Pape François

Qui sera le prochain pape ? Les enjeux d’un conclave imprévisible

LIBRE EXPRESSION

Quel pape sortira de ce conclave ? Dans la ligne du pape François ou en rupture avec son pontificat ? Rupture ou continuité ? Les enjeux sont importants à l’heure où l’ordre mondial est bousculé, en pleine révolution quant à ses alliances et ses équilibres. Et où de nombreux défis du temps présent sont en attente d’être relevés. Au sein de l’Église, de nombreuses questions (place des laïcs, celle des femmes…) ne sont pas encore réglées et la montée inquiétante d’un catholicisme identitaire, défi à la logique d’ouverture portée par le pape François, de manière, parfois, un peu abrupte. Écoutons ce que l’Esprit dira aux Églises ! (Apocalypse 3, 13, 22) Écoutons ce que dira l’Esprit Saint aux cardinaux électeurs rassemblés en conclave !

Un pontificat riche mais conflictuel

Le pape François a été un pape hors normes incarnant hautement sa fonction par des paroles fortes, des gestes pastoraux symboliques (voir ci-dessous : une couronne de fleurs à la mer), des formules chocs, et ce jusqu’au bout de son pontificat. Sur l’île italienne de Lampedusa, le 8 juillet 2013, le pape François, lors de son homélie, demande aux 10 000 fidèles présents : « Où est ton frère ? », en reprenant la question que Dieu adresse à Caïn qui vient de tuer son frère. « Ce n’est pas une question adressée aux autres, c’est une question adressée à moi, à toi, à chacun de nous », a-t-il poursuivi. On se souvient également de la gerbe de fleurs lancée en mer Méditerranée à cette occasion en souvenir des migrants morts.

Quelques jours avant son décès, en convalescence et en chaise roulante, il est allé, le jeudi 17 avril 2025, à la rencontre des détenus de la prison Regina Cœli. « J’aime faire chaque année ce que Jésus a fait le Jeudi saint, le lavement des pieds, en prison », en précisant : « Cette année, je ne peux pas le faire, mais je peux et je veux être proche de vous. Je prie pour vous et pour vos familles ». Une des grandes vertus de ce pontificat est d’avoir mis les plus petits, les plus vulnérables, les plus en marge à la première place (Christine Pedotti, TC, 23/04/2025). Et ce avec une « empathie rare : chaque visage qu’il rencontrait illuminait le sien. Chaque drame humain le saisissait en son for intérieur », comme le dit si justement le président de la Fédération protestante de France, Christian Krieger (L’œil de Réforme, 24/04/2025).

Outre ses combats connus sur l’écologie (une écologie intégrale car « tout est lié »), la justice sociale, les migrations, le pape François a ouvert de nombreux chantiers de réformes, à commencer par celui de la curie romaine, traversée par un certain nombre de scandales ; la question des abus sexuels commis dans l’Église ; le statut des divorcés remariés ; l’accueil des personnes LGBTQ+ – « Si une personne est gaie et cherche le Seigneur, fait preuve de bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? » – ; le dialogue interreligieux, avec l’islam notamment ; l’ouverture vers la Chine ; la place des laïcs dans la gouvernance de l’Église ; la place des femmes et le diaconat féminin ; une Église ouverte et plus mondialisée, structurée par la concertation, l’écoute mutuelle et la coresponsabilité de tous les baptisés (une Église synodale).

De très fortes oppositions de l’aile conservatrice

Le pape François a rencontré très tôt une forte opposition du camp conservateur allant jusqu’à demander sa démission en le traitant d’hérétique (Lettre signée de 40 clercs catholiques et universitaires, 16 juillet 2017, France info, 22/04/2025). Une fronde menée également par un certain nombre de cardinaux (Mgr Carlo Maria Viganò, archevêque italien ; l’évêque américain Joseph Strickland ; le cardinal australien George Pell, ancien ministre de l’Économie du Vatican ; le cardinal allemand Gerhard Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, entre autres). Et ce pour diverses raisons : sa dite complaisance à l’égard des homosexuels et des divorcés remariés, la limitation drastique de la messe en latin (juillet 2023), la réforme de la curie romaine et la Banque du Vatican, l’entrée des laïcs dans la gouvernance de l’Église, le dialogue avec l’islam qui va trop loin, etc. etc.

L’opposition au pape François allait au-delà de la sphère vaticane et de quelques prélats et clercs ultra-conservateurs. Ses positions pro-migrants, pro-écologie et compassionnelles envers les LGBTQ+ ont suscité de virulentes critiques et une opposition de plus en plus grandissante chez nombre de catholiques nationaux ou identitaires : aux États-Unis (ci-dessous), en Italie, en Hongrie et ailleurs. De plus, son style de gouvernance un peu rude n’a pas apaisé les esprits. Derrière l’image bonhomme de François « comme un curé de campagne », se cache selon ses détracteurs un leader cassant et autoritaire, à l’image du portrait dressé dans un livre par le secrétaire personnel de Benoît XVI (cf. Pierre Godon/France Télévisions, 22/04/2025).

Pour autant, si François a suscité, au départ, l’enthousiasme de ceux qui attendaient une Église profondément réformée, ouverte sur le monde contemporain et en phase avec ses évolutions, il les a progressivement déçus par l’absence de réformes effectives sur des points cruciaux (statut du prêtre, place des femmes, gouvernement de l’Église). « Au point que les réformes considérables et courageuses qu’il a engagées, pour réformer la Curie romaine ou la banque du Vatican, n’ont pas toujours été reconnues. Celles-ci indiquent pourtant dans quelle direction il a travaillé et conçu sa mission : non pas “adapter” l’Église au monde actuel, mais la décentrer d’elle-même pour qu’elle retrouve sa vocation de présence aux “pauvres” et aux “périphéries” » (La rédaction de la revue Esprit, 25/04/2025).

Catholicisme identitaire versus catholicisme d’ouverture

« Une personne qui veut construire des murs et non des ponts n’est pas chrétienne », déclarait le pape François, à propos de la politique anti-migrants de Donald Trump, en 2016. Dans une Lettre aux évêques américains, le 10 février 2025, le pape déclare que l’expulsion de « personnes qui, dans de nombreux cas, ont quitté leur pays pour des raisons d’extrême pauvreté, d’insécurité, d’exploitation, de persécution ou de grave détérioration de l’environnement, porte atteinte à la dignité de nombreux hommes et femmes ». Et une atteinte « à notre foi en un Dieu toujours proche, incarné, migrant et réfugié », déplore le défunt pape.

Cette Lettre qui appelle à pratiquer « une fraternité ouverte à tous, sans exception » est aussi une leçon de théologie adressée en particulier à JD Vance, qui défend un catholicisme identitaire (catholicisme de conservation) en faisant appel à saint Augustin et à son concept de « l’ordre de l’amour » pour justifier la politique anti-immigration, affirmant que la charité chrétienne doit d’abord bénéficier aux personnes les plus proches de soi, et non aux étrangers. Pour le pape François, l’amour chrétien construit une fraternité ouverte à toutes et à tous et non des cercles concentriques d’intérêts (cf. La Croix, 17 février 2025).

Le vice-président des États-Unis J.D. Vance et de nombreuses organisations conservatrices catholiques tentent aujourd’hui de peser sur l’élection du prochain pape, pour imposer leur vision du catholicisme. J.D. Vance n’est pas venu pour rien au Vatican et sa rencontre d’une heure avec le cardinal Parolin, le samedi 19 avril, est hautement symbolique. Certes, cette entrevue avait pour objectif d’apaiser les tensions entre Washington et le Vatican, en rappelant l’unité de l’Église, mais elle visait aussi pour l’administration de Trump à peser de tout son poids dans le choix du successeur du pape François.

Une Église sous le signe de l’espérance

L’élection du prochain pape comporte de nombreux enjeux. Le choix qui se fera dépasse la dimension strictement religieuse. Elle a un enjeu géopolitique majeur (Introduction ci-dessus). Concernant l’enjeu ecclésial, le pape est garant de l’unité de l’Église. Il doit servir l’unité, mais en respectant la très grande diversité de l’Église. Vers une Église toujours plus interculturelle – le terme inter implique mutualité et réciprocité dans la relation à l’autre – c’est un des enjeux de ce conclave. Une Église d’ouverture sans exclusive à l’Autre : proche ou lointain, croyant ou non… Une Église qui avance sans peur dans les défis du temps présent en se plaçant sous le signe de l’espérance. Le monde a besoin des chemins de paix, de justice et d’amour. Écoutons ce que l’Esprit Saint soufflera aux membres du conclave à travers l’écoute, les échanges, les rapports de forces et les luttes d’influence ou de pouvoir. Mon espérance pour le nouveau pape : une voix transcendante pour la paix, la dignité humaine et la justice sociale.

Reynolds MICHEL

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