[Mafate] Les origines et l’histoire

EPISODE 38 – Histoire de Mafate les eaux

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Le sociologue Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud. Dans le 38e épisode, il parle de Mafate les eaux ces origines et son histoire.

Mafate vient du nom d’un marron (peut-être Maffack) esclave de la Compagnie des Indes, chef et sorcier, retranché dans le cirque au bord de la rivière des Galets, près de sources sulfureuses au-dessous du piton du Bronchard. Mentionnée par le Dr Ozoux en 1922, ainsi que d’autres auteurs par la suite, selon la tradition qui s’est répandue, une double signification de ce patronyme pourrait être « qui sent mauvais, qui pue… » ou « dangereux… qui tue » (cf. infra Charlotte Rabesahla, Albany et dico. Lacpatia… et alii)

En 1751, les chasseurs de marrons de François Mussard[1] en route pour Cilaos, tuèrent le chef Mafack au fond de la rivière des Galets, quasiment par hasard. Mussard a laissé dans l’histoire réunionnaise la réputation d’un efficace protecteur de la colonie, dangereusement menacée par le marronnage.

Le « chef sorcier des  eaux puantes » (pour satisfaire la légende et l’anecdote…) laissa son nom au village thermal qui s’édifia par la suite sur le site. Plus tard le « Cirque de la Rivière des Galets » fut appelé « Cirque de Mafatte » écrit parfois avec deux « t » ou Maffate avec d’eux « f »… L’histoire des « Thermes de Mafate les eaux » débute en 1854, année où le Gouverneur de la colonie, Hubert Delisle, reçoit du Pharmacien Delavaux un rapport sur son expédition à Mafate et au Bras d’Oussy[2], avec les analyses de l’eau de la source thermale sulfureuse (31°, 900 l /heure) située dans le lit de la rivière à 682 m. d’altitude.

• Charlotte RABESAHALA, chargée de cours de civilisation malgache à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’université de la Réunion, département des Langues, cultures et sociétés de l’Océan indien. Il y a une tradition vivace de l’existence d’un sorcier, disons « guérisseur » appelé ainsi, Mafate. Nom que d’aucuns développent en une périphrase, le « sorcier-des-eaux-puantes ». Les eaux en question, constituant une des sources de la Rivière des Galets, ont des vertus curatives comme Ran mafaque, figurant actuellement sur lescartes en tant que « source sulfureuse »[3]. Ran de rano‘[4], ne pose aucun problème : eau. Deuxinterprétations possibles et complémentaires de « mafaque » sont envisageables : mafaoka, « eauâpre ou mahafaka « qui libère, qui guérit ». Les deux sont d’ailleurs complémentaires dans lecas présent puisque les eaux sulfureuses guérissent.Nous avons une interprétation cohérente quicampe le personnage d’un guérisseur marron qui utilise les ressources naturelles dont il dispose,certainement les plantes aussi. Aux yeux des profanes, surtout des Blancs, ennemis meurtriers desMarrons, il est un sorcier, ce qui ne peut que le protéger encore davantage.

En revanche une difficulté surgit quand un chef marron répertorié sous le nom de Maffa qui a vécu sur le domaine présumé de Mafate est l’objet d’un rapport de détachement faisant état de sa capture et de sa mort. Personnage unique ou deux différents ? En tout cas le lieu lié aux faits est le même. Le problème auquel on se heurte très souvent dans ce type d’étude est de prendre en compte les variations orthographiques dues à la transcription française du nom malgache.

Les sources de la rivière des Galets,

repérées depuis le sentier descendant de la Forêt de tamarins en direction de Marla

Des témoignages et des écrits

• M. Louis Simonin – VOYAGE A L’ILE DE LA REUNION • ÎLE BOURBON 1861

En remontant la rivière des Galets, on arrive à des sites non moins grandioses et non moins imposants que celui du Bernica. C’est en cet endroit, au-delà du Brûlé de Saint-Paul, que se trouvent les eaux sulfureuses de Mafatte. Elles ont été découvertes, il y a quelques années, par un habitant de ce quartier, M. Troussaille fils, hardi chasseur et l’un des plus infatigables passe-ors de remparts de la colonie. Le chemin pour arriver à la source sulfureuse où l’on a établi des bains est encore bien accidenté, et il y a plus d’une échelle à franchir.

• Conférences et études du Dr Louis OZOUX – Ouvrage édité à Port-Louis – Ile Maurice – 1938

Mafatte – 4 octobre 1922 :

p. 249 : Que signifie le mot « Mafat »? Il est évidemment malgache, et veut dire « qui pue » ou « qui tue »; cette appellation viendrait au Cirque de ses eaux sulfureuses qui « male olent »; mais il y a aussi ce fait que « Mafat » est un marron célèbre qui a été tué dans la région des sources, par François Mussard.

Vers 1718, le Cirque s’appelait « Fond de St-Paul » et, vers1807, la propriété de Savannah s’étendait jusque dans le fond du Cirque.

p. 31 : Mafatte mot malgache voulant dire : qui tue ; c’est un pays d’éboulis ; il faut passer nombre de fois le torrent qui subît des crues soudaines et violentes.

pp. 36 – 37 : Le Cap Noir est enfin tourné ; nous sommes près du K.20 à 682 mètres d’altitude, sur la rive droite, à la source de Mafatte ; Mafatte « qui pue » dit aussi le mot malgache.

Déjà en 1862 cette source était utilisée par de nombreux malades ; mais ne se trouvant qu’à deux mètres au-dessus du lit du torrent, était submergée dans les gros temps ; (la gorge à
son niveau est si étroite, qu’une seule grosse pierre la remplit presque tout entière) ; elle sortait d’une fente oblique du
basalte, et son débit était de 14 litres à la minute ; sa température de 30° environ.


Vers 1907, elle se trouve captée dans un travail de maçonnerie d‘où part un canal en zinc qui emporte l’eau à l’établissement thermal, celui-ci est composé de trois ou quatre petites cabines bâties en plein lit, à une trentaine de mètres au-dessous et qu’on enlève à la mauvaise saison; l’eau a toujours30°. À cette époque[5], le gros morne en pain de sucre décapité du Bronchard, qui s’élève sur la berge gauche, un peu en aval, laisse tomber une de ses faces : il se produit un barrage ; l’eau de la rivière monte, forme un vaste lac ; le courant n’est plus assez puissant pour entraîner roches ni sable vers la mer ; pierres et graviers s’amoncellent et enlisent la source. Celle-ci était l’âme du villay et situé tout à côté, et composé des villas Milhet, de Lapérière, Paul Robert, Desjardins, Laprade, Tarra, Bidel, Troussail, de Mazérieux, Murat, Léon Ver, du poste forestier, de cases, de l’établissement et de l’église. L’eau du bassin, en s’élevant, atteint bientôt les maisons; et l’on en voit de soulevées, flotter, s’en aller à la dérive, s’effondrer, disparaître; les autres malmenées par les éboulis, non entretenues, pillées ou emportées à Roche Plate s’évanouissent peu à peu ; seule l’Église, gardant ses biens curiaux, vaisselle, bibliothèque, ornements, respectée de tous et de la nature, est encore intacte aujourd’hui.

Les éboulis, pour être de moindre importance que celui du Bronchard, sont fréquents en cette région ; vers 1905 une famille amie se rend aux eaux, suivie d’un âne qui porte les bagages; le lendemain, au retour d’une petite excursion, elle trouve la malheureuse bête et son écurie aplaties par une avalanche : sans demander son reste, elle reprend la route de la Possession. Ce serait donc une folie de rebâtir à Mafatte. Nombre d’habitants du cirque connaissent la source ; on peut donc espérer la retrouver. En 1921, soit 14 ans après son ensablement, les Travaux Publics entreprennent de l’exhumer, mais en vain ; ils marquent sur le basalte, d’une large bande de céruse, son emplacement présumé ; sur cet emplacement même, passe aujourd’hui la rivière, qui y fait un petit bassin calme; nulle odeur d’acide sulfhydrique; mais sur le fond de la vasque, une boue visqueuse et jaunâtre; sous combien de sable et d’eau est enfouie la source ? Mystère ! Les travaux de déblaiement commenceront dès demain.

A cent mètres plus loin et hors des atteintes du torrent, une deuxième source sourd de dessous une large dalle sur laquelle écume une cascade ; le liquide que je recueille, en me laissant copieusement arroser, n’a que peu d‘odeur et peu de goût ; il est limpide, tiède (27°, abondant ; il semble que ce soit une eau sulfureuse excellente de boisson. Il en existe d’autres dans le cirque ; mais elles débouchent dans le lit même de la rivière, sont donc inexploitables ; celle du Bras-Rémy est également d`un accès difficile; pour la source dite « sucrée » elle n’est que fade.


Les eaux de Mafatte contiennent le soufre associé au sodium comme dans celles justement célèbres de Barèges et de Luchon : 0,0076 de sulfure de sodium par litre, plus du sulfate et du chlorure de sodium) et nombreuses sont, à la Réunion, les affections qui en sont justiciables ; manifestations cutanées et muqueuses de l’herpès et de l’arthritis, eczéma, asthme, bronchite et laryngite chroniques, suppuration des oreilles, hypertrophie ganglionnaire, tuberculose, rhumatisme, avarie, paludisme, convalescences ; c’était la source principale, qui jadis, était utilisé en bains aussi bien qu’à l’intérieur ; il n’est donc pas superflu d’insister sur son importance, certainement supérieure à celles de Hell-Bourg et de Cilaos.

Mafate : Louis Ozoux  

Poèmes réunionnais, 1939.

Mafate Cirque d’Enfer, que les déluges, la tempête

Ont modelé, chaos de mornes décharnés

Et d’abîme sans fond dont les flancs calcinés

Suent le soufre et Satan du pied jusques au faîte !

Cirque de Purgatoire, où les humains, les bêtes,

A l’exil, à la peur, à la faim condamnés,

Languissent, expiant le bonheur d’être nés

Sur un sol, sous un ciel aux incessantes fêtes !

Cirque de Paradis, où mon âme et mes yeux

Retrouvent un Eden, où les monts glorieux

Érigent dans l’air bleu leurs cimes immortelles !

O cirque, qui confonds le laid et la splendeur,

Pour toi seul, s’uniront, battant comme des ailes,

Éperdument, mon sang, mon esprit et mon cœur !

Louis Ozoux

Arnold JACCOUD

[1] C’est sous le gouvernorat de Jean Baptiste Bouvet de Lozier qu’est intensifiée la guerre aux Marrons. A toute personne qui capture vivant un Marron ou qui ramène la main gauche d’un Marron abattu, Bouvet de Lozier donne un esclave. Une telle mesure réactive le zèle d’une partie de la population et permet à François Mussard de donner la pleine mesure de ses capacités. De nombreux chefs marrons, dont Mafate (Mafack), Sarcemate, Laverdure… sont abattus lors des expéditions de François Mussard ce qui lui vaut comme récompense de Louis XV un fusil portant en lettres d’or

l’inscription : Donné par le Roy. (site de mi-aime-a-ou.com)

[2] Bras d’Oussy, c’est un vocable d’origine malgache, osy  signifiant « chèvre », selon Charlotte Rabesahla.

[3] Carte IGN n°4402 RT

[4] La disparition de la finale « o » est prévisible dans le processus de créolisation, car toute voyelle finale est faiblement prononcée en malgache.

[5] « L’époque » est véritablement indistincte… Elle varie selon l’ensemble des auteurs et chroniqueurs de 1907 à 1915…

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud