Si on se tenait à l’essentiel

LIBRE EXPRESSION / JOURNAL DE PAUL HOARAU

Dans le Monde, M. Trump est catastrophe pour les uns, espérance pour d’autres. Enfin quelqu’un qui va mettre de l’ordre dans tout ce fatras ! La paix en Ukraine dépendrait-elle  de l’accord qui sortira de la rencontre Trump-Poutine ? Les Ukrainiens devant s’en contenter, l’Europe également. De la même façon, M. Trump transformera-t-il la bande de Gaza en Riviera ? Les habitants suivraient le mouvement. Finie la décision des Nations-Unies de créer deux Etats, l’État Juif (Israël) et l’État Arabe (La Palestine). Le Père René Payet, au petit séminaire de Cilaos, quand j’y étais, avait organisé un cours spécial le samedi, sur l’état du monde.  L’idée force de son enseignement était qu’au XX° siècle, les guerres de conquêtes étaient obsolètes. Avec les prétentions de Poutine en Ukraine et les prétentions de Trump sur le Groenland, le canal de Panama et la bande de Gaza, on se croirait au retour de ce que l’on avait pensé définitivement perdu. 

Les outrances de Trump et de Poutine (la Chine cache son jeu à ce niveau) auront pour effet de réveiller les peuples. La démocratie américaine est suffisamment armée pour empêcher son président de franchir certaines lignes rouges. L’Europe des peuples est en mesure de se réveiller dans le même sens. Le Monde a des chances de sortir de l’état actuel des choses avec une Afrique des peuples  dont aucun dirigeant n’a de veto, une Amérique des peuples sans le veto de Etats-Unis, une Asie des peuples sans le veto chinois, une Europe des peuples, de l’Atlantique à l’Oural, sans les vétos anglais, français et russe, tout ce monde au sein des Nations-Unies sans veto. Nous en sommes loin, mais cette perspective est inévitable. La question est de savoir si le Monde pourra éviter une guerre entre-temps.

L’essentiel pour le Monde aujourd’hui c’est la paix, c’est-à-dire la justice pour les nations et leurs peuples. La paix que veulent certains, sans la justice, n’existe pas.

Au plan national, la classe politique n’écoute pas le Peuple. La démocratie en prend un coup. Les problèmes ne sont pas réglés. Guy Pignolet m’écrit que « la classe politique est « hors de la démocratie ». Les partis ne sont pas partenaires mais ennemis. Il ne s’agit pas de trouver des solutions justes aux problèmes, mais d’imposer la raison du plus fort  en éliminant les autres moralement, parfois physiquement. Pour exécuter l’adversaire, tous les moyens sont bons. Je suis pourtant rassuré : par souci de conserver leur place plus que par souci du bien commun, (le risque de ne pas être réélu), les députés éviteront de s’exposer à une nouvelle élection. Le départ du Président de la République, en effet, provoquerait une nouvelle élection législative qui ne modifierait pas forcément le paysage actuel du Parlement. L’expérience a montré que ceux qui étaient sûrs de leur succès ont mordu la poussière. L’agitation autour de la démission du Président durera comme une menace jusqu’en 2027. Si la classe politique ne revient pas à la France du Comité National de la Résistance (le CNR), qu’il faut moderniser bien entendu, si elle se laisse séduire par l’américanisation, les Français se détourneront de la politique, la France sera « un bateau fou ». Le Peuple Français va-t-il se réveiller ou bien une nouvelle Jeanne d’Arc, un nouvel Henri IV, un nouveau Charles de Gaulle la préservera-t-il d’une chute définitive ?

L’essentiel pour notre nation, aujourd’hui, c’est la fin de la guerre des ego, des chefs et des partis pour retrouver le temps où ceux qui croyaient au Ciel et ceux qui n’y croyaient pas avaient jeté ensemble les fondamentaux d’une certaine France voire d’une certaine Europe des peuples. 

Et nous, ici, à La Réunion, où en sommes-nous ? Quel est notre essentiel ? Comme partout, l’essentiel c’est la justice, porte d’entrée de la prospérité pour tous et de la paix. La justice, pour nous, collectivement, ici,  c’est fondamentalement la reconnaissance de notre identité de peuple et les responsabilités qui en découlent, la responsabilité de notre développement : que nous soyons maîtres de nos pics, cirques, savanes, forêts et plages, maîtres de l’aménagement de notre territoire, que  notre Histoire, écrite par nous, soit enseignée dans les écoles, qu’à côté de la compétence technique universelle de la formation de nos jeunes, soit enseignée « la manière réunionnaise » de leur responsabilité par rapport au développement de leur pays, que la priorité du travail soit aux Réunionnais responsables (la maire de Paris a posé cette condition en faveur des Parisiens dans des conventions avec des employeurs, le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes a même parlé de « préférence régionale »), notre essentiel c’est qu’un pouvoir local réunionnais puisse disposer des moyens législatifs, règlementaires et administratifs de promouvoir et de protéger une politique de production de biens et de services, au sens le plus large du terme, par, avec et pour les Réunionnais et disposer de moyens de la protéger. C’est « Le Projet d’un Peuple » en cours, après plusieurs années de recherche, d’échanges et de réunions.

La reconnaissance du Peuple Réunionnais et de sa responsabilité, c’est du travail pour les Réunionnais (une diminution substantielle du chômage) ; c’est la production de ce dont les Réunionnais ont besoin par les Réunionnais  ; c’est le bénéfice des solidarités sociales nationales à égalité avec tous les peuples français du Monde ; c’est la possibilité pour un pouvoir politique local de négocier l’utilisation des solidarités économiques nationales (et européennes), en fonction de la situation locale.

La gestion de La Réunion à partir de Paris parce qu’il n’y a pas de responsables réunionnais, sera nécessairement la gestion d’une vision parisienne lointaine et, quelque part étrangère, de la réalité réunionnaise (étroitesse du marché, incompétence des locaux, faible pouvoir d’achat des consommateurs du pays, non rentabilité d’une politique de production locale, limitation de la population par la limitation des naissances et l’émigration pour permettre au « reste » du pays  de consommer au moindre coût pour la Nation, ce que « la métropole » lui enverra) : population anonyme et prise en charge ! C’est le prix que la France croit devoir payer pour tenir son rang dans le Monde, mais c’est aussi le produit qui profite à ceux qui doivent nous nourrir. Deux jeunes Réunionnais viennent d’être élus à deux présidences importantes, celle de la Chambre d’agriculture et celle de l’université. Je saisis l’occasion de leur présenter mes plus vives félicitations. Mais ils verront bien vite que dans l’ordre des choses actuel leurs institutions respectives devront être l’écho des visions parisiennes de notre situation. Il n’est pas dans l’ADN parisien d’avoir la volonté de promouvoir une politique de production locale par, avec et pour les Réunionnais. Il faut, pour que la production locale soit un objectif, pour qu’elle ne soit pas sous la menace constante d’être réduite, voire de disparaître, il faut pour cela un pouvoir  local responsable, partenaire du pouvoir central national, un pouvoir local disposant des moyens législatifs, règlementaires et administratifs de sa responsabilité.

La perspective de l’ordre actuel, comme me l’a expliqué un jour un homme politique local, est que, pour le moment, la Nation injecte du pouvoir d’achat à des chômeurs pour qu’ils puissent consommer ce qu’on leur exporte, en attendant que les Réunionnais de la diaspora reviennent dans l’île comme retraités, consommateurs de  cette production importée. Cette vision de l’avenir réunionnais est sans issue. Il arrivera un jour où l’assistance ne pourra plus tout couvrir, un jour où les cadres locaux marginalisés dans le pays ou condamnés à faire fortune ailleurs, se révolteront dans la violence (parce que c’est par là que débutera le mouvement en utilisant « le peuple d’en bas »). Ceux qui vivent ici le paradis sur terre au point d’oublier ceux qui vivent un enfer, devront faire leur bagage. « Le Projet d’un Peuple » anticipe : il veut légalement, pacifiquement, fraternellement, ramener une société plus juste sur l’essentiel. Lorsque l’essentiel sera acquis (kisa noulé, nou léla, sénoukifé – le cap, le cadre l’éthique ; le référendum local, la négociation), le reste viendra (les luttes particulières, légitimes qui « réussissent des coups » travailleront dans un cadre différent pour un Peuple Réunionnais). Depuis soixante sept ans, je vois l’ordre artificiel et fragile qui nous mine, s’aggraver sous les apparences de la prospérité, « Le Projet d’un Peuple » n’est pas sorti d’une boîte à surprise du jour au lendemain. Il est le fruit d’une longue expérience de la situation. Encore une fois, je ne veux pas me complaire dans le pessimisme, Je m’y complais d’autant moins que les conditions d’une société plus riche par elle-même, sont réunies.

Encore faut-il que nos compatriotes décident de sortir de l’état de population pour l’état de Peuple ; encore faut-il, pour qu’ils soient « peuple », c’est-à-dire qu’au delà des oppositions, des différences, des diversités, ils soient unis pour dire kisa noulé, nou léla, sénou kifé, pour fixer le cap, le cadre et l’éthique de leur communauté de destin ; encore faut-il qu’après avoir dit, chacun, ce qu’il est, tout le monde écoute l’autre et entame le dialogue qui permettra d’avancer et de trouver les solutions ; encore faut-il que dans l’exercice de la démocratie, soit bannie la règle qui veut que l’on « tue » l’adversaire pour avoir raison, au lieu de dialoguer pour avancer ; encore faut-il que cette volonté soit affichée, visible. C’est la raison du référendum local, des rencontres et des  réunions préalables. Se tenir  à l’essentiel.

Paul Hoarau

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