DECRYPTAGE
Depuis les dernières élections européennes et le premier tour des législatives, le discours sur la majorité absolue ou relative du RN à l’Assemblée nationale est partout. En regardant de près les résultats du premier tour, la domination de l’extrême droite est principalement le fait du mode électoral.
Au niveau national, rappelons que le premier parti de France est celui des abstentionnistes qui représente 33,29 % des inscrits, malgré une forte mobilisation. Le Rassemblement national arrive en tête avec un taux de 19,01 %, juste devant l’Union de la gauche qui a reçu 18,19 % des votes des inscrits. L’écart de voix entre ces formations politiques est de seulement 402 731.
L’Union de l’extrême droite (Les Républicains alliés au RN) ajoute 2,54 % tandis que diverses listes de gauche accumulent 1,89 %.
Au plan national, c’est donc 21,55 % des inscrits qui ont voté pour le RN et ses alliés, 20,08 % pour la gauche unie. Les macronistes arrivent troisième avec 13,02 %.
Une France extrême, vraiment ?
Avec de tels résultats, nous voyons clairement que si l’extrême droite arrive en tête, ce n’est pas non plus un raz-de-marée. Ainsi, elle ne représente pas moins d’un inscrit sur cinq et pas plus d’un inscrit sur quatre. Le pays n’a pas sombré dans le fascisme ! Certes, l’idéologie de repli, de rejet, de confrontation, gagne du terrain. Certes, de nombreux électeurs sont désabusés et ne savent plus pour quoi, pour qui voter. Mais non, la France et les Français ne sont pas d’extrême droite puisqu’ils sont plus de 75 % à n’avoir pas voté ou à ne pas avoir voté pour un parti d’extrême droite.
Ce discours médiatique permanent qui nous abreuve de la grande domination du RN participe activement à sa normalisation et au sentiment que notre pays serait tombé aux mains de l’extrême droite en nous comparant à d’autres pays. Mais cela en oubliant au passage les différences entre les modes de scrutin qui jouent pourtant un rôle majeur dans la représentativité.
Le scrutin majoritaire à deux tours
Depuis l’avènement de la Cinquième République, nous élisons nos députés au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Pour être élu dès le premier tour, un député doit obtenir la majorité absolue, c’est-à-dire plus de la moitié des suffrages exprimés, et un nombre de suffrages au moins égal au quart des électeurs inscrits. L’élection des députés peut comporter un second tour si aucun candidat n’y parvient, et ne peuvent se présenter que les candidats ayant obtenu au premier tour un nombre de suffrages au moins égal à 12,5 % des électeurs inscrits. Pour être élu au second tour, la majorité relative suffit : l’emporte donc le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages.
Ce mode de scrutin a l’avantage de la simplicité, et permet généralement la constitution d’une majorité stable et capable de gouverner sans blocage. Cependant, sa limite est un moindre pluralisme, donc une moindre représentation de la diversité du corps électoral, contrairement à un scrutin proportionnel.
Notre mode de scrutin, qui a longtemps favorisé les partis “classiques gouvernementaux”, favorise aujourd’hui le RN. Emmanuel Macron, et d’autres avant lui, avait annoncé intégrer une dose de proportionnelle. Il a relancé en début d’année cet « engagement » de campagne pris en 2017 et réitéré en 2022. L’ironie est que c’est au sein de sa majorité qu’une résistance s’est constituée par crainte que cela n’avantage le RN. Une belle erreur ! D’abord une erreur démocratique car plus que jamais les citoyens ont besoin d’être représentés de façon juste. Ensuite, une erreur de calcul car nous le voyons aujourd’hui, si nous avions la proportionnelle, l’Assemblée serait plus équilibrée avec un RN plus bas, plus proche du score électoral réel.
La peur n’évite pas le danger, c’est bien connu. À trop craindre que le RN ne soit présent en force à l’Assemblée, il est à cet instant à quelques encablures du pouvoir.
La proportionnelle pour la démocratie
Les pourfendeurs des élections à la proportionnelle prennent comme exemple majeur la Quatrième République. C’était un régime parlementaire avec une prédominance du Parlement dans le système institutionnel. Celui-ci contrôlait étroitement le gouvernement en intervenant dans sa composition par le biais de l’investiture, et en mettant fréquemment en cause sa responsabilité.
Nous sommes actuellement dans un régime présidentiel, donc bien différent. Intégrer la proportionnelle aux législatives permettrait une représentation politique bien plus réaliste et obligerait sans doute des constitutions de coalitions. N’est-ce pas l’esprit même de la démocratie que d’avoir une représentativité honnête et des partis qui s’entendent sur un programme ?
Depuis des décennies, les pouvoirs successifs ont promis et n’ont pas mis en œuvre une dose ou la proportionnelle intégrale. Ce manque de courage politique s’explique par la peur de voir sa propre majorité perdre le pouvoir au profit d’une coalition. Il est encore temps de faire vivre la démocratie ! Que le prochain gouvernement mette en place cette réforme électorale, c’est indispensable. Sinon, nous continuerons d’être gouvernés par des minorités en chiffres mais majorités en élus avec les dérives et les risques que cela comporte.
Jean Fauconnet