Temps suspendu en Nouvelle-Calédonie


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Crédit photo : Dominique Catton / The Guardian.

Un calme mortifère, des clips taxés de racisme, une délégation qui part à l’Onu dans des conditions controversées : les derniers jours de la campagne référendaire sont à l’image du troisième référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, aux couleurs du paradoxe.

De notre envoyé spécial en Océanie. – Un cyclone est en formation dans la mer de Corail. Juste au sud de la zone perturbée, l’archipel de Nouvelle-Calédonie subit de plein fouet l’attente accablante et la chaleur écrasante qui accompagnent la formation de ces phénomènes météorologiques violents. La délivrance – à moins que ce ne soit la catastrophe due à l’ouragan – est prévue pour lundi 13 décembre, au lendemain de la troisième et dernière consultation référendaire sur l’indépendance.

Les citoyens de Nouvelle-Calédonie, les milliers de renforts policiers et militaires, les observateurs des Nations-Unies, les dizaines de journalistes qui ont fait le déplacement pour couvrir l’évènement : tout le monde attend.

Officiellement, la campagne en faveur du Oui et du Non à l’indépendance se termine ce vendredi soir, à minuit. En réalité, elle n’a jamais commencé : les partis indépendantistes – qui représentent dans son immense majorité le peuple autochtone – unis au sein du Front de libération national Kanak socialiste (FLNKS) ont appelé à la non-participation. Ils n’ont pas remis de documents de propagande ni publié d’affiches, tenu aucun meeting et depuis quelques jours ne prennent même plus la parole dans les médias. Ils estiment avoir suffisamment expliqué que « les conditions sanitaires et sociales », ainsi que les coutumes du peuple Kanak fortement éprouvé par la pandémie, ne permettaient pas la tenue de cette consultation censée clore un processus de décolonisation de trente ans.

« Il était possible de participer »

Les loyalistes, eux, partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France, ont mené tant bien que mal une campagne électorale difficile, faite de réunions de proximité et de meetings en visio-conférence, sur Facebook. Ils ont tenté de mobiliser au maximum leur électoral favorable au Non, afin disent-ils de « tourner la page » et d’enfin « passer à autre chose ». « Nous avons distribué des milliers de tracts, mené des dizaines de réunions publiques chez les gens en respectant les gestes-barrières, tenté d’expliquer les conséquences du Oui et du Non à toutes les composantes de la population : il était possible de participer à ce scrutin et nous déplorons que les indépendantistes aient choisi de ne pas le faire », raconte Christophe Gygès, élu à la Province Sud et directeur de campagne des Voix du Non, un collectif de partis politiques de droite pro-France.

Même si elle n’a jamais vraiment commencé, la campagne électorale pour ce référendum a tout de même connu des couacs racistes. Une série de clips diffusée à la télévision et censée expliquer les conséquences négatives pour la société calédonienne de l’accession à l’indépendance a été retirée par les Voix du Non. Dès sa publication elle a été accusée de racisme.

Dans ces dessins animés très courts, de moins de trois minutes, on peut voir des enfants représentant les différentes communautés se faire par exemple expliquer par une voix off adulte à l’accent français que « non, désolé, ton pépé ne pourra plus être soigné pour son diabète », si la France s’en va… Lourd sous-entendu : il aurait fallu réfléchir avant de voter, des gens vont mourir désormais par la faute des électeurs du Oui. Le ton méprisant et les clichés véhiculés dans la campagne de dessins animés ont valu à ses auteurs une saisine du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) par le FLNKS.

Les indépendantistes à l’Onu

Les leaders indépendantistes ont échangé plusieurs communiqués au ton acrimonieux avec les Voix du Non. Au début de la semaine, dans une discrétion qui a étonné tous les observateurs de la vie politique et publique de la Calédonie, une délégation du FLNKS composée de trois leaders historiques a pris l’avion pour se rendre à l’Assemblée générale des Nations-Unies, à New-York. « Je suis comme vous, je l’ai appris par des rumeurs d’abord, confirmées ensuite dans la presse », constate avec un peu d’effarement un membre important de la délégation onusienne présente dans l’archipel afin de superviser le processus de décolonisation. Comme lors des trois précédentes consultations, une quinzaine de membre de la commission de l’Onu pour les « pays non autonomes », « à décoloniser » est présente dans l’archipel et rendra un rapport à la suite du scrutin.

« Nous demandons que les membres du FLNKS qui partent à New-York avec l’argent du contribuable calédonien remboursent les sommes engagées pour ce déplacement », s’est ému dans un communiqué le collectif les Voix du Non et plusieurs de ses composantes. La délégation n’a pas répondu à ce dernier communiqué et était d’ailleurs injoignable, malgré nos nombreuses sollicitations.

Dans ces conditions, le chiffre le plus scruté dimanche soir sera celui de la participation. Elle était supérieure à 85% lors de la précédentes consultation, en 2020. Si les indépendantistes parviennent à la faire chuter autour de 50% ils estimeront avoir fait la démonstration que non seulement le processus de décolonisation n’est pas terminé mais aussi que la volonté du peuple Kanak d’obtenir son indépendance est intacte. La suite, quel que soit le résultat, sera une « période de transition » supervisée par la France avec le maintien en l’état des institutions calédoniennes jusqu’à l’élaboration d’un nouveau statut et de nouvelles organisations. La « période de transition » commence au « jour d’après » la consultation et se termine le 30 juin 2023. Oui ou Non, participation ou non-participation, cyclone ou pas cyclone : le 13 décembre sera bien un jour de délivrance ou de catastrophe. Voire les deux.

Julien Sartre

A propos de l'auteur

Julien Sartre | Journaliste

Journaliste d’investigation autant que reporter multipliant les aller-retour entre tous les « confettis de l’empire », Julien Sartre est spécialiste de l’Outre-mer français. Ancien correspondant du Quotidien de La Réunion à Paris, il travaille pour plusieurs journaux basés à Tahiti, aux Antilles et en Guyane et dans la capitale française. À Parallèle Sud, il a promis de compenser son empreinte carbone, sans renoncer à la lutte contre l’État colonial.