Paul Hoarau

Sénat et reconnaissance des peuples

LIBRE EXPRESSION

Journal de Paul HOARAU N-241

Les grands électeurs de La Réunion viennent d’élire quatre sénateurs : deux de droite et deux de gauche ; un homme et trois femmes. Quelles conséquences pour l’avenir de notre île et pour celui de son Peuple ?

A quoi cela sert un sénateur ?

Le 24 septembre, 1389 grands électeurs réunionnais ont été appelés à élire quatre sénateurs. A quoi sert un sénateur ? D’après la Constitution (Art. 25), le Sénat qui fait partie du Parlement avec l’Assemblée Nationale, « vote la loi, contrôle l’action du Gouvernement, évalue les politiques publiques .» Plus spécifiquement, toujours en vertu de l’article 25, il « assure le représentation des collectivités territoriales de la République.»

Je ne m’étendrai pas sur l’aspect parlementaire du Sénat bien qu’il soit important, pour insister plutôt sur sa fonction de « représentation » des collectivités territoriales. L’ Assemblée Nationale représente l’unité de la Nation, le Sénat sa diversité. Cette distinction existe, elle est constitutionnelle. On l’oublie. La Révolution n’a voulu retenir que le citoyen et la nation. Elle a supprimé la famille pour ne retenir que le citoyen « chef de famille », le père ; elle a supprimé les corporations, les organisations professionnelles, pour ne reconnaître que le citoyen d’une profession ; elle a supprimé les pays (les provinces) et leurs Peuples pour ne reconnaître que les citoyens uniformes (pas toujours égaux comme elle l’aurait voulu) sur tout le territoire de la Nation d’une République « une et indivisible ».

Ce que la Révolution a voulu supprimer est revenu. En premier lieu, les grands chefs d’entreprises, notamment industriels, ont rétabli les organisations patronales ; les ouvriers ont suivi le mouvement en créant les syndicats. Cela dès le XIXème siècle. La famille est revenue dès le début du XXème siècle, dans les domaines social et sociétal : les prestations familiales, l’égalité entre les époux, l’égalité politique (le droit de vote), l’égalité économique (le droit au chéquier personnel) ; le droit de l’enfant, etc.

A l’heure d’aujourd’hui, nous assistons au retour de la reconnaissance des Peuples. Les Alsaciens, les Bretons, les Catalans, les Corses, etc. ont accentué la poussée de ce mouvement, notamment après la Libération. Le fin des provinces par la création des Départements sur une base purement fonctionnelle (de telle sorte que les citoyens ne soient pas à plus d’une heure du chef-lieu), a fini par se révéler inappropriée. On a créé les Régions . Bien qu’elles ne soient pas le retour copié-collé des Provinces, elles se rapprochent de leur esprit. A la création des Régions correspond par ailleurs « la décentralisation », c’est-à-dire l’existence de pouvoirs politiques régionaux. La conception encore actuelle de « l’unité et de l’indivisibilité de la République » empêche toujours la reconnaissance formelle des Peuples des Régions. La Région Réunion est dans ce cas de figure. La question ne concerne pas seulement les Peuples de France, mais aussi les Peuples français d’Amérique, de l’Indianocéanie et du Pacifique.

Le mouvement n’est pas un mouvement « séparatiste » comme certains voudraient le faire croire, mais un mouvement franco-français pour un changement à l’intérieur de la République : pour la reconnaissance des Peuples ; pour la conception de « l’unité nationale » qui n’est plus « l’uniformité », mais l’union de la diversité ; pour la liberté et la responsabilité de chaque Peuple. Ce retour des peuples aura le même effet que le retour des associations, des organisations professionnelles, des familles sur le développement de la société française.

Le retour des Peuples n’est pas possible à partir du pouvoir central parisien. Ce pouvoir de compétence nationale, avant même la Révolution, a montré une tendance forte vers l’uniformité et le centralisme. Philippe le Bel et Louis XIV, avant Napoléon, ont été des champions de cette tendance.

Le Sénat, un relai au coeur du pouvoir central ?

Le retour des Peuples ne peut venir que de la périphérie, des pays comme le nôtre, d’un dialogue, d’une négociation entre la périphérie et le centre. Aujourd’hui, la périphérie que l’on voudrait réduire aux «Outre-mer », est traitée comme « la chance de la France ». Dans cette opposition entre la France et les Outre-mer que l’on voudrait par ailleurs confondre (« La Réunion, c’est la France »), on ne peut pas mieux dire que les Outre-mer sont le marchepied de la grandeur de la France.

Si nous sortons de tout cela, la situation se pose entre les Peuples français d’Amérique, d’Europe, de l’Océan Indien et du Pacifique d’une part, et le pouvoir central parisien de l’autre. Point n’est besoin, semble-t-il, de « réforme constitutionnelle ». Avec même pas dix lignes de l’article 72 de la Constitution dans sa version originelle de 1958, le Général de Gaulle à mis fin à la guerre d’Algérie qui est devenue indépendante. Avec même pas vingt lignes des articles 72 et 73 de 1958, et des « lois organiques » éventuellement, le retour des Peuples est parfaitement possible. Il suffit, au point de départ, d’un changement d’interprétation de l’unité et de l’indivisibilité de la République. Le retour des organisations professionnelles et des celui des familles n’ont pas eu besoin de réforme constitutionnelle.

Le Sénat qui représente les collectivités territoriales au coeur du pouvoir central parisien, pourrait être un relai. Les quatre sénateurs qui ont été élus, si l’on se réfère à leurs professions de foi, pourraient faire bloc sur une position commune. Malheureusement, pour être crédible, cette position commune devrait être l’expression commune des assemblées locales, de l’association des maires, des élus. Cette position commune des élus du pays devrait être elle-même, l’expression d’une volonté populaire clairement exprimée, d’où l’idée du Référendum du « Projet d’un Peuple ».

On voudrait parfois le retour des Peuples, à partir de revendications de partis politiques qui demandent au pouvoir central national de le faire alors qu’il est contraire à sa position fondamentale centralisatrice, uniformisatrice, dominatrice. Ce retour ne pourra se réaliser que s’il exprime clairement la volonté des Peuples (référendum), relayée par ses « représentants, les élus, et s’il est négocié. Les retours des organisations professionnelles, des associations, des familles n’ont pas été octroyés par le pouvoir central, mais arrachés à la suite de combats parfois violents.

Le Peuple est absent

Or ici, le Peuple est absent, absent pour dire : qui il est, qu’il est présent et que c’est lui qui fait ; absent pour dire ce qu’il veut et pour donner mandat à « ses représentants » pour négocier avec le pouvoir national, le tout à partir d’un référendum local, soigneusement préparé en toute légalité.

Pourquoi est-il absent ? Serait-il divisé ? Serait-il résigné ? Aurait-il peur ? Aurait-il été formaté ? Toutes ces questions se posent et sont posées. Nous devons sortir de ce climat qui nous maintient dans le doute de nous-mêmes et paralyse notre société. Alors que nous avons tout pour réussir : des hommes et des femmes formés, une nature généreuse et de l’argent. Nous devons faire notre unité autour de notre identité vécue sereinement, sans histoire ; nous devons affirmer notre présence par notre action à La Réunion d’abord et ailleurs ; nous devons définir nos responsabilités et les assumer sans nous poser de questions. La production locale se diversifiera, se développera, le chômage diminuera structurellement avec la conscience et la volonté réunionnaises collectives de construire la maison Réunion que nous voulons ; la fierté d’être Réunionnais sans avoir besoin de le dire, seulement par le témoignage de ce que nous faisons, s’affichera sur nos visages
et dans nos vies ; notre hospitalité traditionnelle sera confirmée. Le pays ne sera plus dans le temps du « sauve qui peut individuel », mais dans le temps du « développement collectif ».

Voilà ce que doit apporter le retour du Peuple. A Paris, les sénateurs sont bien placés au cœur du pouvoir national, pour contribuer au réveil de cette conscience de notre Peuple à ce qu’il est et pour le retour des Peuples Français de la République.

Paul HOARAU

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