Bateau Sinuelo du Dr Afonso Recife Brésil requins translocation

[Écologie] Les requins de Recife ne reviennent pas

TRANSLOCATION

A Recife, on déplace les requins plutôt que les tuer. Le Dr Afonso, présent à La Réunion à l’invitation de Didier Dérand, a mis au point un protocole qui allie conservation de la biodiversité et sécurité des baigneurs. 

requin tigre pêche
Depuis 2011, 547 requins tigres ont été pêchés à titre “préventifs” à La Réunion. L’espèce est pourtant considérée comme très peu impliquée dans les attaques.

La région de Recife, au Brésil, a connu une vague d’attaques de requins près de vingt ans avant La Réunion. Comme ici, surfeurs et baigneurs ont payé un lourd tribut à l’appétit des squales. Mais, pour y faire face, les autorités sud-américaines ont préféré déplacer les requins plutôt que les tuer.

Fort de cette observation, Didier Dérand a invité le Dr Andre S. Afonso sur notre île, après avoir proposé sa méthode au centre sécurité requin (CSR). Il s’agit, comme cela est fait ici, de pêcher les requins à risque mais, au lieu de les tuer, le Dr Afonso emporte les squales dix à vingt kilomètres au large, les relâche après les avoir marqués, et constate qu’ils ne reviennent pas. 

Le Dr Alonzo estime que le risque résiduel que les requins retrouvent les plages de Recife est largement moins important que celui d’une disparition des espèces dans l’écosystème local. « Malgré l’utilisation intensive des plages de Recife à des fins récréatives depuis le début des années 1950, aucun incident de ce type n’a été enregistré dans la région, à l’exception de quelques rapports anecdotiques (Hazin et al., 2008). Cependant, une épidémie soudaine de morsures de requins sur des humains à partir de 1992 (et la mise en service d’un port qui a dégradé l’écosystème) a changé le panorama de cette région. Depuis lors (31 ans), 67 épisodes de morsures de requins (en moyenne 2,2 incidents par an) ont été enregistrés, la grande majorité (> 90 %) d’entre eux se produisant le long d’un littoral étroit et très localisé de moins de 20 km de large. Ces incidents ont entraîné un total de 26 décès », présente le scientifique au CSR. Comme ici, les requins bouledogues et tigres sont considérés comme responsables des attaques. Le Dr Afonso a exclu dans son étude une augmentation de la population de requins tout comme la fréquentation accrue des humains dans le milieu marin.

Pour autant, dans son étude, le Dr Afonso décrit le relief sous-marin très particulier devant les plages de Recife, notamment un chenal qui mène aux plages par lequel les requins arrivent. « Dans l’ensemble, la stratégie non létale menée à Recife a montré une performance supérieure à la moyenne dans la gestion du péril requin et elle devrait probablement surpasser les stratégies létales alternatives qui pourraient être mises en œuvre dans la région », conclue le Dr Afonso.

Le CSR, après avoir consulté un comité d’experts, reconnait tout l’intérêt de la méthode. Mais émet quelques réserves : plus cher, la méthode employée à La Réunion montre son efficacité et la géographie sous marine locale est très différente. « En ce qui concerne la translocation des requins bouledogue, le principal problème serait la grande fidélité au site qu’ils manifestent, comme cela a été observé lors du programme CHARC et dans d’autres études à travers le monde. La nature insulaire de l’île de La Réunion par rapport à Recife rend probable qu’ils reviendraient éventuellement sur l’île, même après la translocation », estime le CSR, qui n’exclut pas pour autant d’utiliser cette méthode pour les requins tigres, très peu incriminés dans les attaques réunionnaises. 

Bateau Sinuelo du Dr Afonso Recife Brésil requins translocation
Les moyens mis en oeuvre par les Brésiliens sont rudimentaires mais efficaces.

« Il ne semble pas y avoir de raison valable de croire qu’un requin capturé et relâché aurait plus de chances de mordre quelqu’un à La Réunion ou ailleurs que n’importe quel autre congénère ayant des attributs ontogénétiques et démographiques similaires, en particulier si les requins sont transférés pour réduire le péril immédiat. Par conséquent, le retour des requins transférés dans leurs populations ne devrait pas avoir d’impact probabiliste sur les taux de morsures de requins, car dans le cadre de programmes létaux la fidélité au site et

la territorialité potentielles des individus relâchés seraient compensées par l’immigration de nouveaux individus », estime de son côté le Dr Afonso, qui considère également que «  les requins, espèces essentielles pour garantir la santé des océans, existent dans l’océan et il ne faut pas aspirer à les éliminer tous, car cela aurait des conséquences écologiques et socio-économiques bien pires que les impacts du péril requin ».

Depuis 2011, un total de 184 requins bouledogues et 547 requins tigres ont été pêchés et prélevés à La Réunion par les programmes Ciguatera 1 et 2 – Valo Requin – Cap Requin 1 et 2 – CRA et CSR sans compter de nombreuses prises accessoires dont des espèces en danger d’extinction.

Philippe Nanpon

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.