[Matèr] «Les photos ont une incidence sur le monde»

Entretien avec Ysabelle Gomez, photographe engagée pour l’écologie


A l’occasion de l’événement Matèr du 29 juin prochain, Ysabelle Gomez photographe, présentera son projet Dig Dig: images et proverbes de la Réunion”. Photographier la beauté des paysages réunionnais pour sensibiliser à la protection de l’environnement, tel est le pari de la photographe d’origine réunionnaise.

Ysabelle Gomez, en voyage en Egypte, (photo Marie WLODY)

“J’aime la phrase qui dit qu’une image vaut plus que mille mots. Selon moi, si ton image est bonne, elle a une incidence sur le monde.” nous confie Ysabelle Gomez. Pour elle, la photographie est un moyen de transmettre des messages, et elle l’espère, des émotions basées sur l’espoir et la beauté du monde. 

En mars 2024, la photographe présente pour la première fois son travail “ DigDig, images et proverbes de la Réunion”, à la Galerie d’Art La Gare, à Saint-Pierre. DigDig signifie “Chatouilles” en créole et induit à sa prononciation un sourire sur les lèvres. Tout est réfléchi donc, pour Ysabelle Gomez qui a souhaité chatouiller les sens et la réflexion des visiteurs. Vendues en format cartes postales, le papier choisi réveille le toucher, la photo vient stimuler la vue, et le proverbe incite la réflexion à prendre part au voyage. 


Derrière la volonté de mettre en lumière la magie des paysages et du patrimoine de la Réunion, Ysabelle Gomez a à cœur de rendre hommage à la terre mère. “ Sans la terre, il n’y a rien, il n’y a pas de vie.” Et derrière un message fort, par souci de cohérence et d’engagement, la photographe a choisi d’imprimer ses photos à la Réunion avec une entreprise d’impression locale, et sous le label “ImprimVert”.

Photos issues du projet « DigDig Images et proverbes de la
Réunion » d’Ysabelle Gomez

«Positiver dans ce monde un peu fou»

Chaque photo est accompagnée d’un proverbe réunionnais minutieusement choisi “ Les proverbes en créole ont parfois cette dimension lourde, de part l’histoire de la Réunion. J’ai choisi des proverbes qui donnent un message d’espoir qui nous tire vers le haut”.

Cet élan d’optimisme s’inscrit dans l’engagement d’Ysabelle Gomez pour la cause écologique. Anciennement militante au sein de l’ONG Greenpeace, elle souhaite œuvrer avec positivité en se basant sur cette phrase qui lui vient son engagement pour l’organisation internationale “ Chez Greenpeace, on se disait jamais contre quelque chose, mais pour quelque chose”. Une vision qui, à ses yeux, sert l’engagement écologique, mais pas que. 

“Ce qui est important, c’est de se concentrer sur ce qui nous unie, pas ce qui nous divise. On le voit aujourd’hui avec la montée du Rassemblement National, qui joue sur la peur de l’autre, de l’inconnu plus généralement. Nous sommes inondés d’informations négatives au quotidien, via les médias, et en résulte de la bêtise. ”

«J’ai toujours rêvé d’être photographe de guerre»

Baignée dans l’univers de la photographie depuis petite, avec un père passionné par la photo et conférencier, Ysabelle Gomez prend des photos pour immortaliser ses souvenirs. Complimentée sur son talent de photographe, elle n’ose pas rêver d’en faire son métier. Après quatre ans de voyages, et une rencontre marquante avec un professionnel de la photo, elle décide d’entamer un CAP photographie en revenant vivre à la Réunion à ses 28 ans. Elle y restera finalement, après y avoir passé une partie de son enfance, en alternance avec la métropole. 

“Aujourd’hui, je fais de la photographie à tendance documentaire, c’est -à -dire que je tends à travailler des sujets sur du long terme, faire des recherches et proposer un travail journalistique via mes photos. On propose toujours une vision du monde avec la photographie, ça n’est jamais neutre.
Fascinée par la photographie de guerre, Ysabelle Gomez se voit dans les années 2000  toucher du doigt son rêve, envoyée alors en mission pour faire des photos à Gaza lors d’un voyage en Israël. La violence à laquelle elle se retrouve confrontée la bouleverse et marque un tournant dans son parcours de photographe. “J’ai énormément de respect pour les photographes de guerre, mais ce n’est pas pour moi. J’ai décidé de montrer la lumière dans ce monde ou on serait parfois tentés de croire que rien ne va”.

Un boitier, plusieurs sujets, un regard d’auteur

Aujourd’hui, Ysabelle Gomez fait sa part, comme elle aime le dire avec la métaphore du colibri. Pour elle, être photographe veut dire transmettre avec son œil d’auteur, une vision du monde. En 2017, elle dévoile sa facette de militante écologiste à travers son exposition intitulée “INSIDE, voyage au cœur de l’Esperanza, navire de la flotte de Greenpeace.” Engagée à bord pour une mission d’un mois en tant que commis de cuisine, elle fera finalement de cette expérience un travail photo-journalistique.

En 2023, Ysabelle Gomez rejoint une résidence artistique à Diego-Suarez situé à Madagascar, pour y photographier des guérisseurs. Un moyen pour elle de “soutenir subtilement les formes de médecines alternatives” nous confie-t-elle. 

Pour son prochain projet, Ysabelle Gomez continue de s’intéresser aux médecines douces,  avec les tisaneuses de la Réunion. Elle souhaite mettre en lumière les savoirs-faire de ces femmes qui soignent, et qui lègueront un héritage culturel qu’il faudra selon elle transmettre aux futures générations avant qu’il ne se perde. «On parle beaucoup des hommes, et moins souvent des femmes. J’ai à cœur de redonner aux femmes tisaneuses leur place, et de mettre en lumière ces remèdes naturels que je considère complémentaire à la médecine traditionnelle».

Pour réaliser ce projet, Ysabelle lance un appel aux femmes tisaneuses qui accepteraient de participer à ce projet. 

Photographie et devoir de mémoire

Prendre des photos a toujours été pour Ysabelle Gomez un moyen de garder des souvenirs. Des souvenirs de voyages, mais aussi des archives du monde dans lequel nous vivons à l’instant T.  

«Il faut savoir d’où l’on vient pour savoir ou l’on va. Avec mon prochain travail sur les tisanes par exemple, il va falloir que je fasse des recherches et que je retranscrive au mieux les savoirs de ces femmes, quant au choix des plantes, à la façon de couper la plante, à l’intention qu’elles mettent derrière cette préparation, etc..»  

Un savoir, bien loin de celui relayé par l’intelligence artificielle selon la photographe, qui déplore l’omniprésence actuelle de la technologie. “On est tous derrière nos écrans, on ne sais plus enregistrer une information, se repérer dans l’espace, compter ou même écrire.” Une situation qu’elle illustre avec la disparition de sa bosse de l’écrivaine, symbole du transhumanisme vers lequel nos sociétés se dirigent, aux yeux de la photo-journaliste.

Retrouvez le travail d’Ysabelle Gomez sur son site internet, ainsi que l’ensemble de ses offres de prestation. Contact: +262 692 98 10 18

Sarah Cortier

A propos de l'auteur

Sarah Cortier | Etudiante en journalisme

Issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique, Sarah souhaite désormais se former au métier de journaliste qui la fait rêver depuis toujours. Persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits et d’apporter de nouveaux regards sur le monde pour le faire évoluer, Sarah souhaite participer à ce travail journalistique engagé aux côtés de Parallèle Sud.

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