Note de lecture : La Veste Jaune

La i pann i sek

En Martinique, l’oeuvre monumentale de Laurent Valère, face à l’océan, rappelle les crimes coloniaux commis aux Antilles françaises et sur toutes les mers où des hommes et des femmes ont été déportées et esclavagisées.

Politique, littérature, lutte anti-coloniale et poésie forment la trame du dernier roman paru de François-Xavier Guillerm. La Veste Jaune – la i pann i sek a été publié aux éditions Idem. Depuis quelques jours, il est disponible à La Réunion et dans tout l’Outre-mer français.

« Chacun s’est bien rendu compte qu’en changeant l’appellation de colonies en départements d’outre-mer, on n’a rien changé au principe de la spécificité coloniale. Plus ça se ressemble, plus c’est différent ! Le département de la Lozère a-t-il une banque centrale comme l’est l’IEDOM ? Comptabilise-t-on le commerce extérieur de la Creuse dans le commerce extérieur de la France ? Vois-tu Sylvère, avec le temps, les prétendus départements d’Outre-mer sont apparus comme des colonies d’un nouveau genre : des colonies de consommation dont les entreprises françaises font leurs choux gras… »

Comme dans la Rome antique, le poète Térence pouvait affirmer fièrement, « Homme je suis et rien de ce qui est humain ne m’est étranger », François-Xavier Guillerm peut revendiquer sans ambiguïté de ce que « Colonisé, rien de qui est colonial ne lui est étranger ». Son roman, qu’il décrit lui-même comme de la « politique-fiction autant que de la fiction politique » consiste en une plongée dans les aventures, les déboires et les luttes de militants nationalistes antillais, des années 60 à nos jours.

Sylvère, dont le père est antillais et la mère une prof de Français « de France », résume dans son parcours et ses tiraillements, les hésitations, les aliénations, les désirs et les contradictions dont sont héritiers les peuples de l’Outre-mer français. À l’occasion du décès de son père, une figure du combat indépendantiste guadeloupéen, il va renouer avec ses racines et plonger dans la galaxie « Rouge-Vert-Noir », du nom de ces militants, bien réels, à qui le vocable « d’État colonial » ne fait pas peur.

« C’est l’histoire de trois copains qui ont vécu toutes les luttes, des années 60 jusqu’à aujourd’hui, jusqu’aux luttes sanitaires que l’on a connu très récemment, resitue encore François-Xavier Guillerm, que Parallèle Sud a rencontré, à Paris. On a toujours raconté l’histoire du point de vue de l’Hexagone. Il m’a semblé intéressant de sortir de cette force centrifuge de la métropole pour raconter les histoires en se décentrant et donc en racontant du point de vue des Antillais militants et non pas du point de vue de ceux qui étaient départementalistes. »

Dans une langue riche, poétique et qui emprunte ses meilleurs passages aux grands poétes martiniquais comme Césaire, Glissant ou Damas, François-Xavier Guillerm ne fait pas l’erreur de manquer d’humour. Son sous-titre en bon kréyol, traduisible approximativement en kréol par « met’ sek su la kord’ ma ramassé », en donne une bonne idée.

Pour lui, « les plus grands auteurs et poètes antillais, de Confiant à Damas en passant par Césaire, sont tous porteurs de l’identité créole, antillaise, indépendamment de l’identité française. Certes c’est un roman, mais c’est un roman qui revisite l’histoire des Antilles et de la Guyane en expliquant des choses qu’on a jamais pu vraiment dire. »

Correspondant à Paris du journal France-Antilles – et ancien correspondant à Paris du Journal de l’Ile de la Réunion (JIR) – François Xavier n’en est pas à son coup d’essai : il est l’auteur de plusieurs essais dont Le Sang des nègres, une enquête sur un massacre colonial commis par la France du général de Gaulle en Guadeloupe, en 1967.

L’auteur dissimule dans son roman paru ces jours-ci quelques clefs qui parleront aux observateurs attentifs de la politique contemporaine de la France dans ses anciennes colonies. Personnages, faits-divers sordides ou encore simples moments de poésie pure malgré l’horreur de l’Histoire et de certains atavismes bien humains : rien de ce qui est « ultramarin » ne lui est étranger.

Julien Sartre

Le roman de François Xavier Guillerm, notre confrère de France-Antilles, est disponible aux Antilles françaises, à la Réunion et dans tout l’Outre-mer français, aux éditions Idem, au prix de 14,90 euros.

A propos de l'auteur

Julien Sartre | Journaliste

Journaliste d’investigation autant que reporter multipliant les aller-retour entre tous les « confettis de l’empire », Julien Sartre est spécialiste de l’Outre-mer français. Ancien correspondant du Quotidien de La Réunion à Paris, il travaille pour plusieurs journaux basés à Tahiti, aux Antilles et en Guyane et dans la capitale française. À Parallèle Sud, il a promis de compenser son empreinte carbone, sans renoncer à la lutte contre l’État colonial.