Le journalisme raconte le réel. (Photo JSG)

[Médias] Ce qu’est Parallèle Sud au milieu de la faillite de la presse

L’INFORMATION EST UN DROIT

Les journalistes sont déconsidérés, les médias sont en crise. Depuis trois ans Parallèle Sud bataille pour tracer un chemin balisé par les valeurs de la liberté de la presse, de l’éthique journalistique et de la recherche de solutions alternatives respectueuses de l’humain et de son environnement. Voilà où nous en sommes. En toute transparence.

La vérité ne sort pas (que) de la bouche des enfants mais (aussi) de celle des sorties d’audience du tribunal de commerce. En tout cas en ce qui concerne les journalistes. C’est là qu’on a compris, il y a quelques années, que Carole Chane Ki Chune, pourtant patronne du Quotidien, ne les aimait pas, lapsus révélateur qui lui avait échappé lorsqu’elle était interrogée sur un précédent plan de redressement judiciaire du journal fondé par son père.

Cette semaine l’imprimeur Alfred Chane Pane, candidat à la reprise du même Quotidien liquidé a, lui aussi, laissé échapper toute sa détestation d’une rédaction qui ne produirait que 5 pages par jour (ce qui est complètement faux), dénigrerait les personnes (heureusement que l’esprit critique existe encore), et serait réticente à toute évolution. Favori dans la course à la reprise aux yeux de l’administrateur judiciaire et du ministère public, l’ex-associé du Journal de l’île, auquel il avait promis 600 000€, ne reprend aucun des 36 journalistes du Quotidien. On ne peut guère être plus caricatural dans la négation de l’éthique journalistique. (*)

Ah ces journalistes ! Les patrons de presse ne les aiment pas, surtout quand ils ne concourent pas à l’info-spectacle, à la complaisance institutionnelle et à la course aux clics : les trois leviers les plus rémunérateurs de la profession. Le public non plus ne leur fait guère confiance : l’indice de défiance des Français vis-à-vis des médias a dépassé la barre des 70%.

Quand la peste brune sera au pouvoir…

Nous voilà arrivés à un point de rupture triste à pleurer entre les journalistes et le public… ou à se reconvertir dans la com’ ou la pub. Le tout sous les yeux d’un personnel politique ne voyant rarement les médias comme autre chose qu’un instrument relayant leurs actions ou critiquant leurs adversaires d’un jour. Et quand la peste brune sera au pouvoir, celles et ceux qui n’auront pas rejoint la bonne soupe des fachos lanceront des alertes qu’aucun journaliste n’entendra, ils rédigeront des communiqués qui ne seront publiés nulle part.

Ce sombre décor n’a pas surgi en un jour, il est une nouvelle étape dans un long processus de dissolution des liens, de déchirement du tissu social. Nous en avons pris conscience depuis de longues années et Parallèle Sud est clairement une réponse parmi d’autres. Nous ne sommes pas encore assez connus au-delà de la communauté de nos soutiens. C’est pourquoi il est important de réécrire aujourd’hui, une semaine après notre assemblée générale du 23 mars 2024, ce qu’est Parallèle Sud.

  • Assemblée générale de Parallèle Sud du 23 mars 2024
  • Assemblée générale de Parallèle Sud du 23 mars 2024

Le « rapport moral » de Parallèle Sud

Notre média associatif entame sa troisième année d’existence officielle, c’est-à-dire en tant que média accessible à tous sur internet (depuis janvier 2022) et pas seulement à la communauté initiale (active depuis 2020) ou aux abonnés de la newsletters (lancée en août 2021).

L’idée de départ est de créer

  • Un média associatif, reposant sur une gouvernance démocratique et horizontale, 
  • Un média piloté par des journalistes désireux de résister aux pressions politiques et commerciales et portant un regard critique et original sur les sujets de société
  • Un média ouvert à tous et défendant la liberté d’expression, les solutions alternatives, les initiatives positives, la culture créole

Cette idée guide toujours notre action mais la route est longue. La première année a consisté à poser les conditions techniques de notre existence avec la création du site internet et l’animation d’une équipe de bénévoles en plus de la réalisation de sujets hebdomadaires : il y a aujourd’hui 1 855 articles disponibles à la lecture sur le site.

Subventions et utilité publique

La deuxième année a consisté à trouver un modèle économique qui a permis à Jéromine de devenir salariée depuis février 2023. En septembre dernier une nouvelle apprentie, pour l’assistance administrative, est venue remplacer notre première recrue qui a obtenu son diplôme. Nous avons accueilli deux services civiques pour accompagner les « écotutos » et nos actions d’éducation aux médias. Et nous avons recruté le 23 janvier 2024 Etienne, apprenti journaliste en formation à l’ILOI (contrat de 3 ans).

Ce modèle économique fait le constat de l’impossibilité de ne vivre que des contributions de nos donateurs et nous conduit à développer des activités financées par des subventions publiques. Nous les voyons comme la juste rémunération d’un service d’utilité publique que nous rendons à La Réunion : réalisation d’écotutos présentant des « gestes préservant la planète et le porte-monnaie », éducations aux médias, accompagnement de la vie citoyenne avec la création, par exemple, d’un journal de quartiers au Port ou d’une revue culturelle de lycéens.

Ces subventions ne sont donc, a priori, pas de potentiels moyens de pression comme le sont les pubs commerciales et institutionnelles ou encore les « coups de pouce » providentiels comme en a bénéficié le Quotidien à la fin de l’année dernière.

Nous avons choisi les actions que nous proposons, elles correspondent aux valeurs de l’association. Elles ont permis de constituer une trésorerie et un fonds de roulement qui nous permettront de salarier Philippe et moi-même à partir des 1er avril et 1er mai prochain. C’est la condition sine qua non de notre engagement dans l’association car nous arrivons tous deux au bout des nos droits à l’allocation chômage.

« Ton temps vaut le mien »

Courir derrière ce modèle économique nous a demandé beaucoup d’énergie. Il nous faut maintenant revenir à l’essence de Parallèle Sud et cette 3e année sera celle de la mobilisation de la communauté intéressée par la liberté de la presse et les valeurs de l’association. Du fait de notre basculement dans le salariat, Parallèle Sud est désormais dirigée par deux nouveaux représentants légaux désignés par les 17 membres du conseil d’administration : la présidente Anouk et le trésorier Jean. 

Il est important de préciser la politique salariale de Parallèle Sud dans le cadre de notre expérimentation d’une gouvernance horizontale. Ici pas de délire à 17 000€/mois ni de course du rat. Notre devise « Ton temps vaut le mien » fait que tout le monde est payé au même salaire net et nous visons le salaire médian de 2 000€ par mois.

Pendant cette 3e année, j’espère que nous, journalistes professionnels, réussirons à mieux accompagner ce que j’appelle « les dalons » de l’association, les reporters citoyens : Dominique, Abdoul, Jean-Philippe, Dominique, Georges, Chakila, Yohan, Manyel, Laurent, Eglantine, Léa, etc. La liste doit encore s’allonger. L’idée est d’organiser de vraies conférences de rédaction où chacun discute des sujets à réaliser, mais aussi de donner des moments de formation à la demande des « dalons ».

J’espère aussi que nous arriverons à mieux épauler les contributeurs de la « libre expression » pour faire de cet espace un lieu original accueillant des tribunes, des opinions, des fonkèrs, des chansons, etc.

Dans l’idéal, il faudrait que se crée un comité d’orientation, à réunir tous les trois mois par exemple, où les membres actifs de Parallèle Sud décideraient des sujets à développer mais aussi des actions à mener. En particulier l’ouverture vers l’expression créole. Et Parallèle Sud voit aussi le journalisme comme un acte physique d’échanges. C’est ce que nous sommes en train d’organiser pour notre 3e anniversaire.

Cette 3e année tendra vers un retour à la source : une offre éditoriale réunionnaise originale. A noter que c’est ce que le ministère de la Culture est censé soutenir et que nous n’avons pas encore perçu le 1e centime de notre bourse à l’émergence. Mais ça viendra justement en 2024. Il nous faudra à nouveau réfléchir sur la manière d’intéresser de plus en plus de visiteurs, de les étonner, de les fidéliser, pour ensuite mériter leur confiance.

Franck Cellier

(*) Pour connaître les détails des propositions de rachats du Quotidien, lire les articles parus dans les deux titres  (Quotidien et JIR/Clicanoo). Ils ont été écrits par de vrais journalistes professionnels en voie de disparition.

A lire également, la contribution du SNJ aux Etats généraux de l’information.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

Articles suggérés