[Mafate] Enquête sur d’étonnantes pièces de fonte

EPISODE 31 – OBJETS LONTAN

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Le sociologue Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud. Pour ce 31e épisode, il mentionne à Aurère et à Îlet-à-Bourse quelques découvertes qui lui sont apparues originales dans un environnement marqué par une obsolescence extrêmement rapide : des pièces de fonte — une presse ou une meule ? — et des poids de balance datant du 18e siècle.

AURÈRE

Pièce de fonte • Axe de machine – Presse ou meule ?

Jacques Primet, fameux agent patrimonial de l’ONF à Aurère, déclarait que cette pièce imposante d’un mètre de longueur et qui pesait selon lui bien plus que 100 kg, était le dernier témoin de « l’usine » d’Aurère… Mais quelle usine, à quelle époque ? Sucrerie ? Ou plutôt distillerie, selon un courrier de Marie Kabouche, responsable de l’Inventaire d’Aquitaine, daté de juin 1992, adressé à l’anthropologue Emmanuel Souffrin, par l’intermédiaire de la Direction du patrimoine au ministère de la Culture et de la communication ? Il n’en savait trop rien…

Selon Jacques Primet, il s’agit probablement de l’axe d’une machine, presse ou meule… Il pensait que de toute manière, cette pièce était à mettre en relation avec le « somin luzine » à Aurère, toponyme attestant de la réalité lointaine de l’installation… C’est pour sauver ce vestige qu’il entreprit de le cimenter sur ce qu’on peut considérer comme la « place » de l’îlet.

J’ai fait reproduire le courrier manuscrit de Marie Kabouche qui permet de situer l’origine de cette pièce de fonte, sinon son usage.

• On trouve mention de l’usine Juhel-Renoy dans :

http://fonds-ancien.ensmp.fr/Archives/Images_et_PDF/PVCGMGeneral03.pdf

• à la p. 135 du registre n°17 du 7 juillet 1824 au 14 février 1825, on trouve (en date du) – 4 février 1825 :

5) Uzeste (com.) … Gironde, usine, transformer moulin à huile en Ht. F… Ht. F affinerie à deux fers, six fours à réverbère exclusivement à la houille… oppositions de concurrents (Juhel-Renoy, propriétaire Ht. F à Belin-Beliet (com. <$$ 143D1> Gironde>) (33730 UZESTE / LANGON) – (33830 BELIN-BELIET (Gironde)

Lithographie – Antoine Louis Roussin – Musée de Villèle.

ÎLET À BOURSE

Pois de balance du XVIIIe siècle

C’est sur la concession de Sylvio Thomas que se trouve un objet dont l’ancienneté paraît réellement étonnante ! Objet « historique » abandonné sous un tas de détritus, ce poids en fonte de fer, mesure 24,5 cm X 13 cm X 11,5 cm. Le fond est creusé, avec des additions de métal qui ont tendance à se détacher sous l’effet de la rouille.


En relief : Une fleur de lys sculpté, ainsi qu’une inscription : 50 et le logement pour un anneau de levage (Système de levage cassé, pas d’anneau…) Il s’agit sans doute de « livres ». On ne trouve plus aucune autre marque visible.

Ce poids appartenait au défunt Albert Atache, disparu en 1999 et de la case duquel Sylvio Thomas a « hérité », ainsi que des quelques objets qu’elle contenait. (Albert Atache avait été colon de M. Auguste Massinot, propriétaire de Bourse jusqu’en 1956). Le poids exact est à vérifier. Son approximation tient notamment des critères provinciaux de calculs sous l’ancien régime.

Selon Michel THOMAS, un des anciens d’Îlet à Bourse, ce poids servait à peser le maïs du moulin installé sur la rive gauche de la Grande Ravine, côté Bourse. Le moulin a disparu depuis longtemps. Dans la jeunesse de Michel, il restait encore quelques pièces (dont un volant), qui ont été jetées. Défunt Albert a rapporté chez lui cette pièce de fonte.

Interview de Michel THOMAS en avril 2007 :

« Be mwin mem mwin la vu a li an ba la ba. Mwin lete ankor marmaye. Mwin la vu a li an ba la ba, banna la tire. La amen dann fon. Defin Kalis la anmen dan fon la kaz. Apre la res dan le fon. Se lo gran volan, banna la met ater, la kraze… Volan te kom in volan d’bato la. Me ziska ler mwin la pi fe in kont ek sa. La kaz te a ti Paul. Te Eloi Robert. Me sa te ansien, te son papa lave kit la. Son papa appel ti Paul Robert. Lo garson te apel Eloi Robert. E mwin la vi son momon be la osi. Albert Atache, la aport sa la. Albert Atache la tir par an ba, la aport sa caz. I fe jadis, mwin lave wit an nef an. I fe dan le wit an nef an li le mort. 

Wi se in pwa d’balans a mon zide a mwin wi. Mwin la vu lo gran balans, defin papa la dir a mwin te in moulin… Te in moulin mayi, sa te i pez lo mayi avek. Apre mwin la pu fe in kont ek sa. Non te si lobor ranpar domoun la jete o fon. Dernierman lave ankor in bout an ba la ba. Apre te si lobor domoun la jete mem. »

« Te in moulin mayi, mwin mem mwin la pa vu. Mwin la vu lo volan, mwin la vu te kom in poto lo fer. Lo volan mwin la byin vu, … i res ke lo pwa… »

« Je l’ai vu de mes propres yeux là-bas en bas. J’étais encore enfant. Je l’ai vu là en bas, les gens l’avaient déplacé. Ils l’avaient jeté dans le fond. Défunt Calixte l’a emmené dans sa cour. Il est resté là. Y’avait le grand volant, les gens l’ont mis par terre et l’ont détruit. Le volant était comme un volant de bateau. Jusqu’à aujourd’hui je ne m’en suis plus occupé! La case était à Ti Paul. C’était Eloi Robert. Mais c’est vieux … son père était parti. Son papa s’appelait Ti Paul Robert. Le garçon c’était Eloi Robert. Et j’ai aussi connu sa maman. Albert Atache a transporté ça là. Albert Atache l’a apporté d’en bas, l’a transporté dans sa case…. 

Ça fait longtemps, moi j’avais huit ou neuf ans. Et ça fait huit ou neuf ans qu’il est mort.

Oui, c’est un poids de balance à mon idée à moi, oui… J’ai vu la grande balance, mon défunt papa disait que c’était un moulin… C’était un moulin à maïs et on pesait le maïs avec ça. Après je ne m’en suis plus soucié… Non, il était sur le bord du rempart, on l’a jeté au fond. Dernièrement, il y en avait encore un morceau en bas. Après, on a tout jeté. »

« C’était un moulin à maïs. Je ne l’ai pas vu moi-même. J’ai vu le volant, j’ai vu comme un poteau de fer. Le volant, je l’ai bien vu. Il ne reste que le poids… »


Une fois nettoyée, voilà l’aspect de cette relique.

La seconde information m’a été fournie sur Internet par la découverte du site d’un collectionneur de poids anciens. J’avais raison de voir dans cette pièce une fabrication datée d’avant la Révolution française. J’imaginais un témoin modeste de l’histoire du cirque. Si j’ai obtenu une réponse plausible à la question de savoir à quoi pouvait bien servir ce poids dont l’attache de l’anneau avait été cassée, l’information sur ses origines est venue de gumeas.hubert.neuf.fr/francais.html

Selon cette source, « Les poids marqués en livres sont des années 1700 – 1750 – 1800, d’avant le système métrique. Ils servaient à peser sur les bascules, peut-être les sacs de café. Le vôtre a perdu son anneau. Avez-vous regardé en dessous ? Si il y a des poinçons ? »

L’expérience de ce collectionneur permet de procéder à l’identification complète de la pièce : un poids en fonte de fer, qui mesure 24,5 cm X 13 cm X 11,5 cm. Le fond est creusé, avec des additions de métal qui ont tendance à se détacher sous l’effet de la rouille. Elle confirme qu’il s’agit bien de livres, mais qui, avant le système décimal des poids et mesures décrété en 1795, ne pèsent jamais 500 g. Sans autre marque visible, toute autre vérification s’avère problématique…

Comment a-t-il pu parvenir dans ce hameau perdu ? On pourrait penser qu’il a été amené à Mafate du temps de la concession Lemarchand (dès 1783, sur Aurère, Malheur et Bourse). J’en reste là !

Arnold Jaccoud

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud