Présidentielle : la mémoire de l’esclavage s’invite dans la campagne

[VU DE PARIS]

Des députés de tous bords politiques ont signé jeudi 10 février une proposition de résolution visant à sanctionner les propos négationnistes ou minimisant l’esclavage, crime contre l’humanité. Le même jour, la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME) interpellait les candidats à la présidentielle. (Le tableau qui illustre cet article est de François-Auguste Biard)

Olivier Serva, Assemblée nationale, février 2022, Paris

« L’horreur dont nous parlons s’étire sur 400 ans. Mathilde Panot prend la parole lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale, à Paris, jeudi 10 février : la députée (La France Insoumise, LFI), co-signataire d’une proposition de résolution portée par les élus ultramarins, plaide d’une voix forte, avec émotion et conviction. La capture, les tueries, les sévices sexuels, les tortures, les coups, les viols, la déportation, la mise en esclavage. Voici la réalité nue de l’esclavage et de la traite négrière, période pendant laquelle l’humanité donnait à voir la plus cruelle et désolante part d’elle-même. Le système qu’est l’esclavage n’est rien d’autre qu’une interminable nuit de douleur et de violence. Nier cette histoire, c’est nier le poison du racisme, nier qu’une partie de l’humanité a déshumanisé ses semblables Noirs, en promouvant la hiérarchisation des races. »

Depuis la loi mémorielle de mai 2001, portée par Christiane Taubira, l’esclavage est reconnu comme un crime contre l’humanité mais « le plan pénal de cette loi est inopérant, déplore Olivier Serva, député (La République en marche, LREM) de Guadeloupe et président de la délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale. C’est-à-dire que le fait d’être négationniste, de dire que cela n’a pas été si grave que cela, que cela n’a pas existé, ne peut pas être puni. Et ce pour des raisons compliquées et juridiques liées au Conseil constitutionnel, au principe de respect de la liberté d’expression, de la loi sur la liberté de la presse de 1881, de tribunaux qui n’ont pas pu se prononcer parce que l’esclavage a été aboli il y a 170 ans… Donc, avec cette proposition de résolution, il s’agit avant tout d’interpeller le gouvernement sur une situation injuste. »

Et de faire entendre une voix dissonante sur un sujet inflammable à quelques semaines de l’élection présidentielle d’avril prochain. Même si cette proposition de résolution intervient à un moment très tardif de la mandature – l’Assemblée nationale va cesser ses travaux à la fin du mois – elle n’arrive pas dans le débat public à un moment choisi au hasard. « On voit dans la presse, les radios et les télévisions à forte audience que certains ou certaines, Christine Angot, Éric Zemmour, par exemple, minorent, hiérarchisent les souffrances et les douleurs, poursuit Olivier Serva. Nous dénonçons cela. Nous disons fermement, avec l’ensemble des groupes parlementaires, que ces propos doivent être sanctionnés parce qu’ils sont l’antichambre du racisme. »

Lutte contre le racisme

En métropole et dans les médias nationaux comme les radios nationales et les chaînes d’information en continu, la parole d’extrême-droite domine les débats de la campagne pour l’élection présidentielle. « Trop de déclarations ne visent qu’à opposer les Français entre eux, à travestir les réalités historiques, confirme Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME), là encore dans une allusion transparente au candidat d’extrême-droite Éric Zemmour. À l’occasion de ces élections présidentielle et législatives, la France s’interroge sur ce qu’elle est, là où elle veut aller. C’est pourquoi nous avons décidé d’interpeller les candidats à la présidentielle. »

La Fondation pour la mémoire de l’esclavage a envoyé un questionnaire à tous les candidats et candidates déclarées, comptant dix questions et leur proposant de s’engager pour, par exemple, « soutenir la recherche française sur l’esclavage, la traite, leurs abolitions et leurs héritages » ou encore « faire de la lutte contre le racisme et les discriminations sur l’origine une priorité de [leur] action ».

Jeudi 10 février, à Paris, les conférences de presse de ces deux initiatives de porter une parole anti-raciste dans la campagne présidentielle n’ont rencontré que peu d’écho. Elles n’ont attiré aucun représentant de la presse nationale audiovisuelle ou de chaîne d’information en continu. La proposition de résolution visant « à incriminer les propos négationnistes de l’esclavage, crime contre l’humanité » n’a qu’une chance infime d’être adoptée en raison du calendrier parlementaire très contraint, à la toute fin de la mandature. La Fondation pour la mémoire pour l’esclavage (FME) est, pour sa part, très critiquée pour son manque de réalisations concrètes depuis sa mise en place par le gouvernement en novembre 2019 : le mémorial des victimes de la traite, une promesse présidentielle qui devait voir le jour en plein Paris dans le jardin des Tuileries, est un projet toujours au point mort.

Dans son discours en soutien à ses collègues ultramarins, la députée de la France Insoumise Mathilde Panot estimait que malgré les difficultés, porter cette parole n’est pas inutile parce qu’« il est de cette histoire des survivances dans le présent. Chaque parole a un retentissement, convoque des imaginaires, forge des représentations, produit, au fond, une réalité. Lorsque celle-ci est déformée, mensongère, elle ravive les blessures, insulte la mémoire et reconduit une violence. L’esclavage n’a pas été aboli par la bonne volonté de l’État, mais d’abord par la longue et patiente lutte des esclaves eux-mêmes. La liberté n’existe pas – jamais – sans ses défenseurs. »

Julien Sartre

A propos de l'auteur

Julien Sartre | Journaliste

Journaliste d’investigation autant que reporter multipliant les aller-retour entre tous les « confettis de l’empire », Julien Sartre est spécialiste de l’Outre-mer français. Ancien correspondant du Quotidien de La Réunion à Paris, il travaille pour plusieurs journaux basés à Tahiti, aux Antilles et en Guyane et dans la capitale française. À Parallèle Sud, il a promis de compenser son empreinte carbone, sans renoncer à la lutte contre l’État colonial.