🔎

[NRL] La lang na pwin galè

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

Avec le rejet de leurs 200 M€ de réclamation Bouygues et Vinci apprennent à leurs dépens que les engagements politiques de l’ancien président de Région à ouvrir de nouvelles carrières de roches massives n’avaient aucune valeur juridique.

Que faut-il retenir des dernières décisions du tribunal administratif concernant les plus de 200M€ de réclamations du groupement Vinci-Bouygues sur le fiasco des digues de la NRL ?

Tribunal administratif de Saint-Denis affaire NRL
Le tribunal administratif confirme l’insoutenable légèreté de la parole politique.

Comme ils l’ont fait pour la première série de contentieux sur la construction du viaduc, les juges administratifs ont, ce mardi 22 octobre, à nouveau rejeté les demandes des deux multinationales du BTP. Ils ont estimé que le constructeur ne pouvait reprocher à la Région, maître d’ouvrage, les difficultés d’approvisionnement en roches massives, les contraintes liées aux fermetures de la route du littoral, à la turbidité de l’eau ou encore à la crise sanitaire du Covid 19. Ils ont cependant  condamné la collectivité à verser 122 681 euros et 24 centimes pour des déplacements d’accropodes non prévus et une contradiction dans les plans du marché. Une broutille…

D’autres requêtes, notamment sur le viaduc, seront encore examinées d’ici la fin de l’année mais l’affaire semble bien engagée pour la Région dont la responsabilité est globalement écartée quant au fiasco de cette NRL inachevée. En tout cas la responsabilité juridique en attendant d’éventuels recours en appel. 

Paroles, paroles…

Mais en y regardant de plus près, dans les 64 pages de motivations de ses décisions, le TA confirme l’insoutenable légèreté de la parole politique. Un gouffre s’est creusé entre les discours et leur valeur juridique. On en avait eu un aperçu lors de l’affaire des salaires illégaux de l’ancien président de Région Didier Robert. Ses avocats avaient défendu devant le tribunal correctionnel que ses déclarations publiques selon lesquels il ne se rémunérait pas n’avaient pas de valeur juridique. Ça n’avait pas suffi pour lui éviter la condamnation (15 mois de prison avec sursis et 3 ans d’inéligibilité).

Déjà lors du procès de la SPL. des musées, il était apparu que la parole de Didier Robert n’avait pas de valeur juridique.

Eh bien pour la NRL, c’est pareil !  On peut lire que les difficultés d’approvisionnement du chantier en roche massive « ne sont aucunement le fait du maître d’ouvrage qui n’avait au demeurant pris aucun engagement sur la question de l’ouverture des carrières ni ne trouve leur origine dans des manquements de celui-ci à ses obligations contractuelles. » C’est oublier les engagements politiques de Didier Robert, devant les électeurs, de construire sa NRL « dans les délais et sans un euro de surcoût ».

Toutes les déclarations de l’ancien président en faveur de l’ouverture de la carrière de Bois-Blanc — pour laquelle la Région avait modifié le schéma départemental des carrières — n’avaient donc aucunement valeur d’un engagement contractuel ou de garantie officielle. Le TA vient ainsi souligner le décalage entre le discours politique et la réalité administrative et juridique. On dit que « la lang na pwin le zo ». Et encore moins de galets…

L’alerte ignorée d’Egis

Bouygues et Vinci, qui réclamaient 134 M€ pour les seuls surcoûts en matériaux, se référaient au rapport de la Chambre régionale des compte et au  fait que 840 M€ d’argent public soient engagés dans la construction d’un viaduc à la place du projet de digue. Mais le tribunal administratif n’a pas jugé « que le choix de réaliser la NRL sous forme de digues et de viaducs en lieu en place d’une solution « tout viaduc » serait constitutif d’une faute de conception du marché ». Décalage encore entre la réalité juridique et la réalité tout court…

Le long jugement rendu mardi éclaire également ce qui y est défini comme « le marché litigieux », le marché des digues de la NRL. Litigieux du fait des réclamations examinées… mais litigieux aussi au regard de l’enquête pour favoritisme et corruption jamais bouclée par le Parquet national financier. Bouygues et Vinci avaient décroché le pactole le 28 octobre 2013 en promettant d’ouvrir deux carrières, à Bellevue Saint-Paul et aux Lataniers de la Possession, dans un délai de quatre mois. En fait il n’y arriveront jamais.

Ce que nous apprennent les juges administratifs, c’est que dans son rapport d’analyse des offres, le maître d’oeuvre Egis avait « jugé difficilement atteignable » le délai annoncé par les candidats au marché. A priori cette information avait échappé aux élus qui l’ont accordé. Une opposante de l’époque, qui avait voté contre, expliquait qu’elle n’avait pas eu accès aux documents techniques pour décider à qui attribuer un marché global d’1,6 milliard d’euros.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

Ajouter un commentaire

⚠︎ Cet espace d'échange mis à disposition de nos lectrices et lecteurs ne reflète pas l'avis du média mais ceux des commentateurs. Les commentaires doivent être respectueux des individus et de la loi. Tout commentaire ne respectant pas ceux-ci ne sera pas publié. Consultez nos conditions générales d'utilisation.

Parallèle Sud

GRATUIT
VOIR