever! » Alain Hoareau indique avoir mis en œuvre toutes les démarches qu’il pouvait pour rétablir la desserte en eau. La coupure met un terme à toute ambition de relance du gîte. « Une fois qu’ils coupent mon eau, ils veulent ma mort. La situation est absurde, on peut discuter non? On est des personnes. Les gendarmes ne viennent plus. » Les canalisations sont jetées dans son jardin. Il pointe du doigt l’ONF qui n’a jamais renouvelé sa concession d’eau et ce sans raison.

« On a proposé une solution »

« C’est complètement faux, ce sont ses voisins qui ont coupé sa canalisation d’eau qui traverse leur terrain », oppose Sylvain Léonard. « Ca a eu lieu avant le renouvellement de la concession. Si on renouvelle en l’état il n’aura pas d’eau car ses voisins vont la couper, on lui a proposé une solution. On a proposé de refaire la concession pour qu’elle passe le long de son terrain à lui. » Alain Hoareau indique à son tour qu’au moment de la coupure il entretenait encore de bonnes relations avec le voisinage qui lui avait au contraire fait un raccord pour qu’il ait de l’eau le temps du renouvellement du contrat.

De part et d’autre, l’ONF comme le moine, indiquent se sentir harcelés et accusent l’autre de mensonge.

« J’ai dû subir beaucoup d’épreuves pour arriver jusqu’ici, ce n’est pas demain la veille qu’un directeur de l’ONF va me faire partir d’ici. Je veux transmettre cette terre à mes enfants qui y sont nés. Je suis face à une administration qui peut te mettre dehors, alors que tu as construit ta vie, ton jardin, ta famille. On peut t’enlever tout et te dire de partir. »

Texte : Jéromine Santo-Gammaire

Photos : Ysabelle Gomez

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.