TOUTES LES MORSURES DE REQUINS NE SONT PAS DES « ATTAQUES », LOIN S’EN FAUT !

Si dans le milieu marin les requins peuvent représenter un certain danger pour l’homme, ce risque se manifeste rarement :  la base de données International Shark Attack File (ISAF) leur attribue en effet MOINS DE 90 BLESSURES AU NIVEAU MONDIAL EN 2024.

Il est donc intéressant de rechercher les motivations des requins conduisant à une morsure.

A partir de données sur les morsures de requins, collectées depuis 2009 en Polynésie française (Pacifique Sud-Est) par le Centre de Recherche Insulaire et Observatoire de l’Environnement (CRIOBE) de Moorea, Clua et al. (2025) viennent de publier une étude répertoriant les différentes motivations des morsures de requins sur les humains.

Celles-ci sont NON LETALES DANS LEUR GRANDE MAJORITE :

  • Réflexe/maladresse : mauvais jugement de l’animal dans le cadre de son comportement alimentaire (morsure non dirigée contre les humains). Pas de signes avant-coureurs.

Exemple : un humain mordu lors d’une frénésie alimentaire, dans le cadre d’un nourrissage de requins ou dans les conditions naturelles.

  • Concurrence/accès aux ressources : l’humain représente, volontairement ou non, un concurrent direct pour l’accès à une ressource alimentaire. Pas de signes avant-coureurs. Exemple : un pêcheur au harpon qui tente de défendre ses prises blessées face à un requin.
  • Antiprédateurs : l’humain, volontairement ou non, apparaît comme une menace potentielle pour le requin. Le requin peut adopter instinctivement un comportement agonistique spécifique (abaissement des nageoires pectorales, secousses du corps, accélération de la nage saccadée). La distance entre le requin et l’homme est un facteur déterminant dans l’attaque, surtout si l’homme nage rapidement vers le requin ou réduit son champ de fuite en le plaquant contre le substrat. Exemple : un plongeur s’approchant rapidement d’un requin avec un scooter sous-marin ou le long d’une paroi rocheuse.
  • Dominance-territorialité : l’humain a pénétré, volontairement ou non, dans l’idiosphère du requin. Le requin peut adopter instinctivement un comportement agonistique spécifique (cf. supra). Exemples : un surfeur, un nageur ou un plongeur qui s’approche trop près d’un requin (la réaction de l’animal peut être exacerbée par son état physiologique : saison de reproduction ou grossesse).
  • Légitime défense/représailles : l’humain constitue volontairement ou non un danger pour le requin. Le principal facteur déclenchant est l’agression antérieure (ou le comportement perçu comme tel) de l’homme envers le requin. Pas de signes avant-coureurs. Exemples : pêche d’un requin à la ligne ou au harpon ; plongeur qui tente d’attraper un requin.
  • Prédation/investigation (exploration) : morsure (le plus souvent répétée sauf en cas d’investigation) s’inscrivant dans un processus d’alimentation sur une proie humaine, motivée par la faim. Pas de signes avant-coureurs. Dans ce cas, le comportement de l’homme ne contribue que très peu à la genèse de l’accident.

Les auteurs ont ainsi identifié, pour certaines morsures, le principe d’autodéfense, déjà connu en éthologie, et relaté chez de nombreuses espèces : les serpents, les araignées, et certains oiseaux et mammifères terrestres, notamment les chiens.

Et ils mettent en exergue un principe simple défini par Baldridge (1988) : « Aucun requin, quelle que soit sa taille ou son espèce, ne devrait jamais être placé dans une situation si intenable que l’animal n’ait d’autre alternative que de frapper pour se défendre ».

Le comportement de prédation volontaire (non provoqué) d’un requin sur l’homme n’est donc qu’un cas parmi d’autres, un cas rare et qui ne concerne que des individus parmi les grandes espèces de requins (notamment le requin blanc Carcharodon carcharias, le requin tigre Galeocerdo cuvier, le requin bouledogue Carcharhinus leucas, et le requin longimane Carcharhinus longimanus).

L’autodéfense comme motivation des morsures remet en question l’usage du terme « attaque » souvent employé pour désigner ces incidents. Suggérant une interaction hostile, ce terme est inapproprié dans nombre de cas, notamment ceux provoqués.

Les scientifiques privilégient donc des termes plus neutres et plus objectifs : « incident », « accident », « interaction » ou « morsure ».

Les médias jouent un rôle clé dans cette perception, ayant tendance, en cas de morsures, à présenter le requin comme l’agresseur, même lorsque l’homme est responsable de l’initiation de l’interaction. Cette approche simpliste nuit à l’image des requins et, de fait, à leur conservation, qui dépend du soutien du public.

Par exemple, faire porter la responsabilité des morsures défensives aux requins renforce la justification des représailles et des efforts de contrôle des requins, alors que ce type d’interaction avec l’homme relève en fait d’un instinct de préservation et ne devrait donc pas être à l’origine d’une gestion létale.

Source : Clua E.E.G., Vignaud T. and Wirsing A.J. – 2025 – The Talion law “tooth for a tooth”: self-defense as a motivation for shark bites on human aggressors. Front. Conserv. Sci. 6:1562502. doi: 10.3389/fcosc.2025.1562502

Didier Dérand

Président de VAGUES

*Crédit photo : ARDEA-Mary Evans-SIPA

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