LIBRE EXPRESSION
Si tu devais écrire une lettre à ta langue maternelle ou à ta langue d’adoption, que lui dirais-tu ? C’est la question que nous avons posée à
une soixantaine de jeunes vivant à La Réunion, où les deux langues les plus parlées sont le créole réunionnais et le français…
Si ou té i doi ékri in lèt po out lang
matèrnèl ou sinon out lang ladopsyon,
kossa ou i èmré di ali ?
Nou la-poze késtyon-la in soissantène jène
i vive La Rényon, oussa lo deu lang i koze lo
pluss sé lo kréol rényoné èk lo fransé…
Avec beaucoup d’émotions, de sincérité et de poésie, les textes de Mon langmonmon – Ma langue maternelle, parlent, au-delà de la langue, d’amour, de quête d’identité, d’ancrage sociétal ou patrimonial, d’égalité et de liberté…
Cet ouvrage témoigne de la relation que les jeunes réunionnais entretiennent avec leur langue maternelle au travers d’une sélection de textes écrits lors des 43 ateliers d’écriture créative du Labo des histoires auprès d’une soixantaine de jeunes de 16 à 25 ans (Lycée professionnel Jean Perrin à Saint-André, RSMA de Bourg-Murat et de Saint-Pierre, Écoles de la Deuxième Chance de La Réunion de Saint-André, Saint-Denis et Saint-Pierre et Mission locale Nord à Sainte-Clotilde).
Le sujet de la langue maternelle, qui ouvre sur celui de toutes les langues du monde, est passionnant et foisonnant. Intimement lié à l’être humain, aux peuples et aux États-nations, il intéresse les poètes et les artistes, les historiens, les géographes, les philosophes, les ethnologues, les anthropologues, les politiciens, les linguistes… et tout un chacun d’entre nous qui parlons et nous parlons. La langue maternelle façonne notre identité, notre manière de concevoir les choses, de voir le monde qui nous entoure et de structurer notre pensée, dont elle est indissociable.
Chaque langue est porteuse d’une histoire, d’un imaginaire, d’une culture, et possède sa propre façon de parler, de raisonner, de raconter, de blaguer… Dans le même temps, les langues, aux frontières poreuses dans leur mouvement perpétuel et leur inventivité, leur variabilité dans l’espace et dans le temps, se heurtent, coexistent, s’influencent, s’éteignent, se recréent… Que se passe-t-il alors pour les personnes qui vivent sur un territoire où plusieurs langues cohabitent ?
À La Réunion, la langue française et le créole réunionnais sont les deux langues les plus parlées, l’une ayant le statut de langue officielle et l’autre de langue régionale. Quelles que soient leurs origines et leur situation linguistique, les habitants de l’île sont tous confrontés à «l’autre langue» – et pour celles et ceux qui n’ont ni la langue française ni le créole réunionnais pour langue maternelle, à chacune d’entre elles.
Comment les jeunes vivent-ils le bilinguisme réunionnais ? Quelles relations entretiennent-ils avec leur langue maternelle et/ou leur(s) langue(s) d’adoption ? Au cours du projet Mon lang-monmon, ma langue maternelle, Le Labo des histoires est allé à leur rencontre pour, à travers des ateliers d’écriture créative, échanger avec eux sur leurs pratiques linguistiques ; sur la part que tiennent les langues dans leur vie familiale, sociale et professionnelle ; sur le sentiment qu’ils nourrissent pour leur langue maternelle et/ou leur(s) langue(s) d’adoption ; sur leur connaissance de l’histoire de chacune des langues ; sur la richesse interculturelle qu’offrent le bilinguisme et le plurilinguisme… avant de les inviter à adresser une lettre à la langue de leur choix, dans la langue de leur choix.
Christine Guérin
Directrice régionale du Labo des histoires de La Réunion
Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.