Un régime parlementaire revitalisé ou le blocage institutionnel

LIBRE EXPRESSION

Le président de la République a déclaré, dans son interview du mardi 23 juillet à France 2 et France-info, qu’il ne nommerait pas de nouveau gouvernement avant la fin des Jeux olympiques “mi-août”, en passant sous silence la proposition du Nouveau Front populaire (NFP) de Madame Lucie Castets comme candidate au poste de Première ministre. Le fera-t-il par la suite comme il se doit, selon l’usage ou la tradition républicaine ? Mais, comme il invite les forces politiques, à l’exception du Rassemblement National (RN), à s’allier en faisant des compromis en vue de gouverner avec une majorité confortable, on voit assez clairement dans quelle direction il cherche à trouver et nommer un Premier ministre : l’axe central présidentiel. 

Invitation à bâtir une majorité solide

Ce n’est pas une première ! Emmanuel Macron l’avait déjà suggéré dans sa Lettre aux Français du 10 juillet, en déclarant haut et fort que « personne ne l’a emporté », tout en invitant instamment les forces politiques républicaines « à bâtir une majorité solide » pour gouverner le pays. Il semble ainsi découvrir les vertus du compromis alors qu’il « n’a jamais manifesté une attention particulière pour le travail législatif », comme l’écrivent les juristes Sylvie Salles et Jean-Jacques Urvoas dans une tribune au journal Le Monde (11 juillet 2024). C’est même à une dévitalisation de l’institution parlementaire que nous avons assisté depuis son arrivée au pouvoir depuis 2017 en raison de l’indifférence constante qu’il a manifesté à l’égard des représentants de la nation (Urvoas,07/04/22).

À l’issue des législatives des 12 et 19 juin 2022 où la coalition présidentielle n’avait pas obtenu la majorité absolue à l’Assemblée nationale (245 sièges sur 577, soit un manque de 44 sièges pour arriver à la majorité absolue de 289 sièges), Emmanuel Macron avait également appelé sa majorité « à bâtir des compromis » à l’Assemblée (Le Monde avec AFP, 24 juin 2022), mais sans réellement le concrétiser dans les faits. En lieu et place d’une coalition gouvernementale solide, nous avons assisté à une banalisation du 49.3 : plus d’une vingtaine de recours en dix-huit mois par Elisabeth Borne, soit en moyenne une fois par mois (Le Monde, 23/11/2023), conduisant à un affaiblissement de la démocratie parlementaire.

Que penser, aujourd’hui, de l’appel solennel du président Emmanuel Macron – « Président de la République, je suis à la fois protecteur de l’intérêt supérieur de la Nation et garant des institutions et du respect de votre choix » – aux forces politiques « à bâtir une majorité solide… autour de quelques grands principes pour le pays, de valeurs républicaines claires et partagées » ? Ce qu’on sait de sûr, c’est qu’il n’y aura pas de nouveau gouvernement avant la mi-août. « Et puis à partir de là, en fonction de l’avancée de ces discussions, ce sera ma responsabilité de nommer un Premier ministre ou une Première ministre et lui confier la tâche de constituer un gouvernement et d’avoir le rassemblement le plus large qui lui permette d’agir et d’avoir la stabilité”, a dit le chef de l’État le 23 juillet dernier (voir ci-dessus). 

Vers un gouvernement minoritaire.

Mais qu’attend le président Macron au juste de ces trois blocs antagonistes en présence, aux programmes a priori incompatibles ? Pour l’heure, le gouvernement souhaité, avec une large majorité à l’assise stable (une coalition susceptible de rassembler plus de 50 % de députés derrière un nom de premier ministre et un contrat de gouvernement) paraît chimérique. Compte tenu de l’exclusion du Rassemblement National (RN) du gouvernement souhaité et de la solidité de la coalition des gauches du NFP (la France insoumise, le Parti socialiste, les Écologistes et le Parti communiste), écartant toute perspective d’alliance avec le camp présidentiel, de quelque côté qu’on se tourne, seul un gouvernement minoritaire semble possible. Et ce, dans deux directions : 

  • celle de la coalition Nouveau Front populaire, avec 193 députés à l’Assemblée nationale. C’est la première force arrivée en tête avec une majorité de sièges, mais ne disposant toutefois que d’une majorité relative, avec seulement 33,45 % des sièges à l’Assemblée. Elle a déjà désigné sa Première ministre en la personne de Mme Julie Castets, poste qu’elle revendique haut et fort, assez légitimement.
  • ou une coalition post-électoral élargie, qui va du centre à la droite classique et comprenant la coalition présidentielle Ensemble pour la République (Renaissance, Horizons, UDI) les Républicains et un certain nombre de députés du groupe LIOT, soit un regroupement d’environ  234 députés, encore assez loin de la majorité absolue de 289, mais disposant de plus de députés que la coalition des gauches. Toutefois, il convient de noter que les deux grandes forces de cette coalition (Ensemble et Les Républicains) ont été sanctionnées dans les urnes (perte de 82 sièges et 22 pour respectivement).

De quelle coalition sortira le Premier ministre ou la Première ministre ? Le choix du président de la République est discrétionnaire. Il est juridiquement libre de choisir qui il veut à Matignon. Toutefois, il est tenu politiquement de choisir un Premier ministre ou une Première ministre susceptible d’obtenir le soutien d’une majorité de députés, à tout le moins de ne pas susciter le rejet d’une majorité d’entre eux. Le chef de l’État avait fait savoir, après la proclamation des résultats du second tour des élections législatives, le dimanche 7 juillet, « attendre la structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les décisions nécessaires (), conformément à la tradition républicaine » (France info, 07/07/2024). Et dans son interview sur France 2, pas de gouvernement avant la « mi-août » (BFMTV, 23/07/2024), 

Quoi qu’il en soit, le prochain gouvernement sera un gouvernement minoritaire par manque de consensus entre les grandes forces politiques de la nation et le rejet du Rassemblement national, une formation pourtant forte de 143 députés, pour laquelle  a voté un électeur sur trois le 30 juin 2024 ; ses élus, élus de la République comme les autres, à égale dignité, ont subi un traitement indigne de la part d’un certain nombre d’élus de la nation, le traitement qu’on réservait jadis aux pestiférés (ne pas s’en approcher, ne surtout pas les toucher). Et à l’heure où le Parlement pourrait retrouver pleinement son rôle, un lieu de débat constructif, on veut faire sans les élus du RN !

Consentir à des compromis et à des concessions…

Un gouvernement minoritaire, sans le soutien explicite d’une majorité absolue à l’Assemblée, peut se maintenir et être efficace, à condition de dialoguer avec toutes les forces politiques de l’Assemblée nationale (11 groupes) et construire des majorités pour chaque texte, en faisant des compromis pour engager des politiques efficaces au service du bien commun. La configuration actuelle de l’Assemblée nationale avec onze groupes et trois blocs d’opposition ne permet à aucun bloc de gouverner seul, certainement pas de « mettre en œuvre tout son programme et rien que son programme ».

Le front républicain n’est hélas pas un accord de gouvernement. Gouverner dans la durée implique de négocier et de bâtir des points d’accord programmatiques avec les autres forces politiques qui soutiendront le gouvernement au Parlement. En outre, négocier et construire la formation d’une majorité basée sur un compromis ne peut se faire que dans le respect de toutes les forces adverses, voire de tous les élus de la nation. Le nouveau gouvernement minoritaire pourra s’assurer d’un soutien suffisant, constant et solide de la part des autres forces politiques (qui ne participent pas au gouvernement) au Parlement que s’il se montre capable de consentir à des compromis et à des concessions. Et cela, dans la reconnaissance de la légitimité de chaque élu de nation !

Est-ce que nos responsables politiques – tous bords confondus – seront à la hauteur des défis de l’heure ?  Tout dépendra de la capacité de nos élus à inventer de nouvelles pratiques et à adopter des fonctionnements respectueux du pluralisme politique issu des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024.

Reynolds Michel 

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Régime parlementaire

L’avenir parlementaire suite aux élections.

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