Jacques Tillier ou les c… en or en pleine faillite

[LES COMPTES DU JIR : ÉPISODE 1]

Hommage à l’éditorialiste du samedi… On plagie un peu son « style » pour évoquer le salaire et les dettes de Jacques Tillier. Ben oui, « les couilles en or », c’est plutôt une expression de papi, foin de machisme et d’humour gras… N’empêche, 400 000 € par an, ça autorise un petit dérapage.

Au fil des ans, le Président et directeur de la publication du Journal de l’Ile de La Réunion, a épinglé une foule sur sa corde à linge parfois il y dénonce des arrangements peu glorieux, toujours il y règle ses comptes politiques.

Oui des « comptes », c’est bien le bon mot car chez ces gens-là, Monsieur, on ne cause pas, on compte… Et on se paie plutôt très bien. Le « serviteur » du samedi gagne plus qu’un Président de la République. Environ 17 000 € par mois, financés en grande partie par des fonds publics. C’est ce que nous disent les chiffres récupérés par nos soins au gré de la procédure de sauvegarde puis de redressement du JIR.

« Un artifice juridique »

Jacques Tillier est sans doute le sauveur du JIR. Fort bien conseillé, il a en tout cas réussi un coup de maître le 10 février en faisant valider par le tribunal de commerce le rachat du JIR par… le JIR, ou plus précisément par la Société nouvelle du JIR qu’il venait de créer. On retrouve comme actionnaires de cette SNJIR : Jacques Tillier, Abdul Cadjee au titre de sa société financière, Mario Lechat (Groupe Cirano), Bruno Jean Olivier Fontaine (Bourbon Cars Investissements), Jimmy Wan Hoï (Media Group) et Giovani Siou. Le tout pour un petit capital de 10 000 € auquel a été ajouté, le jour de l’audience, une promesse de dons de 600 000 € de l’imprimeur Alfred Chane Pane pour rendre le plan plus crédible.

Une société qui est rachetée par ses propres actionnaires, ça fait évidemment tiquer. Il est d’ailleurs noté dans le jugement, que nous avons consulté, que cette offre de reprise peut apparaître à bien des égards comme un artifice juridique pour apurer le passif du JIR. Si ce n’est pas une dérogation au Code du commerce, ça y ressemble beaucoup. Dans son article L642-3, ce Code interdit le rachat d’une société par ses propres débiteurs. Or la dette de l’ancien JIR s’élevait à 11,8 M€, ramenée à 4,8 M€ quand on y retranche les montants contestés par le titre.

Pas de survie sans la subvention annuelle

Pour que MM. Tillier et Cadjee puissent racheter leur propre journal en bénéficiant de l’effacement des dettes, il fallait que le procureur de la République l’autorise. Ce qui fut fait. C’est pour le moins exceptionnel. Et aucun des acteurs de cette procédure que nous avons interrogés n’a pu nous citer d’autres cessions ayant bénéficié d’un tel arrangement à La Reunion.

L’offre proposée repose en partie sur les lois spéciales Covid permettant de reporter le paiement des charges sociales durant la crise sanitaire. Surtout, elle reconnaît d’emblée que les réductions de masse salariale ou de frais d’impression ne suffisent pas pour sauver le JIR. Le plan de sauvegarde repose donc sur l’abandon de 85% des créances et l’octroi d’une subvention d’équilibre pérenne de 1,7 M € par an ! 

C’est le prix à payer, par les créanciers et les pouvoirs publics, pour sauver l’activité et l’emploi. En arrachant cette victoire juridique, Jacques Tillier a donc sauvé 95 des 102 salariés que comptait l’ancien JIR. Bravo pour l’équipe… Et coup de chapeau pour lui-même ! Car le cadre dirigeant s’octroie un salaire supérieur à celui du Président de la République. Normal puisqu’il pense compter parmi les personnes les plus influentes de l’île. Ses émoluments dépassent largement ceux de tous les élus et de la plupart des patrons du Département.

17 000 € par mois, ça vous choque ?

Sur le document compilant la masse salariale présentée lors de la procédure, la ligne du directeur général affiche un crédit de 310 675,02 € pour la période allant du 1er janvier au 31 octobre 2020. Soit 10 mois. Extrapolé à une année comptant 13 mois, le coût salarial de Jacques Tillier atteint plus de 400 000 €…

(Voir l’onglet « Les documents » en début d’article)

Interrogé sur ce montant, il a fait répondre à sa secrétaire : « Et ça vous choque »? Chacun aura sa réponse. Il nous a promis de nous faire parvenir sa fiche de paie pour comparer avec les chiffres de la procédure. En l’attendant, nous calculons qu’en retirant les charges, Jacques Tillier reçoit mensuellement environ 17 000 € par mois net. Sans compter le 13ème mois et les avantages divers en frais de bouche, billets d’avion, logement et voiture de fonction.

Au-delà donc du « choc » de cette « bonne paye », qui casque pour la facture ? Et c’est bien là où Jacques Tillier est un merveilleux compteur (sans faute d’orthographe). Il va falloir que l’argent public entrent dans les caisses à hauteur de 1,7 M€ par an et que s’effacent des millions de dettes sociales et fiscales.

L’invention de la pompe à pognon

Pour rendre son plan de sauvetage crédible, lors de l’audience du 10 février, le Président du JIR a fait valoir la subvention de 1,5 M€ que la Région venait de lui accorder. Ouf pour 2021 et la période électorale qui s’ouvrait alors… Reconnaissons lui la paternité de cette nouvelle charge régionale qu’il a débloquée peu après son retour à La Réunion en 2016. Jusqu’alors les collectivités locales se contentaient de maintenir une petite pression « amicale » sur les médias en choisissant ceux à qui elles achèteraient le plus d’encarts publicitaires.

Le JIR a aidé l’ex-président Didier Robert à inventer la « subvention régionale à la presse ». C’est vrai que la collectivité s’est substituée à l’Etat qui accorde ce genre d’aide à la presse en métropole et oublierait La Réunion. Mais il est surtout vrai que cette pompe à pognon, inventée par Jacques et Didier, s’est accompagnée d’une connivence affichée qui n’a fait que discréditer le JIR. Sans parler de la contagion qui a touché d’autres médias jaloux de la méthode Tillier, mais c’est une autre histoire… C’est nous qui payons !

Le contribuable paie donc, via la subvention régionale, pour le maintien de l’activité du JIR… et du salaire de son président. Il paie aussi pour la majeure partie des créanciers : 1,1 M€ pour l’Unedic AGS, 2,1 M€ pour la CGSS, 460 000 € pour le Fisc, 570 000 € pour les caisses de retraites. Autant de dettes publiques qui s’effacent sans que le citoyen cotisant et payeur ait son mot à dire.

Au détriment des créanciers

Il y a de quoi faire rêver les entrepreneurs qui ont été liquidés à cause de dettes fiscales et sociales bien moindres que celles-ci. Lors de l’audience, le tribunal s’était ému d’une offre trop déséquilibrée au regard des avantages consentis aux repreneurs et au détriment des créanciers et avait obligé le nouveau JIR à racheter les dettes de l’ancien pour un montant forfaitaire de 400 000 € payable en six mois. Soit moins de 10% des dettes retenues et à peine 3% des créances totales de 11,8 M €.

Dans les faits, seuls les créanciers salariés du JIR sont assurés d’être payés sachant que ce « super privilège » se limite à 73 222,95 €, tel qu’affiché sur l’état définitif des créances. Pour le reste, les AGS et les caisses de retraite ont certes émis un avis réservé lors de la cession. Mais personne n’a fait appel.

Le service juridique de la CGSS a étudié les voies de recours éventuelles avant de se rendre à l’évidence : « Nous pouvons regretter que l’avis des créanciers ne soit pas pris en compte, mais les textes ont été respectés, la décision du tribunal de commerce repose sur une base juridique que l’on ne peut pas contester », commente la direction du recouvrement.

108 créanciers ont été recensés parfois pour quelques milliers d’euros. On y trouve quelques « épinglés » de l’édito réclamant des dommages pour diffamation et de nombreux fournisseurs eux aussi ciblés dans l’édito. Parmi eux, deux présentent d’énormes factures. La Safi, société du groupe du Quotidien qui a imprimé le JIR pendant plusieurs mois, réclamait 3,3 M€. Elle a fini par se désister car « ne voulant pas perdre de l’énergie dans une procédure incertaine ». Orange réclamait 1,4 M € et ne souhaite faire aucun commentaire… On peut juste se demander pourquoi la société téléphonique n’avait pas coupé les lignes avant d’en arriver à une telle facture…

Franck CELLIER avec J.S.G.

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