[Mafate] Les bardeaux de la maison Laclos et autres poissons rouges

EPISODE 37 – SITES REPUTÉS

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Le sociologue Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud. Dans le 37e épisode, il y parle de la maison Laclos et de la mare à Céré.

Lorsqu’au bout de leur randonnée, les touristes de l’avenir découvriront le gîte de Maison Laclos, avec ses bungalows répartis dans la prairie, ils seront pleins de reconnaissance à l’égard de Joël, digne représentant de la très belle famille Bègue de La Nouvelle. Ils n’auront peut-être pas les informations qui leur permettraient de remonter le temps et connaître l’histoire de la construction initiale dont ces bungalows ne sont après tout qu’un héritage architectural lointain. Je la propose très brièvement ici.

Appelée du nom de ses premiers propriétaires, la Maison Laclos a été entièrement érigée avec les pins maritimes qui poussaient naguère sur le plateau. Même si l’époque de son édification n’a jamais été précisée, elle semble avoir été la seule de son espèce et représente très certainement une des plus vieilles constructions traditionnelles du cirque. Selon les forestiers de l’ONF, toutes les pièces de bois ont été débitées sur place.

Elle était habitée jusqu’en 1980 par la famille de José Dugain de Marla. Et là encore est survenu le terrible cyclone Hyacinthe, au cours duquel la ravine Marla causa non loin de là de gros dégâts, en emportant les cases voisines [1]. Il fallut abandonner la place … et la maison. En 2005, Géraldine, une probable descendante de la famille constructrice, se souvient : « Je suis l’arrière petite fille des propriétaires de la maison Laclos : Fruteau de Laclos Léon et Elisabeth Marie Olivia. Je suis contente d’avoir vu ce site ! Mes arrières grands parents étaient les propriétaires de la maison Laclos qui n’existe plus aujourd’hui ».

[1] Le cyclone Hyacinthe a sévi les 18-24-27 janv. 1980, produisant 25 morts et des dégâts considérable, notamment sur le cirque de Salazie où avec des vents de 140 km/h, on a mesuré jusqu’à 5678 mm de pluies en 24 heures. à Grand Ilet, donc pratiquement aux portes de Marla / Maison Laclos.

Le chroniqueur du Premier colloque de Mafate, en mai 1983, note, lui, sur le sillage des éminents visiteurs missionnés : « … Avant de quitter le village (de Marla), sur le parcours, brève visite de la maison de passage des forestiers, de la chapelle et de la maison Laclos. Cette vieille habitation, la plus stylée du coin, entièrement construite en bardeaux et planches de tamarin, a dû être abandonnée après le passage du cyclone Hyacinthe, par la famille Dugain qui y résidait ». On m’a dit par la suite, qu’il se trompait en ce qui concernait le matériau d’origine…

Cependant, notre intérêt doit porter sur les bardeaux qui protégeaient les parois extérieures de la case. Extrait de Gounod et Piérart « Etude sur l’habitat traditionnel » – oct. 1983 – p. 23 :

La Maison Laclos en était recouverte :

Et là, une photo réalisée vers 1985, par Jean Philippe, l’impressionnant et inimitable photographe de Mafate.
Cf. « Vivre à Mafate lontan » hors du temps, au cœur de La Réunion…

À la suite de son abandon, la Maison Laclos, mise progressivement en très mauvais état, fut entièrement rénovée et aménagée après 1983 par l’ONF, pour servir de bivouac à l’intention des randonneurs, ainsi que l’atteste la magnifique photo de Jean Philippe.

Mais, sans gardien attitré, les déprédations furent loin de s’arrêter. La déforestation du lieu avait produit son effet dévastateur et on manquait apparemment de combustible pour les bivouacs !

Après avoir été à nouveau peu à peu détruite et brûlée par des visiteurs de passage indélicats, (cf. les photos de Jean-Pierre Colombain de la Maison de la Montagne en 2001), en 2008, la Maison Laclos a été reconstruite à l’identique par le propriétaire du gite récemment créé, selon les plans fournis par la Maison de la Montagne. En revanche, son emplacement a été modifié et rapproché des bungalows accueillant les touristes.

Les images suivantes présentent des extraits de ces plans dessinés par Xavier Petitzon du CAUE, dans la mesure où cette construction reflète bien une tradition architecturale authentique dans le cirque, quoiqu’entièrement disparue aujourd’hui…

Le plateau du Kelval

Les cartographes indiquant Kerval (toponymie à la mode bretonne K/… si fréquente à la Réunion en raison d’une portion de son peuplement éponyme), se trompent entièrement. Et avec eux, la quasi-totalité des touristes et des sites Internet qui leur emboîtent inconsciemment le pas !

Le courrier du chef de service des Eaux et Forêts au gouverneur de la colonie, daté du 8 avril 1915, ne laisse aucun doute : on parle du lieu-dit « KELVAL » ! Il convient surtout de se référer à Charlotte Rabesahala, anthropologue réunionnaise, du Département des Langues, des Civilisations et des Sociétés de l’Océan Indien à l’Université de La Réunion :

« Il s’agit bien de Kelval (et non de Kerval), du malgache kely et vala qui signifie petit enclos ».

De plus Catherine Lavaux elle-même dans son livre « Du battant des lames au sommet des montagnes », dès la 1ère édition parue en 1973, parle du plateau de Kelval où les gens venus de Grand Ilet s’installèrent au début du 20ème siècle pour faire de l’élevage de moutons ou de bovins.

Dans la mare du Kelval, on allait à la pêche aux monbruns ou cérés…

Les photos sont de Frédérique Maillot, fervente randonneuse et admiratrice hors pair du cirque.

Ces photos présentent le plateau qui sert toujours de pâturage pour des bovidés en liberté, avec en son centre la mare, alimentée par une source permanente et où nagent encore ces poissons que l’on nomme cérés… À l’horizon, du côté de Cilaos, les curieux doigts levés des trois Salazes, à l’est du Taïbit… et encore plus à l’est du Kelval, la majestueuse splendeur du Gros Morne.

Un intérêt particulier s’est imposé à ma réflexion, en relation avec les poissons que l’on trouve dans la mare. Leur nom (céré ou p’tit céré) me renvoyait à la mare des Cérés, située dans la forêt de tamarins sur le sentier de la descente en direction de Maison Laclos. Autre erreur, dans « l’inventaire des petites zones humides », comme sur les cartes, elle est orthographiée « mare des Serrés » sans que personne ne puisse en expliquer la signification. Il faut dire qu’il n’y a plus aucun poisson dans ce marais d’altitude.

J’ai appris entre-temps que Jean-Nicolas Céré (1738-1810), botaniste et agronome directeur du jardin de Pamplemousse en Ile de France (Mauritius), et collaborateur de Pierre Poivre, avait envoyé à l’île Bourbon (La Réunion) des poissons dont le nom scientifique est carassius auratus – (cyprin doré) Famille des Cyprinidés. Ils ont été adoptés sous le nom vernaculaire de Céré. C’est sans conteste celui de leur importateur. Il s’agit en fait du populaire poisson rouge !

Carassin doré

Le carassin, résistant

http://www.encyclopeche.com/ED-carassin-dore.htm

Nom scientifique : carassius auratus
Famille : Cyprinidés
Autres noms : Poisson rouge, Madame Céré, Monbrun, Carpe de Maillard – Anglais : Goldfish
Poids maximum : 1 kg

• Le Dict. étymologique des créoles français vient confirmer cette conjecture – Séré ou Céré

• Venant de Maurice aussi, il semble qu’une expression pourrait également renforcer l’interprétation évoquée ici :

« Bé sa Madame Céré-la, monn ékrir so non ‘Céré’, parey kouma botanis ‘Nicolas de Céré’, mé kitfwa li madame serrée, non ? Eski madam sa botanis-la (“née Marie Bernardine de la Roche du Ronzet”) ti ena enn défo dan so manyer kozé ?Selma ena enn lespes poison dilo dou — Carassius auratus — kinn apel « Dame Céré », ouswa « madam-sere » (Diksioner Morisien, p. 658), parski Nicolas Céré ti amenn li dan Moris (poison-la, pa so madam, ki ti net dan Moris dapré lord). Kapav langaz-la inn appel li Madam Céré akoz dimounn ki koz koumsa zot koz kouma enn goldfish ! »

Selon mon hypothèse, comme au Kelval, à l’époque, dans la mare de la forêt de tamarins, on pêchait des « cérés » !

Ma conclusion : les cartographes orthographiant « Mare des Serrés » sur la carte IGN se trompent ! Même si à La Réunion, l’orthographe des noms n’est jamais ni certaine ni stable ! Le P’TIT GLOSSAIRE – Piment des mots créoles de Jean Albany (1974) cite : « MONBRUN ou MONBRIN – Poisson d’eau douce. Variété de cyprin. On en trouve surtout dans les Cirques et les étangs. Se dit « cerré » ou « p’tit Céré » ».

Cela étant, il faut le répéter, avec sa mare et son pâturage, le plateau du Kelval est un espace fabuleux !

Arnold Jaccoud

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud