chien errant

Peut-on réduire concrètement l’errance animale ?

ENTRETIEN AVEC LE SOUS-PREFET

En mars 2023, le nouveau sous-préfet de Saint-Pierre fraîchement nommé, Jean-Paul Normand, se voit confier la mission de coordination des forces actives sur le territoire sur la question de l’errance animale. L’objectif : améliorer l’efficacité des actions menées et réduire significativement le nombre de chiens errants et divagants dans l’espace public, qui ne cesse de croître. L’entretien avec Parallèle Sud a duré deux heures. La vidéo de 10 minutes synthétise le propos.

Parallèle Sud : Existe-t-il des chiffres actualisés sur l’augmentation de l’errance animale ? Les éleveurs estiment à près de 150 000 chiens errants sur l’ile à l’heure actuelle, qu’en pensez-vous ?

Jean-Paul Normand : Le préfet m’a missionné en mars 2023, sa volonté était qu’il y ait une coordination. Ca fait quelques années que le sujet de la divagation et de l’errance est sur la table. En 2018, une étude est conduite par le lycée agricole de Saint-Paul, elle évalue à 73 000 le nombre de chiens. Sur ces 73 000 chiens, il y a environ 40% qui seraient des chiens divagants, donc ils auraient un propriétaire. Moi je croyais naïvement que les animaux qui était en prédation et qui allaient attaquer les troupeaux, cherchaient de la nourriture, mais en fait non, ce serait plutôt des parties de chasse.

Les chiffres n’ont pas été actualisés depuis 2018. Nous avons en moyenne 5 000 nouveaux chiens errants par an.

On en euthanasie 8 à 10 000 par an, ce qui fait qu’on est quand même le département français qui est dans le top 3 des euthanasies annuelles, voire nous sommes sur la première marche du podium ! Ce n’est pas très bon pour l’image de La Réunion…

Entre 5 000 et 7 000 chiens ramassés sur les routes par an

Si vous considérez qu’on ramasse entre 5 et 7000 chiens sur les routes chaque année, vous pouvez faire un calcul simple. On devrait être bien en dessous de 73 000, mais personne n’a le sentiment que ça a baissé. Au contraire, on a l’impression qu’il y en a toujours autant, si ce n’est plus. Alors j’ai vu que les les éleveurs et les agriculteurs vous disent qu’il y en a 150 000, ça me paraît beaucoup mais je ne peux pas vous dire non. La réalité, c’est qu’on ne le sait pas. On a des estimations, mais ce qu’il nous faut, ce sont des bases scientifiques fiables. Pour piloter les politiques publiques, nous avons besoin d’un outil réactualisable. L’étude, au bout de 5 ans est obsolète.

Quelles sont les actions menées actuellement ou qui sont en préparation ?

Au sein du comité scientifique, (qui réunit les vétérinaires, la Daaf, les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), les communes, les forces de l’ordre…) on a décidé de mettre sur pied une application informatique qui ferait le bilan, qui proposerait une photographie à l’instant T de ce qu’il se passe sur le territoire. Elle serait alimentée d’abord par les institutionnels et les professionnels, avec peut-être la possibilité d’ouvrir au grand public mais dans un deuxième temps. L’idée, c’est de savoir avec cette base, combien on a répertorié de chiens, où se trouvent les meutes, où ont eu lieu les attaques, combien on a eu de stérilisations, d’identifications etc. Le Cirad est conventionné pour suivre la mise en place de cette application.

Cages dernier cri, lecteurs de puces et stérilisations

Autrement, nous souhaitons relancer une étude – avec l’Insee ou d’autres organismes que nous sommes en train de contacter – pour évaluer à l’instant T combien il y a de chiens dans les foyers, est-ce qu’ils sont identifiés ou pas, est-ce qu’ils sont stérilisés… C’est assez compliqué, pour faire cela, il faut toujours en général profiter d’une étude que conduit l’organisme sur un autre thème pour visser la petite question qui nous intéresse. Ca nous permettrait alors de quantifier quelle est la proportion d’animaux abandonnés, errants et divagants.

Nous avons financé une action de sensibilisation pour les marmailles de collège et primaire sur trois ans. Les deux kits avaient été initialement conçus par des associations de protection animale et ils ont été remaniés par l’Éducation nationale pour les besoins de l’instruction. L’objectif est de sensibiliser la jeunesse et les enfants à la bienveillance animale, d’avoir une action plutôt dans la prévention.

Des fiches réflexes ont été rédigés pour améliorer les réactions en fonction des situations, des référents ont été formés au sein des différents services afin de coordonner l’action, on a fait une grande campagne de communication pour sensibiliser le grand public et rappeler les gens à leurs obligations… On a aussi acheté des cages dernier cri que l’on a mis à disposition des EPCI pour la capture des animaux. On a acheté aussi des lecteurs de puces pour les forces de l’ordre qu’on a distribués à tous les commissariats, toutes les polices municipales, à toutes les brigades de gendarmerie… Et puis on vient en aide aux collectivités pour soutenir financièrement leurs actions de stérilisation. On essaie d’harmoniser les politiques de stérilisation et d’identification sur tout le territoire.

Un des problèmes auxquels sont confrontées les associations est aussi l’augmentation du prix des billets d’avion qui ne permet plus d’envoyer les animaux à l’adoption en France…

Nous avons rencontré les compagnies aériennes pour voir si on pouvait avoir des tarifs préférentiels. On ne peut pas forcer les compagnies à baisser les prix de leurs transferts d’animaux parce que c’est la liberté du commerce et elles sont seules maître à bord. En revanche, on discute avec elles pour voir s’il est possible de mettre en place un dispositif particulier.

Tarifs préférentiels dans les avions ?

L’idée serait de pouvoir avoir une liste d’associations agréées enregistrées auprès de la Daaf, qui pourraient bénéficier d’un tarif préférentiel ou de commandes groupées en fret, ce qui leur reviendrait moins cher pour envoyer les chiens vers l’hexagone.

Que pensez-vous du dispositif de « chiens communautaires » ?

Du point de vue des engagements financiers, il y a eu le plan de relance avec 4 millions d’euros dont 600 000 euros qui concernaient la prise en charge des animaux, la stérilisation, l’identification. Cette mesure ne concernait pas le « chien communautaire ». Le dispositif de « chiens communautaires » répond à un cadre strict qu’il faut respecter. En soi, il n’y a pas de raison d’être contre l’idée en elle-même, les spécialistes disent que c’est un moyen de réduire la présence animale dans l’espace public mais il faut respecter la législation.

Le dispositif « chiens communautaires » a fait ses preuves dans certains pays, mais est-ce qu’il est adapté à La Réunion avec ses plus de 73 000 chiens dans les rues ? Le dispositif est quand même contraignant. Le chien doit avoir fait l’objet d’une évaluation comportementale, on ne met pas un chien réputé dangereux dans ce dispositif là. Mais quand le chien voit une bande de copains, il va faire quoi ? Il y a l’instinct de meute, et là, il va faire un tour, peut-être un peu de prédation, voire d’agressivité… C’est un dispositif qui a son intérêt mais il faut pouvoir l’appliquer dans de bonnes conditions. Il ne me semble pas aujourd’hui répondre aux besoins que nous avons, même si les maires peuvent l’appliquer s’ils le souhaitent.

80 pétrels pour 1 chat

Les chiens dans l’espace public représentent un risque d’accidentologie, de maltraitance, un risque de transmission de maladie à l’homme, mais peuvent aussi être à l’origine d’attaques. On l’a encore vu récemment au Tampon. Y compris du point de vue environnemental, c’est pas très bon non plus. On parle des chiens, mais un chat en prédation par exemple, c’est 80 pétrels par an…

Et que pensez-vous du dispositif de « chats libres » ?

C’est un sujet que l’on voit moins mais ça peut être très intéressant. Ce dispositif porte sur un groupe de chats qui sont attrapés, identifiés et stérilisés, il y a aussi un arrêté municipal. Seulement ici, on est en bordure de parc très souvent. Donc dans certains territoires, ça peut être intéressant, en milieu urbain par exemple, mais posez la question aux personnes qui travaillent au Parc national et qui ont pour mission première de préserver la biodiversité…

C’est un dispositif légal, il est fait pour être appliqué, mais est-ce que ça correspond à nos besoins, aux enjeux de notre territoire ? Là, je ne suis pas en mesure de vous dire oui. Et puis c’est toujours pareil, il faut avoir les moyens de les suivre ces animaux.

400 chiots pour une chienne non stérilisée en trois ans

Après, que le chat soit identifié et stérilisé, c’est une bonne chose parce qu’une chatte stérilisée, c’est 600 naissances évitées en trois ans (un chat peut avoir 6 à 8 chatons tous les six mois) ! Et une chienne stérilisée, c’est 400 chiots évités en trois ans !

On m’a alertée sur des mises en liberté de chiens que faisaient l’association Apeba en dehors des normes, ainsi que sur la position de la présidente de l’association qui serait un peu, disons, des deux côtés de la balance. Elle travaille comme experte au Cirad, elle a son association de protection animale, elle aurait des contacts bien placés à la Daaf… Elle a d’ailleurs obtenu 325 000 euros du plan France Relance ce qui interroge certaines personnes. Qu’en pensez-vous ?

On dit beaucoup de choses. En tous cas, de mon côté, lorsque je m’adresse au Cirad, je veux qu’il y ait un vétérinaire compétent derrière, ce qui est son cas, et je rencontre cette dame à ce titre, lorsqu’elle vient travailler sur un sujet particulier. Mais mon interlocuteur à moi c’est le directeur du Cirad.

En ce qui concerne la Daaf, il faudrait leur demander directement. Nous avons réussi à obtenir qu’un agent de la Daaf soit dédié à la mission de l’errance à temps plein. Je travaille avec cette personnes plusieurs jours par semaine. De mon point de vue, la Daaf fait son travail en toute impartialité.

Apeba a obtenu des financements dans le cadre du Plan de relance. C’est une période que je méconnais, mais l’association n’a pas obtenu 300 000 euros pour faire du « chien communautaire » mais pour de la stérilisation, de l’identification, des actions de communication, de formation, enfin toute une série de mesures.

Le monde associatif est quand même très divisé sur ces questions et il y a une vraie guerre entre certaines associations. Moi je travaille avec tout le monde. L’Etat ne peut pas se permettre d’avoir un parti pris. On a une seule mission, c’est de réduire cette présence animale sur l’espace public et il faut que on ait affaire à tous les interlocuteurs compétents, y compris les associations.

« Rappeler le cadre »

Mais il est clair que sur ce sujet de la protection animale, il y a un élément qui est très présent : c’est la passion. Et l’investissement des militants là-dedans peut aller loin. En ce qui concerne Mme Squarzoni, dans sa position, il faut pouvoir faire la part des choses, il faut pouvoir se dissocier, et c’est vrai que ce n’est pas facile.

En tous cas, à notre niveau, nous ne finançons aucune association. Et je n’hésite pas, lorsqu’il faut le faire, à prendre ma plume et rappeler le cadre réglementaire, comme lorsque j’ai écrit aux maires au sujet du dispositif légal de « chiens communautaires ».

Quel bilan dressez-vous de ces presque deux années de mission sur la question de l’errance animale ?

On n’a pas chômé. On n’arrête pas, il y a cinq personnes qui s’en occupent ici, mais pas à temps plein. On fait des réunions quasiment toutes les semaines, on gratte beaucoup de papiers. Mais comment voulez-vous qu’on revienne sur 30 ou 40 ans en quelques mois ? Parce qu’avant il n’y avait pas de service dédié à la Préfecture sur le sujet, c’est le préfet Filippini qui avait considéré qu’il y avait besoin de coordination.

Est-ce que pour vous, il existe aujourd’hui plus de sensibilités à la cause animale ou une réelle augmentation des violences et des actes de cruauté?

Moi, je m’occupe de l’errance, tout ce qui concerne la maltraitance et peut impliquer une intervention judiciaire est traité par le cabinet de la Préfecture à Saint-Denis. Je n’ai pas les chiffres exacts mais ce que je peux dire, c’est qu’il y a une tendance à la hausse du nombre de signalements de sévices graves et de mauvais traitements infligés aux animaux. Mais il n’y a pas une procédure qui aboutit à chaque signalement. Desfois c’est juste quelqu’un qui va signaler le chien qui aboie de son voisin.

Plus de signalements que par le passé

Si on veut être efficace, il faut aller sur les sujets plus graves. Il faut étayer son signalement. Penser au fait que si un équipage de police se rend sur un signalement inopérant, il aura perdu son temps et il sera peut-être passer à côté de quelque chose d’autre de plus grave.

En ce qui concerne les actes de cruauté envers les animaux, moi j’aurais tendance à dire que ça existait peut-être pas de cette façon là. Mais je pense que c’est surtout c’est quelque chose dont on parle plus facilement qu’avant et c’est quelque chose qui est plus facilement signalé qu’avant.

Avez-vous d’autres leviers pour agir plus efficacement sur l’errance animale ?

On a l’habitude ici d’ouvrir la porte à l’animal, il va se balader et il revient le soir manger ses croquettes. Mais comment faire comprendre au grand public que la divagation ça peut être un problème ? L’animal peut mordre, il peut se faire écraser, il peut faire des petits s’il n’est pas stérilisé etc. La divagation est interdite et normalement elle entraîne une amende. La tendance est à la hausse mais on ne peut pas augmenter d’un coup, ça risque d’avoir un effet inverse avec des gens qui pourraient ne plus vouloir identifier leur animal.

Parmi les mesures sur lesquelles on travaille, on a proposé que les animaux qui se font attraper par la fourrière soient stérilisés systématiquement même sans consentement. Si l’animal n’est pas identifié, il sera identifié puisque c’est une obligation, et le propriétaire devra payer l’identification ainsi que les frais de garde. On a fait la demande pour cela mais c’est un travail au long cours parce que le maquis de la réglementation est quand même assez dense.

L’autre question, c’est aussi, est-ce qu’on a les moyens à la hauteur de l’enjeu ? Au niveau des capacités d’accueil, on a 296 places pour chiens et 60 pour chats en fourrières et 254 chiens et 61 chats pour les refuges. Ca fait peu quand on met à côté le chiffre des chiens errants et divagants. Le territoire de l’Ouest par exemple sont en train d’investir pour créer une fourrière, refuge, dispensaire. Nous, l’Etat, avec nos dotations, nous avons ce levier là d’appuyer l’investissement des communes ou des EPCI s’il y a une création de fourrière ou de refuge.

Entretien : Jéromine Santo-Gammaire

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.

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