INTERVIEW D’ÉRIC ALENDROIT
A la suite de la publication hier d’un article relatant la présence de restes humains d’esclaves réunionnais dans les réserves du Musée National d’Histoire Naturelle de Paris, Parallèle Sud a demandé l’avis de militants culturels sur cette découverte et la suite qui pourrait lui être donnée à travers une demande de restitution pour inhumation ou exposition dans un musée. Eric Alendroit , président d’Ankraké nous donne sa vision des choses.
Parallèle Sud : Des crânes et des bustes d’esclaves réunionnais ont été retrouvés dans les réserves du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris, révélant une part méconnue de l’histoire coloniale et scientifique de La Réunion. Selon vous, cette découverte justifie-t-elle une demande officielle de restitution au nom du devoir de mémoire ?
Eric Alendroit : Pour être honnête, je ne dispose pas de toutes les informations sur cette collection et son statut actuel. Mais il serait intéressant de voir si un musée réunionnais, comme le Musée de Villèle, qui a pour projet de devenir un musée d’histoire de l’esclavage et de la plantation, s’est manifesté sur cette question. Si cela n’a pas encore été fait, ce serait une initiative pertinente.
Sur le principe, il est clair que ces restes devraient être restitués à La Réunion. Ce sont des éléments concrets qui participent à une meilleure connaissance de l’histoire de l’esclavage. C’est notre histoire, bien qu’elle soit aussi celle de la France. Nous devons pouvoir y accéder, les étudier et transmettre cette mémoire.
Certains pourraient être réticents à l’idée que ces restes soient restitués au Musée de Villèle, car ce dernier est installé sur une ancienne plantation esclavagiste. Pour vous, est-ce l’endroit légitime pour les accueillir ?
C’est justement pour cela que j’ai précisé que ce musée est en cours de transformation. Il vise à devenir un musée de l’histoire de l’esclavage et de la plantation, et non plus un simple espace qui présente la vie d’une famille esclavagiste à travers ses meubles et ses murs. Aujourd’hui, son ambition est bien plus large : il aborde le phénomène esclavagiste dans l’océan Indien et ses conséquences.
Dans cette optique, il pourrait être un lieu adapté pour accueillir ces restes, qu’il s’agisse de bustes ou de moulages de crânes. L’important est que cela serve la transmission de la mémoire et l’approfondissement de notre compréhension de cette période.
Pensez-vous que ces restes devraient être exposés ou inhumés ?
Il est indispensable d’établir un protocole respectueux, un rituel qui permette de rendre hommage à ces individus. L’inhumation peut être une option, mais elle ne doit pas effacer l’accès à ces témoignages. Si inhumer signifie ne plus pouvoir les étudier ou les transmettre, alors ce n’est pas la bonne approche.
L’histoire de l’esclavage est douloureuse, mais il ne faut pas la rendre invisible. Nous devons préserver ces traces pour que les générations futures puissent comprendre. Ce serait une erreur de les cacher sous prétexte de respect. Une solution intermédiaire pourrait être d’inhumer les originaux tout en conservant des moulages accessibles au public. Ce n’est pas incompatible.


Opposer des obstacles juridiques pour retarder ces restitutions, c’est du déni.
Ces esclaves qui ont été moulés et dont les crânes ont été conservés ont un nom. Une recherche pourrait-elle être faite pour retrouver leurs descendants ?
C’est une piste intéressante. Ankraké est une association à vocation généraliste, et nous ne pouvons pas tout mener de front. Mais un travail généalogique serait pertinent, car il permettrait d’enrichir notre connaissance historique. Ces restes sont des témoignages qu’il faut préserver, rendre accessibles et exploiter autant d’un point de vue sensible et mémoriel que scientifique. L’étude des noms, de leur transformation et des filiations pourrait apporter des éléments clés pour comprendre leur parcours.
Il existe déjà à La Réunion des organismes qui mènent ce type de recherches généalogiques. Nous ne serions pas les initiateurs directs, mais nous pourrions soutenir et encourager une telle initiative en apportant notre expertise et notre sensibilisation sur ces questions.
Certaines associations militent pour la restitution des restes humains conservés dans les musées français. Vous engageriez-vous dans une démarche similaire pour La Réunion ?
Oui, je soutiens totalement cette démarche. L’exemple de la restitution de la Vénus hottentote à l’Afrique du Sud, après des années de combat, montre que c’est possible. Opposer des obstacles juridiques pour retarder ces restitutions, c’est du déni. Ce sont des prétextes pour éviter d’assumer une responsabilité historique.
Le droit n’est pas figé, il évolue en fonction de la volonté des hommes. Si nous reconnaissons que ces pratiques étaient des crimes, alors nous devons prendre les mesures pour les réparer. Nous avons déjà vu que d’autres cas, comme les restes humains exposés dans les « zoos humains » des XIXe et XXe siècles, ont suscité des revendications et des mobilisations.
Mais il y a aussi un enjeu de dépendance. Ceux qui revendiquent ces restitutions se retrouvent souvent pris dans une relation de contre-dépendance, attendant la validation ou l’autorisation de ceux qui détiennent ces objets. Nous devons sortir de cette posture et entrer dans une logique d’interdépendance. Il ne s’agit pas seulement de demander, mais de se donner les moyens d’agir, de récupérer notre histoire et de construire nos propres espaces de mémoire, sans avoir à attendre une reconnaissance extérieure. Trop souvent, l’attente de la restitution maintient les peuples dominés dans une situation de passivité et d’infériorisation. Il faut en sortir.
On a à construire des espaces de transmission, à encourager des chercheurs. Saisissons nous des réalités et faisons en sorte de nous émanciper sans dépendre des technocrates. Placer la solution chez les autres, c’est prendre le risque de se faire balader.
Entretien : Léa Morineau
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