LIBRE EXPRESSION
Suite au courrier de Mr Le Préfet aux acteurs de la filière volaille locale.
A La CGPER, nous sommes fermement convaincus que la promotion et la défense des productions agricoles locales est une ardente priorité et qu’elle doit reposer sur des actions concrètes et des engagements solides de la part de tous et notamment aussi du soutien des pouvoirs publics.
De quoi parle-t-on dans la filière avicole pays : Depuis des semaines, les éleveurs font la grève devant l’abattoir EVOLLYS, URCOOPA et la DAAF, bloqué par une vingtaine d’éleveurs de volaille d’une des deux coopératives avicoles de l’île, en raison d’un conflit entre ces producteurs et l’abattoir. Les tentatives de conciliation et de médiation par l’État entre les différentes parties n’ont pas abouti à un accord à ce stade.
Mais pour autant les éleveurs restent mobilisés et ils le doivent, s’ils veulent obtenir une augmentation du prix du Kg de volaille commercialisé par une autre société qui dépend également de l’actionnariat d’EVOLLYS et leur revendication de revoir l’actionnariat et la gouvernance des outils d’abattage et de commercialisation de la production de volaille des éleveurs.
Nous disions récemment dans notre prise de position contre l’importation d’orange d’Egypte à bas prix par un grand groupe privé, que des accords avaient été trouvé dans le temps pour les filières viandes, avec l’ARIBEV et l’ARIV pour protéger ces filières des importations massives de l’Europe ou d’Asie. Il semblerait que ces temps soient maintenant révolus. Or, la production de volailles de chair de La Réunion, la plus importante des DOM est une production de diversification qui se caractérise par la taille réduite de ses exploitations avec des fermes de référence à 600 m².
Compte-tenu du contexte économique et de la situation préoccupante de l’emploi sur l’île, le modèle de développement choisi, basé sur une exploitation de taille familiale a permis de favoriser la création d’emplois. Mais il y a quelques temps, l’abattoir de volailles de Crête d’Or à Etang-Salé, mis en service en 2014 a été vu à l’époque comme surdimensionné, s’est révélé être un gouffre financier comme le couvoir de Crête D’or.
Pour stopper l’hémorragie, l’Etat a mis la pression sur l’Abattoir Duchemann & Grondin installé dans les hauts de Saint Joseph qui s’en sortait très bien à Jean Petit pour qu’il se rapproche de la SA Crête d’Or pour prendre la gestion de l’abattoir. Il est à noter que tous les partenaires de la filière ont signé le protocole pour relancer la production et sécuriser les élevage en Préfecture en décembre 2017.
Ce que l’on pouvait craindre est arrivé par une reprise en main du groupe Crête d’or par la Holding de Ducheman-Grondin sous l’entreprise EVOLLYS production qui contrôle l’abattoir de l’Etang salé et EVOLLYS Commercialisation qui contrôle la mise en marché de la totalité de la production de volaille en filière organisée avec les deux groupements (AVIPOLE et CFS) via les structures sous les six marques commerciales suivantes : Ti’gayar, Crête d’Or, Grand Matin, Creolay, Fumet des Salazes, et Kokoriko.
Personne ne s’est posé la question de la concentration d’un tel pouvoir dans les mains d’un seul acteur, pas même la Préfecture qui a insisté fortement pour que cette reprise se fasse pour sauver la filière volaille à La Réunion. Aujourd’hui le renard ou le loup, peu importe, est dans le poulailler !
Est-ce cela le résultat de l’économie de marché ? Les services de l’Etat, en voulant sauver la coopération, a finalement contribué à mettre en place un monopole du poulet à La Réunion ? – Qu’en pensent les consommateurs ? On ne le sait pas vraiment, mais ils ont bien vu le prix de la volaille flamber dans les rayons !
Les éleveurs, eux, cependant n’ont pas reçu leur part de l’augmentation du prix de vente de la volaille. On peut se poser la question : Où sont parties les marges commerciales ? Forcément une entreprise a profité ces derniers mois de l’effets « Ukraine, augmentation des matières premières », une chose est sure c’est que c’est les consommateurs qui paient les prix forts de la volaille en grande surface notamment.
Pourtant, pour eux le prix des intrants a augmenté ! le prix de la nourriture, les soins à apporter pour protéger leurs élevages ont redoublé, la main d’œuvre est toujours difficile à trouver. Ils subissent ainsi de plein fouet la crise et l’inflation, alors que le prix de la volaille a augmenté dans les rayons, ils ne perçoivent eux qu’un faible revenu qui ne leur permet plus de vivre décemment de leur métier.
Leurs revendications sont donc légitimes et on ne sortira pas de cette crise sans se mettre autour de la table pour prendre en compte les intérêts des éleveurs, qu’ils soient indépendants, en coopérative ou qu’ils dépendent d’une société privée. Mais voilà, nous sommes confrontés à deux modèles qui s’opposent du moins dans sa conception et dans sa logique économique : « Jouer collectif » ou « Jouer personnel ».
Manifestement l’organisation de la filière volaille a perdu ce point de vue important qui a présidé à sa naissance et à son développement : « Le jouer collectif » pour une Réunion qui gagne et où chaque éleveur quelle que soit la taille de son exploitation perçoit une juste rémunération de son travail. Aujourd’hui c’est un Homme, une société qui décide des prix, de l’avenir des éleveurs et qui monopolise tous les maillons de la filières : l’abattage, la commercialisation, demain la production de poussins et les bénéfices.
L’acquis philosophique de la coopération, « un homme, une voix » a été passé doucement à la trappe ! Il ne s’agit donc plus de s’insurger ou de déplorer, mais bien d’agir pour que ces deux conceptions de l’élevage puissent discuter entre eux et trouver le bon tempo : Celui d’empêcher que la production locale ne s’effondre ou soit déstabilisée par la mésentente.
Finalement qui en profiterait, sinon les importateurs et la grande distribution qui s’empressera de faire entrer à la Réunion, les produits de dégagement de l’Europe? Et on peut se poser la question sur un groupe mauricien qui vient de prendre possession d’une chaîne de magasins à La Réunion qui pourrait demain inonder le marché Réunion de volaille ?
Le pompier d’hier, celui la même qui a fait entrer le renard dans la bergerie, crie au Feu…Aujourd’hui. La filière serait en danger, et elle risque de ne plus percevoir les aides de l’Europe… La filière organisée regroupait 150 producteurs en 2020, au sein de deux coopératives : AVI-POLE Réunion et la Coopérative des Fermiers du Sud (CFS), managée ou non par l’un des acteurs devenu hégémonique depuis qu’il est entré dans le poulailler.
Ces deux coopératives sont aujourd’hui désunies mais représentées dans l’interprofession ARIV par l’Association des Éleveurs de Volailles de La Réunion (AEVR). Nos filières agricoles locales soutenues depuis plus de trente ans par les politiques agricoles publiques doivent pouvoir faire face à cette situation nouvelle et paradoxale, pour la défense de nos agriculteurs contre la grande distribution et contre l’hégémonie du capital, sur la coopération.
Quant à la CGPER, nous n’oublions pas les indépendants qui œuvrent et travaillent également à garantir un produit de qualité. Ils n’ont jamais vraiment été considérés et pris toute leur part dans ces discussions avec l’Etat et les collectivités locales. Mettons toutes les cartes sur table et sortons par le haut de cette crise.
Il est nécessaire que nous débattions avec les deux sociétés l’abattoir Evolys et la société Duchemann et Grondin qui commercialisent toutes les volailles produites à la Réunion. Il nous faut trouver un modèle autre qui associerait les coopératives, les sociétés privées, les éleveurs indépendant et protéger les filières de production locales.
Si l’ARIV souhaite mettre en place une table ronde avec tous les partenaires professionnels et syndicaux pour évoquer ces sujets et trouver des solutions pour permettre aux agriculteurs et éleveurs de sortir par le haut du conflit qui oppose deux modèles de développement, alors la CGPER prendra toute sa part à la discussion et aidera à trouver les meilleures solutions.
Nous en avons les moyens, par un plus stricte contrôle des services de l’Etat pour notamment favoriser une meilleure distribution des profits de la filière Volaille, empêcher la main mise d’un privé sur un outil collectif, financé par l’argent public. Il en va de la pérennité des éleveurs qui ont beaucoup investi ces dernières années dans la filière. Si nous en avons la volonté, nous pourrons sortir par le haut de cette crise.
Jean Michel Moutama Président de la CGPER
Pour compléter la réflexion, un lecteur suggère la lecture pédagogique d’un article de Finmag sur les effets de l’inflation.