FIN DE LA TRÊVE CYCLONIQUE
L’expulsion s’est déroulée avec violence. Pas une violence physique comme on l’entend, une violence psychique. Une dizaine de policiers, un camion de déménagement, un huissier, et c’est toute une vie qui se retrouve au bord du vide. Déplacée de force à l’autre bout de l’île. La tristesse et le désarroi sont immenses. C’est ce qu’a vécu une famille saint-pierroise du quartier de Ravine blanche ce jeudi 25 avril. Après 17 ans de procédures judiciaires et de conflit entre héritiers, la force publique est passée brutalement à l’action sans proposition de relogement pour les quatre habitants du lieu.
Il est aux alentours de 8h ce jeudi matin 25 avril lorsque les véhicules de police se garent à côté de la maison de la famille Rallots. Ils sont huit policiers de Saint-Pierre, plus le capitaine Alfonsi. Un camion de déménagement les accompagne, ainsi qu’un huissier. Les hommes entrent dans la cour, ils sont là pour débarrasser le mobilier et toutes les affaires de la maison située à la Ravine Blanche, au bord de la rue Marius et Ary Leblond, juste avant de s’engager sur la quatre voies.
C’est une vie entière qu’ils s’attèlent à débarrasser en quelques heures. Le camion prendra ensuite la direction du Port où les affaires seront stockées pour deux mois en attendant que leurs propriétaires les récupèrent. Passé ce délai, les frais seront à leur charge. Pour l’instant, tout est encore là, éparpillé. La famille encaisse le coup. Certains éclatent en sanglots, d’autres errent parmi les sacs entassés ou assis sur une chaise, le regard hagard. D’autres encore interpellent tour à tour l’huissier, les policiers. Ils cherchent à comprendre, à avoir des explications.
« Ils ne sont plus chez eux »
Les serrures ont été changées. « Techniquement, ils ne sont plus chez eux », indique sobrement l’huissier. La famille Rallots est occupante sans titre de la case créole dans laquelle ses membres ont vécu pendant plusieurs générations.
« Mwin té la tou ltan, mon marmay 11an té la tou lé wiken. La li lé lékol, kosa mi sar dir ali kan ma rotrouv ali aswar? » Comment les membres de la famille vont-ils annoncer la nouvelle à leur mémé qui a toujours vécu là ? D’autant que des recours sont toujours en cours, un en appel, l’autre en Cassation. La Justice dans cette affaire n’a pas dit son dernier mot, mais les dernières décisions, rendues en leur défaveur, sont exécutoires.
Ludivine, une des petites filles, a les larmes aux yeux. Comme Yohan d’ailleurs, journaliste bénévole chez Parallèle Sud. Ses vidéos live sur la page Facebook du média associatif ont fait le tour des réseaux sociaux en quelques heures, les internautes émus par le désarroi de la famille et la violence de l’expulsion. Il faut dire que la famille est très ancrée dans son quartier, notamment aussi via les cérémonies aux ancêtres qui sont pratiquées là depuis toujours. A travers la disparition de cette maison, c’est aussi un pan de l’histoire de la Ravine blanche qui s’en va.
Un pan de l’histoire de la Ravine blanche
Le nouveau propriétaire des lieux est Wein Location, le magasin de location de voitures qui se situe juste à côté. Il a racheté l’ensemble de la propriété au cours d’une vente aux enchères forcée. « Nou té koné mèm pa ! » dénonce Angelina Rallots. Etonnamment, la partie de la famille concernée au premier plan n’a pas été convoquée à la vente par le notaire, lui retirant ainsi toute possibilité de racheter la maison dans laquelle elle vivait. « On a appris la vente après la vente », s’exclame une autre tatie.
Dans le conflit qui oppose plusieurs membres de la même famille, les procédures judiciaires durent depuis 17 ans. Le terrain appartient initialement aux grands parents. Parmi les enfants, héritiers de la case et du terrain familial, certains sont prêts à vendre, d’autres souhaitent conserver la maison. Depuis la loi de 2009, pour vendre un bien en indivision, il faut que les 2/3 des indivisaires, au minimum, aient exprimé devant notaire leur envie de vendre. Le rachat par les autres indivisaires est possible, tout comme il est possible de vendre à un tiers.
Après le décès du grand-père, certains membres de la famille auraient vendu leur part. Ceux qui vivent là auraient souhaité racheter mais se sont vu refuser leur demande de prêt par les banques. Le premier acquéreur est la société Dif, qui appartient à la famille Dindar. Il faut dire que l’endroit est bien placé, à l’entrée de Saint-Pierre, à deux pas du centre-ville, dans une zone qui compte de nombreux commerces et concessionnaires automobiles.
Wein location rachète les parts de la SCI DIF
Les héritiers qui souhaitent conserver la maison familiale entament les démarches judiciaires. Le nouvel acquéreur ne pouvant jouir de quoi que ce soit revend plusieurs années plus tard sa participation à Wein location. La situation est dans une impasse. La loi autorise dans cette situation la vente du bien et le partage équitable du prix de vente entre l’ensemble des indivisaires. C’est à ce moment qu’intervient la vente aux enchères forcée.
La maison avec la cour, soit près de 800m2, sont partis à 183 000 euros. Un prix qui questionne les héritiers au vu de la situation du terrain. Ceux qui vivent sur les lieux n’ont pour l’heure pas aperçu le moindre centime.
La Justice a informé la famille qu’ils devaient quitter les lieux à partir du 15 avril, soit à la fin de la trêve cyclonique. L’huissier en avait avisé les membres de la famille même s’il n’avait donné aucune date précise.
Roulèr, sati, pikèr
Plongés dans le désarroi, ceux-ci ne savent où aller. Même si Fatima Sofa, l’élue en charge du quartier, est venue leur apporter son soutien, la mairie de Saint-Pierre n’avait pas proposé ce jeudi soir de relogement. « Vous connaissez comme nous le nombre d’expulsions prononcées chaque semaine depuis la fin de la période cyclonique », répond Jean-Michel Jobart, le directeur de cabinet du maire. « Nos services travaillent d’arrache-pied pour trouver des solutions pour chacune des familles avec divers partenaires. »
Ce jeudi soir, les portes de la maison sont désormais fermées, mais la famille est en place, dans la cour. Roulèr, sati, pikèr. Tous chantent au son du maloya. Où pourraient-ils aller de toutes façons ?
Live : Yohan Firmin
Texte : Jéromine Santo-Gammaire
Vidéo : Sébastien Fontaine et JSG
Photos : SF
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Une expulsion est toujours un drame. Aujourd’hui à Saint-Pierre, c’est tout une famille qui a été expulsée par les forces de l’ordre. Cette expulsion a été filmée.
Expulsée, quel avenir pour cette famille ?
Prenez connaissance de la vidéo pour en savoir plus sur les circonstances. Expulsée du logement à Saint-Pierre.
Expulsée par la police.
Expulsée de force avec une procédure en cours. Plus de 40 ans d’usage du lieu et expulsée.
Expulsée, quelle suite?