L'association de femmes de Marodoka, Ravinala, à Madagascar

[Madagascar] A Marodoka, la renaissance des femmes et de leur village

REPORTAGE

Marodoka, première ville de Nosy Be, ancien comptoir commercial, transportant esclaves et marchandises, a depuis longtemps été mise de côté. Délaissée. Pour aider les femmes et les enfants du village, l’association de femmes Ravinala, créée en 2008, remet en valeur le patrimoine culturel et l’artisanat local. Elle redonne de la vie dans le village, raconte les histoires enfouies, renforce l’estime et l’indépendance de ces femmes seules.

La ville a été abandonnée pendant une vingtaine d’années. Un peu comme ces histoires lourdes du passé dont on ne sait plus trop quoi faire et qu’on préfère oublier. Là, pendant vingt ou vingt-cinq ans, il n’y avait littéralement plus de route, seulement des sentiers, et les habitants se rendaient à Hellville à pied pour leurs courses. Marodoka se trouve à 5 km de la capitale de Nosy Be, juste à côté de la réserve naturelle de Lokobé, au pied de la montagne verdoyante.

Entre 2002 et 2008, le gouvernement a finalement reconstruit une route afin de permettre de se rendre à Marodoka en voiture. En ce milieu de matinée de la fin du mois de mai, les rues en terre sont plutôt désertes. « Marodoka est la première ville de Nosy Be », explique Daël, le guide dont j’ai croisé la route. La ville a été construite au IXe siècle, à l’arrivée des Arabes. « De la rencontre entre ces commerçants arabes et les Africains de la côte orientale nait le monde swahili, un ensemble de populations côtières qui partagent une même langue et une même religion : l’islam », précise un panneau d’explication sur le bord du chemin. Les Indiens, venus du sud-ouest de l’Inde, arrivent, eux, au XVe siècle.

Boutiques en ruines

Nous passons devant une très ancienne bâtisse, maintenue debout par la force de l’énorme ficus qui s’est installé là. Les murs sont réalisés à base de coraux. Et puis, nous empruntons Lala Indy, littéralement « la rue des Indiens », en évitant les petites flaques qu’a formées l’averse de ce matin. A Nosy Be, la saison des pluies n’est pas encore véritablement terminée.

« Les Indiens étaient des marchands, mais toutes leurs boutiques sont tombées en ruines et n’existent plus aujourd’hui hormis celle-là, raconte Daël. Ils y débarquaient les marchandises et les esclaves. On dit qu’elle est hantée. »

  • Marodoka, première ville de Nosy Be
  • Marodoka, première ville de Nosy Be
  • Marodoka, première ville de Nosy Be
  • Marodoka, première ville de Nosy Be
  • Marodoka, première ville de Nosy Be
  • Marodoka, première ville de Nosy Be
  • Marodoka, première ville de Nosy Be
  • Marodoka, première ville de Nosy Be
  • Marodoka, première ville de Nosy Be

La petite ville de Marodoka a conservé les vestiges de ces peuplements comme le cimetière indien recouvert par la forêt ou encore les lieux de culte. La mosquée des Arabes a été construite en 1444, celle des Indiens a été détruite il y a quelques années. La mosquée swahilie bâtie tardivement et sans moyens demeure. Elle a été reconstruite et améliorée. « On l’appelle la mosquée rapide parce que les gens ont rapidement ce qu’ils demandent. » Des chaussures témoignent des présences à l’intérieur du bâtiment repeint d’un vert vif. Une femme tenant un petit garçon par la main, un sac plastique de l’autre, s’apprête à déposer une offrande.

Descendants swahilis

Marodoka était le premier port de Nosy Be. Les Français l’ont déménagé à Hellville après leur arrivée au XIXe siècle. Les Indiens, qui ont collaboré avec les Français, ont suivi et ont peu à peu quitté la ville. « Aujourd’hui, le village compte encore beaucoup de gens originaires des descendants swahilis », souligne Daël.

Le guide a participé à la création d’un circuit culturel pour revaloriser le patrimoine historique de la première ville de l’île. Le parcours a été reconnu officiellement par le gouvernement malgache en 2013 (ou 2009?). Pour cela, Daël a travaillé avec l’association de femmes, dénommée Ravinala.

Créée en 2008, l’association est installée au cœur du village, dans un bâtiment que les femmes de Marodoka ont elles-mêmes fabriqué de manière traditionnelle.

Elles sont une cinquantaine à s’y retrouver régulièrement. L’objectif : se rassembler pour s’entraider et mettre en commun leurs productions artisanales (boucles d’oreille, broderies…) afin d’accéder à davantage de débouchés. Elles réalisent aussi des animations dans des hôtels ou sur leur lieu, notamment pour présenter aux visiteurs de passage la richesse des danses que pratiquaient leurs grands-mères. Les danses témoignent des origines diverses dont sont issues ces femmes.

Piler le riz en chantant et en dansant

Aucune d’entre elles ne parle le français. Après la démonstration des danses, Daël s’improvise traducteur : « Elles disent qu’avant, il n’y avait pas de machine pour piler le riz. Les femmes se sont dit qu’elles allaient piler le riz ensemble, en chantant et en dansant, comme ça c’est plus agréable et ça va plus vite. C’est comme ça qu’est née cette danse. »

« C’est grâce à l’argent qu’on a gagné qu’on a construit cet endroit », précise Mariama, la présidente de Ravinala qui tient une gargote, un petit restaurant malgache, dans le centre-ville d’Hellville. Mariama, comme beaucoup de femmes, a dû élever ses enfants seule, sans conjoint. C’est ce qui l’a décidée à monter cette association. « L’objectif est d’aider les femmes et les enfants du village de Marodoka. De permettre aux femmes de gagner leur propre argent et de retrouver l’estime d’elles-mêmes. Je me suis beaucoup battue aux côtés de ces femmes. »

Eviter de tomber dans le tourisme sexuel

Le phénomène est très répandu sur l’île. « Avant, les femmes ne sortaient pas, elles s’occupaient juste des enfants, alors que les hommes, eux, faisaient ce qu’ils voulaient », raconte Mariama, attablée dans la salle principale de la gargote. « Elles ne savaient pas dire non. Bien trop souvent, les hommes ne s’intéressent pas aux enfants, tandis que la mère est toujours collée à eux et fait tout pour pouvoir payer l’école et les fournitures scolaires. Heureusement les mentalités commencent à évoluer. » Elle complète : « Les activités que nous menons permettent aussi bien sûr d’éviter que certaines ne tombent dans le tourisme sexuel. Les jeunes femmes ont des choses à penser et ça leur évite de chercher des hommes. »

L’association soutient les enfants en les aidant financièrement et matériellement dans leurs démarches pour poursuivre leurs études. En 2011, elle crée une association et une formation de jeunes guides dont Daël a été le président pendant deux ans. Le métier est plutôt valorisé ici et, dans cette région touristique, c’est un bon débouché pour les jeunes. C’était aussi l’occasion de parler autrement de Marodoka, dont l’histoire n’était pas toujours considérée par les guides extérieurs. L’association obtient des aides financières provenant de pays étrangers, dont le département français du Finistère.

Origine : Madagascar

Mariama a fait de la valorisation de la culture un centre d’intérêt majeur. Elle a participé à créer un Salon de la gastronomie à Nosy Be pour promouvoir et protéger la culture culinaire de tout le pays et faire des échanges avec d’autres cultures de la zone. Elle s’intéresse aux origines du salouva, le vêtement traditionnel porté également dans d’autres pays de la zone, comme dans l’archipel des Comores par exemple. De même, elle pense avoir identifié que la danse pour piler le riz, présente elle aussi dans différents pays, proviendrait de Madagascar avant d’avoir été reproduite ailleurs. « Cette danse est destinée à piler le riz, or à Madagascar, le riz constitue la base de la nourriture, ce qui n’est pas le cas ailleurs où l’on retrouve plutôt les bananes ou encore le manioc. Mais cette danse ne peut pas se faire avec leur base de nourriture. Aujourd’hui, c’est reconnu que cette danse provient d’ici », assure-t-elle.

Jéromine Santo-Gammaire

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.