[Mafate] Les 32 composants de la tisane « tanbav caro » de Joachim Louise

EPISODE 34 – TISANE

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Le sociologue Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud. Pour ce 34e épisode, on passe d’objets insolites des semaines précédentes aux remèdes traditionnels.

Lo tanbav – (tambave carreau) pour résumer, c’est la gastro-entérite des enfants. Le vocable semble provenir du malgache tanbavy : « maladie des jeunes enfants » (littéralement « qui vient de la mère »). Les deux termes « tanbav » et « carreau » sont littéralement synonymes.

Le terme désigne donc les troubles gastro-intestinaux de la première enfance qui seraient provoqués par la non expulsion de tout ou d’une partie du méconium (excrément accumulé dans les intestins du fœtus des mammifères durant leur gestation et qui constitue les premières selles du nouveau-né, pendant les premiers jours qui suivent la naissance), puis par l’absorption de mauvais lait par le bébé, que ce soit le lait de la mère ou le lait de vache…

Le médecin anthropologue Jean Benoist précise que sous ce nom (tanbav – tambave) sont rassemblées diverses formes de pathologies intestinales des nourrissons et des très jeunes enfants, dont le diagnostic est fait par les mères à partir de signes très divers : diarrhées, douleurs abdominales, empâtements de la paroi abdominale, voire certaines formes de constipation. Dans le temps, ce syndrome était familier aux mères réunionnaises. Il convenait d’expulser, par une tisane appropriée, la matière qui perturbait le fonctionnement normal du tube digestif.

La purification par l’ingestion de tisanes, outre son aspect symbolique, est coutumière de la médecine empirique. Elle permet de minimiser les facteurs de risques face à des affections dont l’origine médicale réelle est de fait méconnue. Outre la non absorption de remède préventif, deux causes associées de cette maladie infantile peuvent être attribuées, l’une à une origine physique (comme le refroidisman ou l’oppresseman), l’autre à une explication sociale, à un mauvais sort ou à des pratiques de sorcellerie. Depuis la départementalisation, avec l’arrivée de l’Aide Sociale, de la Sécurité Sociale, de la PMI et des laits maternisés, des farines et des aliments en petits pots, dans les Bas en tout cas, la plupart des mères ont oublié la maladie du tanbav et ne connaissent même plus son nom.

Pour une connaissance anthropologique approfondie de cette pathologie, il convient de se référer à : Tanbav, sens et étiologie d’une maladie infantile à l’île de La Réunion  – Article de Laurence Pourchez, paru en 1999 dans Sciences Sociales et Santé • Volume 17, n°3, pp. 5-27

Pourquoi 32 ingrédients ? Joachim est un homme étonnant et toujours perfectionniste… mais ça ne dit rien directement de cette konplikasion (composition) qui s’éloigne de « la règle de trois » traditionnelle. Découvrez la liste ! Et bien évidemment, rien non plus ne garantit la non toxicité de l’ensemble…

Il n’est évidemment pas question de recommander à quiconque la konplikasion de la tisane tambave effectuée par Joachim LOUISE. Si lui le sait, je n’ai jamais eu pour ma part la moindre idée de l’efficacité ou de la toxicité des plantes dont il a dressé la liste.

Je suis tombé plus tard sur une étude qui peut apporter quelques informations sur ce point.

Intitulée « Administration de tisanes aux bébés allaités en société créole  », elle a été réalisée par Valérie Huet, dans le cadre de la formation 2008 – 2010 « Pratique du consultant IBCLC ((International Board Certified Lactation Consultant)) et préparation à l’examen international IBLCE ». Travail réalisé sous l’égide du Centre de Recherche, d’Évaluation et de Formation à l’Allaitement Maternel (CREFAM).

Son mémoire mérite qu’on s’y attarde. On le trouve sur Internet sur le site du CREFAM.

Valérie Huet a travaillé avec une vingtaine de mamans réunionnaises qui administraient des tisanes à leurs enfants, tisanes extrêmement composites et personnelles, sans doute issues des savoirs hérités.

Les conclusions que tire Valérie Huet de son travail sont plutôt instructives :

6.10) – Conclusions sur les plantes utilisées pour les tisanes citées par les mères.

Hormis les trois plantes, anis doux, fleur d’orange et safran, qui sont sans toxicité pour un usage modéré, toutes les autres plantes sont à risque à dose élevée, voire à risque quelle que soit la dose. Certaines sont allergisantes.

D’autre part, il est courant d’utiliser le beurre de cacao et le jaune d’œuf dans la composition des tisanes. 10;11 . Une mère a déclaré inclure ces deux ingrédients dans la tisane donnée à son enfant. L’introduction d’aliments solides avant l’âge de 4 mois n’est actuellement pas recommandée et les tisanes peuvent présenter un risque allergique supplémentaire lié aux additifs.

Dans mon étude, ajoute l’auteure, donner une tisane à un nourrisson était conseillé dans 12 cas sur 19 par les grands-mères du bébé, dans 4 cas par les arrière-grands-mères du bébé, et dans les 3 autres cas par les grands-tantes du bébé. La tisane était le plus souvent préparée par la grand-mère ou l’arrière-grand-mère de l’enfant.

Bien entendu, cette étude a été réalisée dans une clinique en ville de Saint-Denis. Et Valérie Huet, nullement surprise du fait que la médecine est souvent aux prises avec les traditions ancestrales, l’achève en dressant des perspectives de formation et d’accompagnement qui pourraient bien ne pas être inutiles !

Arnold Jaccoud

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud