Reporters Sans frontières demande à l’ONU de stopper le carnage des journalistes à Gaza

« Nous continuons d’apporter notre soutien aux journalistes sur place », affirme Martin Roux, directeur du bureau de crise chez Reporters Sans Frontières. Dans la nuit du 10 août, dans la bande de Gaza, six professionnel·le·s du journalisme sont tué·e·s dans une attaque ciblée par Israël. Parmi elleux, Anas al-Sharif, journaliste pour le média qatarien Al Jazeera, est assassiné sous couvert d’accusations de terrorisme. Ce crime est masqué par une stratégie de « blackout » médiatique, dénoncée par l’ONG RSF.

Selon RSF, plus de 200 journalistes auraient perdu la vie à Gaza, soit autant que pendant les quatre années précédentes (2019-2022) à l’échelle mondiale. Ce chiffre glaçant illustre la gravité du contexte politique et la violence avec laquelle Israël lutte contre la médiatisation de ses actions, aux yeux du reste du monde.

Pour rappel, le 10 août dernier, Anas al-Sharif, journaliste reporter de 28 ans employé par le média qatarien Al Jazeera, est tué dans une frappe de drone ciblant la tente dans laquelle il loge. Située à proximité de l’hôpital Al-Shifa, à Gaza, celle-ci abritait en fait un groupe de journalistes, dont cinq autres professionnel·le·s des médias, qui eux aussi ont été assassiné·e·s cette nuit la. Parmi eux, quatre travaillaient ou avaient travaillé pour la chaîne qatarienne : Mohammed Qraiqea, Ibrahim al-Thaher, Mohamed Nofal, Moamen Aliwa et Mohammed al-Khaldi. Trois reporters indépendant·e·s Mohammed Sobh, Mohammed Qita et Ahmed al-Harazine figurent aussi parmi les victimes.

Anas al-Sharif. Crédit image: Reporters Sans Frontières

Une attaque revendiquée sous couvert d’accusations de terrorisme

Les autorités israéliennes ont revendiqué cette attaque en accusant Anas al-Sharif d’être en réalité un « terroriste » du Hamas se « faisant passer pour un journaliste ». Pour autant, aucune preuve solide n’a accompagné cette accusation.

Cet événement a un tragique air de déjà-vu. Et pour cause, ce n’était pas la première attaque ciblant des journalistes d’Al Jazeera. Comme le rappelle RSF, le 31 juillet 2024, « l’armée israélienne avait tué les reporters Ismail al-Ghoul et Rami al-Rifi dans une frappe revendiquée, à la suite d’une campagne de dénigrement visant le premier, accusé, comme Anas al-Sharif, « d’appartenance terroriste ». Hamza al-Dahdouh, Mustafa Thuraya ou encore Hossam Shabat, eux aussi travaillant pour le média qatarien, comptent parmi les victimes de cette méthode ». Une méthode qui consiste pour Israël à ne laisser aucun·e journaliste raconter l’enfer qui a lieu depuis maintenant 21 ans dans l’enclave palestinienne.

En octobre de la même année, l’ONG avait alerté la communauté internationale sur le risque imminent d’une attaque visant Anas al-Sharif. Cette alerte était restée sans réponse.

Et maintenant, que faire ?

Martin Roux, directeur du bureau de crise chez RSF, évoque la stratégie de l’ONG pour soutenir les journalistes à la suite de ce nouveau drame : « Nous continuons à apporter un soutien aux journalistes sur place via nos projets, notamment un centre de presse offrant aux professionnels un espace de travail. Nous proposons également des bourses d’urgence et un soutien psychologique. En parallèle, nous poursuivons notre action de documentation et de plaidoyer au sujet des crimes commis par Israël contre les journalistes dans la bande de Gaza ».

Martin Roux, directeur de crise chez Reporters sans Frontières

Par ailleurs, RSF a répondu à Parallèle Sud que l’ONG ne participera pas au convoi de la flottille humanitaire Global Sumud Flotilla, portée en France par l’association Waves of Freedom. Pour rappel, et comme mentionné dans un précédent article, cette association française a été créée à la suite de l’appel des médecins Yacine Haffaf et Hicham El Ghaoui, à leur retour de missions humanitaires à Gaza. Dans le cadre de ce collectif international regroupant la participation de plus de 40 États, la plus grande flottille humanitaire jamais organisée prendra la mer en direction de Gaza d’ici fin août prochain. Ses objectifs sont multiples : acheminer une aide urgente, briser le blocus de Gaza, dénoncer le silence international et défendre le rôle de la société civile dans ce conflit. En attendant, et parmi les actions citoyennes possibles pour défendre le journalisme, figurent aussi les recours judiciaires.

Des plaintes déposées pour « crimes de guerre »

Depuis octobre 2023, quatre plaintes ont été déposées par RSF auprès de la Cour pénale internationale. Elles demandent l’ouverture d’enquêtes sur ce que l’ONG qualifie de crimes de guerre commis par l’armée israélienne contre les journalistes à Gaza.

RSF appelle également à l’organisation d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU : « La communauté internationale ne peut plus fermer les yeux et doit réagir pour faire cesser cette impunité. RSF appelle le Conseil de sécurité des Nations unies à se réunir d’urgence sur le fondement de la résolution 2222 de 2015 sur la protection des journalistes en période de conflit armé, afin de stopper ce carnage », confie Thibaut Bruttin, directeur général de RSF.

Journaliste, un métier à risque, à Gaza et ailleurs

Si les attaques contre les journalistes à Gaza témoignent de la dangerosité extrême de leurs conditions de travail et de la cible qu’ils représentent pour les autorités israéliennes, le métier comporte des risques bien au-delà du territoire gazaoui.

Dans un communiqué publié le 14 août dernier, RSF a annoncé que « en l’espace de deux semaines, deux correspondantes de médias internationaux et un journaliste d’un média malgache ont été menacés et intimidés par les autorités malgaches ». C’est la publication d’une enquête sur les analyses d’une intoxication ayant provoqué la mort de 32 personnes lors d’un buffet d’anniversaire qui a suscité cette réaction des autorités, l’investigation remettant en cause la communication officielle du gouvernement. Des menaces de poursuites judiciaires et des demandes de remplacement des correspondantes ont alors été adressées aux deux médias internationaux impliqués : TV5 Monde et RFI.

Le journaliste de L’Express de Madagascar, Tsilaviny Randriamanga, a quant à lui été publiquement recadré par le président du Sénat lors d’une conférence de presse, le 30 juillet. Son tort : avoir posé une question sur l’affaire des Boeing 777 immatriculés à Madagascar et retrouvés en Iran.

Ce nouvel épisode d’intimidation n’est malheureusement qu’un exemple des pressions quotidiennes exercées contre les journalistes dans des pays où la liberté d’informer est menacée. Selon les chiffres de RSF, depuis le 1er janvier 2025, à l’échelle mondiale, 25 journalistes ont été tué·e·s, 557 sont détenu·e·s, 54 sont retenu·e·s en otage et 99 sont porté·e·s disparu·e·s.

Alors, depuis toujours mais particulièrement dans ce contexte politique et social, le combat pour la liberté d’informer semble bel et bien au cœur d’un enjeu majeur pour l’avenir de l’humanité.

Sarah Cortier

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A propos de l'auteur

Sarah Cortier

Issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique et persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits, Sarah a rejoint l'équipe de Parallèle Sud. Elle souhaite participer à ce travail journalistique engagé, et apporter de nouveaux regards sur le monde.

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