Mise à l'abri partielle de demandeurs d'asile organisée par la préfecture de Mayotte.

Politique migratoire : la France durcit le ton, sans garantie d’efficacité

Entre réforme radicale à Mayotte, durcissement des règles en centre de rétention administrative (CRA), contrôles policiers ciblés et des images de gendarme crevant des bateaux dans le Nord de la France, la politique migratoire française connaît un tournant autoritaire. Loin de répondre aux défis réels de l’immigration, ces mesures interrogent leur efficacité, leur coût, et surtout, leur compatibilité avec les principes de l’État de droit.

Mayotte : la fin du visa territorialisé et des mesures controversées

Le 24 juin dernier, l’Assemblée nationale a définitivement adopté plusieurs dispositions encadrant l’immigration à Mayotte. L’une d’entre elles, très symbolique, prévoit la suppression du visa territorialisé à l’horizon 2030. Ce dispositif, en vigueur depuis les années 1990, empêchait les ressortissants comoriens d’utiliser leur visa délivré à Mayotte pour se rendre dans les autres départements français, notamment La Réunion ou la métropole. La suppression de cette exception, ardemment défendue par la gauche et les élus de Mayotte, est perçue comme une avancée vers l’égalité territoriale, mais elle suscite également de vives inquiétudes quant à ses conséquences migratoires et sociales notamment chez les élus réunionnais.

Dans le même texte, plusieurs autres mesures controversées ont été votées comme la possibilité de retirer un titre de séjour à un parent d’enfant délinquant — une disposition qui introduit de facto une logique de responsabilité collective — et la restriction de l’accès au regroupement familial, pourtant garanti par plusieurs textes internationaux. Les députés ont également réintroduit un article qui avait pourtant été enlevé suite au travail de la commission et qui permettra dorénavant de placer en zone de rétention des mineurs qui accompagnent des adultes qui feraient l’objet d’une mesure d’éloignement. 

Ces décisions interviennent dans un contexte explosif : plus de 77 % de la population de Mayotte vit sous le seuil de pauvreté, selon l’Insee, et l’île connaît une pression migratoire exceptionnelle avec environ 50 % de sa population estimée d’origine étrangère, en majorité comorienne. 

CRA : d’un outil d’éloignement à une logique d’enfermement

Les centres de rétention administrative (CRA), qui ont été conçus à l’origine pour retenir temporairement les personnes étrangères sous le coup d’une mesure d’éloignement, sont en train de voir leur fonction originelle profondément transformée. Deux textes en cours d’examen parlementaire témoignent de cette évolution.

Le premier, voté au Sénat le 18 mars dernier et examiné à l’Assemblée nationale le 8 juillet, prévoit l’allongement de la durée maximale d’enfermement de 90 à 210 jours pour les étrangers ayant été condamnés à une peine de prison d’au moins cinq ans ou qui constituent une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. Une mesure défendue comme un outil de lutte contre l’impunité, mais qui interroge à plusieurs niveaux. 

D’abord parce que l’augmentation de la durée de rétention n’a jamais permis d’augmenter significativement le nombre d’expulsions. Selon la Cimade, alors que la durée d’enfermement moyenne a augmenté de 2017 à 2024 en passant de 12,8 à 32,8 jours, on décompte 10 114 expulsions en 2017 et seulement 5718 en 2024.

Ce désalignement entre enfermement et éloignement questionne profondément la légitimité de ces centres. En prolongeant la rétention sans résultats concrets, l’État semble leur assigner une fonction punitive, alors même que les personnes qui y sont enfermées n’ont pas été condamnées par un juge pénal. 

C’est aussi la notion de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public qui pose problème . En effet, cette notion obscure peut laisser place à une interprétation plus ou moins large alors qu’elle n’a pas de définition juridique précise. Une interprétation qui dans le cadre du contentieux des étrangers se base sur la commission d’infractions pénales mais aussi sur l’observation des comportements de la personne concernée. Le Conseil d’Etat a parfois même considéré qu’un comportement légal pouvait être constitutif d’une menace pour l’ordre public. 

Le second texte, adopté le 12 mai au Sénat, propose de retirer aux associations comme La Cimade la mission d’assistance juridique dans les CRA, pour la confier à l’administration (l’OFII). Ce changement, dénoncé par les associations défenseurs des droits, remettrait en cause l’indépendance de l’accompagnement juridique offert aux retenus comme l’expliquait Pauline Raï, 

L’allongement de la rétention apparaît ainsi comme une reconnaissance implicite de l’échec de la politique d’expulsion menée depuis plusieurs gouvernements successifs. Plutôt que de remettre en question une politique inefficace, l’État semble choisir de prolonger l’enfermement, au mépris du droit et de la dignité humaine.

Contrôles au faciès : une ligne rouge franchie

Dans la continuité de ce durcissement, la fin du mois de juin a vu se multiplier des opérations de contrôle ciblées, menées dans plusieurs villes françaises à la suite de consignes données par le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau. Les 18 et 19 juin dernier, c’est près de 4000 agents de police qui ont été mobilisés dans les villes de l’hexagone pour procéder à des contrôle d’identité lors de cette opération de contrôle des étrangers. 

Une chasse aux sans-papiers qui s’apparente au regard des chiffres à une opération de communication. Sur les deux jours, c’est seulement 691 personnes interpellées avec selon les associations de défense des droits peu de personnes placées en rétention et peu de chiffres officiels communiqués. Accusé de toute part d’avoir outrepassé les textes légaux qui normalement encadrent strictement les contrôles d’identité et d’avoir encouragé des contrôles au faciès, le ministre de l’intérieur a salué l’action des forces de l’ordre et ce message envoyé aux « candidats à cette immigration irrégulière et donc à la fraude ». 

Dans un communiqué en date du 19 juin, la ligue des droits de l’homme (LDH) dénonce cette « xénophobie croissante, alors que les pratiques de non-accueil dans les préfectures et les  nouvelles dispositions ubuesques de la loi Darmanin sont à l’origine de la fabrique des sans-papiers ».

Une politique au détriment des droits humains

Dans le sillage de cette opération de com’ on peut aussi citer cette vidéo de la BBC diffusée le 4 juillet dernier qui montre des gendarmes en train de crever une embarcation pneumatique alors que des femmes, hommes et enfants sont à l’intérieur et s’apprêtent à prendre la mer pour rejoindre le Royaume-Uni. Alors que du côté du gouvernement britannique on se réjouit de ces “nouvelles tactiques” pour lutter contre l’immigration irrégulière, ces images ont créé une véritable polémique et mis en lumière encore une fois une politique migratoire française qui se fait au détriment du respect des droits humains.

En réponse à une publication Linkedin de l’ancien directeur de la police aux frontières, Fernand Gontier, Nikolaï Posner, ancien coordinateur de la communication d’Utopia 56, dénonce d’ailleurs une hausse des décès de personnes exilées à moins de 300 mètre du rivage depuis le renforcement des moyens policiers il y a deux ans. Il dénonce cette intervention qui n’est qu’une campagne de communication destinée à justifier les fonds perçus par le Royaume-Uni alors même que sur les cinq derniers jours, plus de 2000 personnes ont rejoint l’archipel britannique.

Le glissement est d’autant plus préoccupant que, couplé aux mesures précédemment évoquées, il suggère un changement de paradigme : il ne s’agit plus seulement de gérer la présence irrégulière sur le territoire, mais de criminaliser la migration elle-même, en multipliant les outils de contrôle, de rétention et de stigmatisation.

Une politique à haut coût

Ce virage sécuritaire, que l’exécutif continue de nier, entraîne un coût humain et budgétaire considérable. Il nourrit également une confusion croissante entre justice administrative et logique pénale, entre politique migratoire et logique de bouc-émissaire.

Selon Pauline Raï, les deux nouvelles lois concernant les CRA sont d’ailleurs “incohérentes dans une perspective de réduction des coûts liés à l’enfermement des personnes étrangères“, rappelant que l’enfermement a déjà un coût annuel de plus de 220 millions d’euros pour l’État. À titre de comparaison, l’aide juridique assurée par les associations représente moins de 3 % de cette somme, soit environ 6,5 millions d’euros.

À l’heure où les moyens de l’État sont contraints, ces décisions posent une question simple mais essentielle : pourquoi prolonger des dispositifs coûteux, inefficaces et stigmatisants, quand des alternatives plus respectueuses des droits et des personnes existent ? C’est d’ailleurs l’objectif de la commission d’enquête parlementaire mise en place fin juin, avec à sa tête Charles Alloncle, député UDR. Elle évaluera le coût des dispositifs pour lutter contre l’immigration irrégulière mais aussi ce que celle-ci apporte à la société française. 

Olivier Ceccaldi

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Olivier Ceccaldi

Photoreporter.

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