GRANDE CHALOUPE
Expositions, animations, voyages touristiques… Depuis 35 ans, on croit que le ti train de La Réunion va renaître mais il faut se rendre à l’évidence : il est laissé à l’abandon et pourrit dans un tunnel humide. Ses défenseurs historiques n’y croient plus alors que de nouvelles associations prennent le relais pour secouer les pouvoirs publics.
Il y a loin des discours à l’action, des affichages à la réalité… Depuis septembre dernier et pour deux ans encore, les Archives départementales de La Réunion accueillent une magnifique exposition intitulée « Titrain Lontan, l’aventure ferroviaire de La Réunion ». Tant de souvenirs, que la nostalgie a émerveillés, remontent à la surface de la mémoire collective !
Après la fermeture des voies ferrés, les autorails ont re-circulé. Et là encore on se rappelle des représentations de « Lepervenche chemin de fer » du théâtre Vollard, ou des sorties scolaires à la Grande Chaloupe qui ont embarqué des milliers d’enfant dans les voitures de voyageurs.
La mémoire est si trompeuse que beaucoup de gens croient qu’une association fait toujours revivre l’épopée du train à La Réunion. Or c’est faux. L’association existe toujours, elle s’appelle Ti train, tout simplement. Mais il n’y a plus de visite, plus de démonstration, plus de voyages depuis belle lurette.
A la Grande Chaloupe, où ont été stockés les vestiges du CFR (Chemin de fer de La Réunion), le matériel roulant est stocké dans le tunnel de 800 mètres qui mène à la ravine à Jacques. Il est sous clé, interdits d’accès au public. Et c’est un moindre mal car les machines ont déjà été victimes de tagueurs indélicats.
Le président historique de Ti Train veut arrêter
Derrière les grilles, c’est la désolation. Le ti train est en train de pourrir. Les machines sont abandonnées à la rouille et à l’humidité du tunnel. Mois après mois, les voitures de voyageurs, les autorails Billard, la draisine et quelques wagons se dégradent un peu plus. Même les pièces retapées au cours des 35 années d’existence de l’association Ti train sont à nouveau laissées à la merci des outrages du temps.
Gérard Chotard, président de l’association, en a marre. Patrick Barthet qui s’est énormément investi pour inventorier et valoriser tout le tracé du CFR est reparti en France. Il n’y a plus de mécanicien ou carrossier bénévoles pour entretenir le train. Les huit dernières années ont doucement mais sûrement érodé la volonté de tous les passionnés qui ont œuvré pour faire revivre ce patrimoine réunionnais.
« Je vais passer la main, je veux finir en beauté avec la remise en service de la draisine. La fondation Berliet nous fait cadeau de la réfection du moteur. La pompe à eau sera livrée dans quelques jours. On vient de reconstruire le wagon postal. Si tout se passe bien, dans deux mois, la draisine sera restaurée. Et après j’arrête », lâche le président qui va reporter sa passion sur un projet personnel.
Il continuerait volontiers mais il a du mal à croire aux espoirs soulevés lors d’une énième réunion qui s’est tenue le 28 décembre dernier à la gare de la Grande Chaloupe avec tout un tas de décideurs. « C’est encore une réunion pour une réunion », déplore Patrick Barthet, déçu de l’immobilisme ambiant quand il s’agit de remettre le ti train sur les rails.
Les salanganes interdisent l’accès au tunnel
Les dirigeants de Ti train comme tous les bénévoles qui se sont investis pour bichonner le matériel ont arrêté de croire que le train roulera à nouveau. Tant d’espoirs ont été déçus. A l’ouverture du chantier pharaonique de la NRL, ils ont pu croire que le fameux « 1% culturel » allait faire revivre le passé, faire siffler le train historique et générer une activité touristique qui ferait l’unanimité.
« Les plus grosses subventions qu’on ait obtenues, c’est la Région qui les avaient débloquées, rapporte Gérard Chotard. Il y a eu un moment où la volonté politique était là, tant à la Région qu’au Département. Il y avait même un budget de l’Europe pour financer le projet du train touristique avec un chiffrage à 10 millions d’euros. Mais ça ne s’est pas fait et l’argent est reparti. »
Patatras donc. La faute aux salanganes et surtout aux services de la direction de l’environnement (DEAL) qui ont interdit en 2015 toute circulation sous le tunnel du fait de la présence de colonies de ces oiseaux endémiques et protégés. Plusieurs réunions ont suivi, il a été question de lancer des études pour mesurer l’impact réel du passage d’un train.
Jamais la question n’a été réglée alors que les défenseurs du train assurent que les salanganes nichaient déjà dans les tunnels quand le train y circulait. « On voyait qu’une dizaine d’oiseaux sur une centaine quittaient leur nid au passage du train et qu’ils y revenaient. On n’a jamais trouvé d’oiseaux morts à cause du train. La DEAL sait très bien que les principaux prédateurs des salanganes sont les braconniers ».
Galizé et SOS-DPM prennent le relais de Ti train
Le tunnel entre la Grande Chaloupe et La Possession est interdit au ti train depuis 2015 et le pont qui enjambe la ravine de la Grande Chaloupe est fermé depuis quatre ans à cause de la vétusté prématurée de sa restauration. Triste bilan : les autorails ne peuvent plus circuler que sur 200 mètres entre le tunnel-garage et le hangar de la gare. Sans intérêt !
Cet abandon relève du gâchis quand on considère que, en plus des bénévoles de l’association, les services du patrimoine ont procédé au classement comme monument historique de la locomotive Schneider et à la protection des voies ferrées. Des hauts fonctionnaires y ont cru en ouvrant des dossiers pour faire renaître les voyages en train de La Possession à Saint-Denis. Les trois tunnels sont en effet praticables.
Alors que les « historiques » de Ti train n’y croient plus, deux associations tentent de relancer la machine : le collectif SOS DPM (Domaine public maritime) de Dominique Gamel et Galizé d’Yvette Duchemann. L’ancienne conseillère départementale de Saint-Denis et riveraine de la Grande Chaloupe use de son énergie et de son expérience pour remobiliser tous les acteurs concernés. Quelques habitants du quartier se sont joints au mouvement.
Le conseiller départemental de La Possession, Gilles Hubert entend prendre en main le vieux dossier. Yvette Duchemann espère convaincre les élus et les services d’État en proposant « un développement global » avec les habitants de la Grande Chaloupe et intégrant toutes les richesses historiques du site : le ti train mais aussi les lazarets, le chemin des Anglais et la forêt semi-sèche remarquable.
« On lui souhaite bonne chance », disent en chœur Gérard Chotard et Patrick Barthet.
Franck Cellier
Chronologie de l’histoire du chemin de fer de la Réunion
1858 :
Lancement de l’idée de la construction d’un port et d’un chemin de fer à La Réunion. C’est le moment du développement de la canne à sucre et pour assurer son essor économique, l’île doit se doter de moyens de communication modernes et rapides.
Les moyens archaïques de transport à dos d’hommes, par charrettes et bêtes de trait, par les chaloupes des marines installées tout autour de l’île, sont révolus.
1865 :
Les projets de la construction d’un port et d’un chemin de fer à La Réunion sont jugés trop onéreux et sont abandonnés.
1872 :
Eugène-Emmanuel-Théophile Pallu de Labarrière et Alexandre-Théodore Lavalley, qui a travaillé sur le chantier du canal de Suez, prennent en main les projets de la construction d’un port et d’un chemin de fer à La Réunion.
1875 :
L’accord est enfin obtenu entre investisseurs et décideurs. La chambre de commerce reconnaît l’utilité d’un port et d’un chemin de fer à La Réunion.
En février, demande d’une concession gratuite des terrains nécessaires à la construction d’un chemin de fer.
Le 21 juin, la commission d’enquête de H. Bridet examine le projet de chemin de fer et la concession gratuite des terrains.
Le 11 septembre, le tracé de l’avant projet est lancé.
1876 :
Le 19 août, déclaration d’utilité publique du port de la Pointe des Galets et du chemin de fer de Saint Pierre à Saint Benoît.
Concession gratuite pour 99 ans, des terrains à prendre sur les pas géométriques, réserves du domaine publique, pour la construction du port et du chemin de fer.
1877 :
Le 19 février, la convention annexée à la loi relative est approuvée.
Le 23 juin, la Chambre des députés et le Sénat adoptent la loi relative signée par le maréchal de Mac-Mahon, à la création d’un port à la pointe des Galets et à l’établissement d’un chemin de fer reliant ce port à Saint Pierre et à Saint Benoît.
Le 27 juillet, l’arrêté promulguant dans la colonie la loi du 23 juin est signé.
1878 :
Le 28 février, constitution de la Compagnie du chemin de fer et du Port de La Réunion (CPR)
Le port de Saint Pierre commencé depuis 1851, n’est pas encore livré et ne sera jamais adapté aux nouveaux navires à vapeur à fort tonnage qui veulent accoster à La Réunion, d’où le choix de construire un port à la pointe des Galets.
Début des travaux du port et du chemin de fer, les grands travaux commencèrent, dirigés par l’ingénieur M.Blondel.
La construction de ce moyen de communication présente de grandes difficultés dues au relief particulièrement accidenté de l’île, d’autant que les exploitations et les usines sucrières sont réparties sur toute l’île.
Créoles, Malgaches, Arabes, Piémontais, Africains, Égyptiens, Mauriciens, Métropolitains, Belges, Grecques, Hollandais, Turcs.
Une œuvre colossale qui nécessita plus de 8000 ouvriers pour construire une voie ferrée métrique longue de 126 km entre Saint Benoît et Saint Pierre en longeant le bord de mer. Il faudra compter 16 gares, 23 haltes, 34 ponceaux, 80 ponts, 5 viaducs, 2 passages supérieurs, 6 tunnels.
Des conditions de travail souvent pénibles et parfois au péril de la vie de ces ouvriers. Les fièvres, les maladies désorganisèrent les chantiers. De nombreux accidents se révélèrent meurtriers.
La Réunion paya cher un lourd tribut pour obtenir son chemin de fer et son port.
Si l’œuvre fut colossale, ces ouvriers modestes, anonymes, méritent bien un hommage aujourd’hui. La Réunion, dans son devoir de mémoire, ne peut les oublier.
Ainsi, 4 ans de travaux ( 1878-1882 ) ont été nécessaires pour la mise en place de ce moyen de transport révolutionnaire. Son coût important de 9 millions de francs était en rapport direct avec la géographie particulière de l’île.
1881 :
Le 9 Août, est inauguré, le trajet de la Possession à Saint Denis passant par le tunnel de la montagne, d’une longueur de 10,430km percé de galeries d’aération et d’un coût de 3 millions de francs.
1882 :
Le 11 Février, c’est l’inauguration avec le gouverneur Pierre Étienne Cuinier de la ligne de Saint Denis à Saint benoît.
Le 12 Février, c’est l’inauguration de la ligne de Saint Denis à Saint Louis. Le pont ferroviaire de la rivière St Étienne à Saint Louis n’étant pas encore terminé nous ne pouvions pas encore rejoindre Saint Pierre.
Le 15 Février, l’arrêté autorisant la mise en exploitation de la ligne du chemin de fer comprise entre Saint Benoît et Saint Louis est signé.
Le pont ferroviaire de la rivière St Étienne est enfin terminé, le pont le plus long de l’île avec une longueur de 520m.
Le 5 Juillet, l’arrêté autorisant la mise en exploitation de la ligne du chemin de fer comprise entre Saint Benoît et Saint Pierre est signé.
Pendant environ 80 années de 1882 à 1963 , le Chemin de Fer est à la pointe de sa technologie et sera incontournable. Il a rendu de bons et loyaux services et a permis enfin aux réunionnais de pourvoir se déplacer sur leur île en toute sérénité. Il a participé étroitement au développement agricole et industriel de l’île. C’était le premier employeur de l’île.
1886 :
Inauguration du Port de la Pointe des Galets
1887 :
Le 2 Décembre, arrêté relatif à la déchéance de la Compagnie du Chemin de Fer et du Port à la Réunion.
1888 :
Le 1er Janvier, le chemin de fer et le port devient la propriété de l’État.
1895 :
Le 22 Avril, le Port devient une nouvelle commune.
1910 :
Le train heurta une concurrence sérieuse, les premiers autocars.
1912 :
Naissance du syndicalisme à la Réunion.
Entre les marins, les dockers, les cheminots, les réunionnais sont informés des avancées sociales de métropole.
1937 :
18-25 Janvier, grève déterminante au CPR.
Développement des luttes syndicales, revendications, grèves. Développement des leaders syndicaux dont Léon De Lepervanche.
1940 :
Le 14 Mars, inauguration des premiers autorails pour lutter contre la concurrence des autocars. Les autorails arrivant au compte goutte ne pourront pas faire face à la concurrence routière.
1940-1942 :
D’Août 1940 à Novembre 1942, Blocus de la Réunion.
1946 :
Le 19 Mars, la Réunion devient département selon la Loi n° 45-451.
Le 13 Juin, adoption par le Conseil Général du principe de la suppression du CPR.
1950 :
Le 27 Décembre, décret portant dissolution du CPR et autorisant le Département de la Réunion à exploiter en régie directe le Chemin de Fer de la Réunion ( CFR ).
1951 :
1er Janvier, exploitation du CFR en régie directe par le Département.
1954 :
21 Avril, adoption par le Conseil Général du principe de la suppression progressive du CFR. 31 Juillet, la Direction Générale des Chemins de Fer et des Transports décide la fermeture progressive à l’exploitation du Chemin de Fer de la Réunion.
Au fil des années, devenu vétuste, le Chemin de Fer devient la risée de la Presse Locale et se retrouve délaissé par le public.
1956 :
Le 15 Mars, fermeture de la branche Sud, entre Saint Pierre et le Port.
1962 :
Le 26 Novembre, fermeture de la section entre Saint Benoît et Saint André.
1963 :
Le 15 Mars, fermeture pour le trafic des voyageurs de la ligne Saint André à Saint Denis. Le 1er Juin, ouverture de la 1ere route en Corniche, entre Saint Denis et la Possession. Le 31 Décembre, fermeture de la branche Nord, fin de l’exploitation du CFR.
1964 :
Le 1er Janvier, mise en place d’un service de secours ferroviaire entre Saint Denis et le Port.
1966 :
Suppression du service de secours ferroviaire entre la Possession et le Port.
1976 :
Le 5 Mars, ouverture de la route du littoral entre Saint Denis et la Possession. Suppression du service de secours ferroviaire.