« Zinzin » par Jean-Bernard Ifanohiza dit Fano, Compagnie des Contes Calumet

[Théâtre] Et si on s’en laissait conter ?

LA TRIBUNE DES TRÉTEAUX : « ZINZIN » PAR JEAN-BERNARD IFANOHIZA DIT FANON, COMPAGNIE DES CONTES CALUMET

En ce soir d’octobre 2023, un souffle agitateur a ébouriffé les spectateurs du théâtre Lucet-Langenier. « C’est Fano ». Ça se disait et se répétait aux abords de la salle. On le savait, les prodiges du conte allaient nous envahir et nous entraîner dans des mirages étranges : tout un univers de mots à faire surgir des mondes.

« Zinzin » par Jean-Bernard Ifanohiza dit Fano, Compagnie des Contes Calumet
Fano a dans son soubik des myriades de personnages qu’il déploie au gré d’une imagination fertile.

Expert en l’art de conter, Jean-Bernard Ifanohiza, dit Fano, a dans son soubik des myriades de personnages qu’il déploie au gré d’une imagination fertile. Dans un contexte de rêve éveillé, nous sommes embarqués vers une Afrique mythique, bien loin des politiques absurdes qui plombent notre actualité et des guerres atroces qui déchirent ce continent magnifique. Nous voici dans une œuvre picturale, ou plutôt, dans un film d’animation : tout y est stylisé, le lion qui bâille et rugit sur son rocher, le python qui ondule en lentes sinuosités, la hyène qui se rit des défis et les perd ; tout se construit au fur et à mesure, en apparitions successives. Et dans cette proposition de fabuliste, les animaux parlent, se consultent, délibèrent et deviennent les protagonistes d’une farandole expressive ; un ti zinzin qui nous relie, comme des gosses, et nous attache au verbe prolifique de Fano.

Dès lors, la gestuelle, le langage corporel, l’élasticité du pas, la courbure du dos, tout se mêle et s’emmêle comme une danse des mots. Fano se révèle protéiforme, superbe faiseur de caricatures multiples. Il occupe la scène, elle lui appartient, le conte se dessine comme un Livre de la Jungle que n’eût pas renié R. Kipling. Nul ne serait étonné de voir Mowgli ajouter quelques facéties, dessiné par les artistes des studios Disney. Simba n’est pas loin non plus : notre écoute attentive et rieuse se double d’une visualisation immédiate. La chaise sur la scène vide aux pendrions tirés vers les coulisses, le micro qui décuple la voix, tout cela a disparu, une autre réalité s’est substituée à la nôtre. Génial.

L’art du griot

Bien sûr, le surnaturel est convoqué pour donner vie et rôle perturbateur à une déesse qui régit le monde et gouverne la météorologie. Nous sommes appelés au doublage de ce dessin animé de mots en cascade et nous sommes le vent, nous sommes le cri, la mélopée aux consonances d’une Afrique revisitée. L’harmattan se joue des animaux ou au contraire s’épuise à rattraper une tortue dont il avait méprisé le courage tenace : La Fontaine, en arrière-plan des références intemporelles, devait battre des mains. 

Fano prend son temps ; il jongle avec la connivence du public ; il descend au milieu des spectateurs hilares et improvise. C’est un conteur rompu à l’art du griot et qui fait osciller la narration selon la réceptivité des gens. C’est diaboliquement habile et maîtrisé. Pour ainsi improviser, il faut un travail préparatoire que les années peaufinent et une connaissance aguerrie de bien des récits qui constituent le fonds culturel de l’Afrique de l’Ouest : on pense à Soundjata Keïta, le héros royal de l’épopée mandingue, d’abord conspué par les villageois puis possédé d’une force magique qui le transcende et le métamorphose.

C’est un spectacle pour tous, qui s’adresse à tous, mêlant habilement le français au créole. Tout le monde se sent redevenir enfant devant une telle générosité conteuse. C’est du rêve et du rire, c’est la puissance des mots et la performance du talent. 

Un immense bravo et non moins grand merci à vous, Jean-Bernard Ifanohiza, ou plutôt, à vous, Fano. Vous avez enchanté ce samedi soir d’octobre et nous attendons déjà de vous revoir sur notre scène saint-pierroise.

Halima Grimal

A propos de l'auteur

Halima Grimal | Reporter citoyen

Née à Paris, diplômée de La Sorbonne, professeur de Lettres Classiques, Halima Grimal a rapidement ressenti l’appel de « l’Ailleurs ». Elle quitte l’Hexagone à 25 ans vivement désireuse d’élargir ses horizons. Ainsi passe-t-elle plus de deux décennies à enseigner au Maroc, au Gabon, aux USA (San Francisco), en Guinée Conakry.
En 1994, elle découvre l’île de La Réunion : elle est nommée à Saint-Philippe, y reste quatre ans à multiplier les projets pédagogiques ; elle fait la connaissance du comédien Jean-Luc Malet : ils implantent le théâtre dans le Sud et créent la troupe des Banquistes de Bory, qui regroupe une quarantaine d’élèves.
De retour en métropole où ses trois enfants se frottent pour la première fois aux réalités de leur terre d’origine, elle n’a de cesse de repartir. Ce qu’elle fera sept ans plus tard, en 2005 : direction Mayotte.
Et, enfin, ce retour tant espéré à La Réunion, où elle s’installe définitivement en 2009. Au-delà des nominations officielles où elle forge son expérience professionnelle à des pédagogies autres, elle découvre des cultures, des modes de vie, des formes de création, des rapports à l’Histoire vus sous un angle nouveau. Mais, surtout, des gens, artistes ou non, avec qui elle noue des amitiés, auprès de qui elle ne cesse d’apprendre.
Le temps des vacances permet encore une parenthèse de voyages, en Inde, en Chine, en Australie, mais aussi en Europe ; en 1981, elle se rend dans ce que l’on appelle encore « les pays de l’Est ». Depuis La Réunion, elle porte ses pas au Kenya, en Tanzanie et dans les îles de l’océan Indien (Madagascar, Maurice, les Seychelles).
Tout cela nourrit les nouvelles qu’elle écrit et qu’elle rassemble dans une première publication, Vingt-et-un Points de Suture Depuis son retour dans l’île, elle participe à la vie culturelle et artistique de la ville de Saint-Pierre.