LIBRE EXPRESSION
Après un détour explorant la vie embryonnaire avec Rosine Chandebois, le hasard de mes lectures me fait connaître les travaux d’Eric Karsenti et son ouvrage « Aux sources de la vie, de la cellule à l’être humain » (2018). Enfin un auteur qui tente de rassembler des savoirs disjoints pour un tout des plus stimulant !
Suite à cette lecture, m’est venu une « Nouvelle Alliance » possible en rapport avec les travaux de Ilya Prigogine (1917-2003), prix Nobel de chimie en 1997 et d’Isabelle Stengers (1949), philosophe et épistémologue.
Oui, nouvelle alliance, celle-ci en 2023, soutenue potentiellement par Eric Karsenti (1948), directeur de recherche au CNRS, pour qui les phénomènes d’émergence inscrits dans le temps sont incontournables dans les sciences du vivant, et pour nous également quand on étudie les rêves.
Par Carl Gustav Jung, (1875-1961), comme autre interlocuteur explorant la vie de l’inconscient par l’approche des rêves, « la voie royale », nous pouvons aborder cette Nouvelle Alliance par le vecteur des rêves à la première personne.
Cette approche est quasiment occultée dans les milieux de la recherche en laboratoire… sauf à notre connaissance par Michel Jouvet (1926-2017) qui aura tenté d’auto-interpréter ses rêves.
La recherche en laboratoire n’explore pas en effet les arcanes de l’inconscient chez les humains à la première personne, et ceci réduit l’efficience de la recherche fondamentale, encore plus appliquée chez l’humain.
Mon témoignage deux « tranches » de psychanalyse
La première phase, durant cinq années, fut marquée par un impératif besoin de parler. Elle aurait pu souffrir du risque de censure de ma conscience dont la technique se basait sur la libre association. Le débit de parole était tel que cette censure était moindre, ou subtilement démasquée par ma très discrète analyste, à qui je suis toujours vivement reconnaissant. Sans cette analyse, par exemple, je n’aurais pas réussi mes études de psychologie dont je contestais trop souvent les fondements…
Ma seconde phase fut déclenchée par le trop grand espoir projeté dans la publication d’un livre, « La santé et les besoins essentiels de l’enfant, Pour fonder l’éducation sur les sensations », 1987. Ce livre prolongeait en réalité ma thérapie.
Cette phase, qui dura trois années et demie, fut fondée et rendue possible par une profusion de rêves ; seconde expérience radicalement différente, dont l’analyste se référait à Jung. Il devait apprécier le Bouddha puisqu’une imposante statue occupait l’entrée de son domicile. Outre l’apport d’une santé plus affirmée, cela m’aura permis de pénétrer dans l’intimité de mon organisme au plus près de mes cellules, pourrais-je dire.
Avec mon vécu d’analysé, sans pour l’instant soumettre mes propres « rêves », je vais tenter d’établir des liens théoriques et hypothétiques (pour l’instant) à l’aide de quelques éléments d’un cursus légué par Jung et quelques points de repère proposés par des chercheurs sur le cerveau « onirique ». Mes références font également appel aux travaux de Michel Jouvet et Francisco Varela, (1946-2001). J’ai pu consulter Varela avant ma soutenance de thèse qui aura comme titre : Individuation, enaction, émergences et régulations bio-psycho-sociologiques du psychisme, Paris 7, en 2000.
Après cette introduction, avançons que le cerveau crée des images considérées comme des « objets mentaux » ou encore de simples idées. C’est ainsi que Jung à ses débuts aborda l’imagination active, selon un test « associatif » basé sur la libre association.
Dans la pratique, il m’est apparu lors de ma cure psychanalytique comme une intelligence intuitive, un tropisme, une sorte « d’attracteur » à l’origine de ces images et des dispositions pulsionnelles ; à la fois se traduisant par des images motrices, rassemblant et produisant des images holographiques en trois dimensions et téléo-sémantiques produisant du sens, dont la signification incombe aux rêveurs (et non aux analystes, dans l’idéal). Curieuse sensations d’être acteur et spectateur, ce que permettent les prouesses du cerveau.
De plus, cette intelligence construit en images une réalité avant qu’elle émerge à notre conscience et nous pousse à agir, généralement pour notre plus grand bien. Ou parfois en nous faisant faire des atrocités ou des bizarreries sans passage à l’acte dans la réalité. Pour nous indiquer une réalité cachée… En ce sens, cette intelligence est désinhibitrice des complexes psychiques et plus généralement d’une mémoire pathogène.
On peut penser que cette réalité imagée se manifesterait à la fois en fonction d’informations acquises (par instruction) et d’un dynamisme inné préservé ontologiquement (que la psychanalyse soigne au besoin) ; c’est-à-dire une réalité non contrariée par l’éducation et le mode de vie, qui nous pousserait à agir et à être créatifs.
Pour nous la définition de la vie intègre la créativité, pour Eric Karsenti également me semble-t-il.
Ceci m’avait fait penser (en 2013, environ trois ans après ma thèse) que l’inconscient est plus intelligent que notre conscience qui, elle, serait plus conventionnelle, pour ne pas dire névrosée, ce que je découvre à la suite de ma psychanalyse. Il me fallait me déconditionner de représentations transmises par des enseignements se référant à Freud.
Le cerveau, libéré de ses complexes et de ses emprises, aurait plus aisément une attention vigilante et anticipatrice en assemblant des informations par analogie, en « bricolant » dirait peut-être François Jacob, (1920-2013), en créant instinctivement, des scénarios imagés par les « rêves » et anticipant des réalités possibles, voir « Le jeu des possibles », F. Jacob (1982). Et le corps, lui aussi, se libère de sa « carapace musculo-caractérielle » dirait Wilhelm Reich (1897-1957).
Et notre conscience, de ce fait éclairée, n’aurait plus qu’à faire des choix ! C’est ce que nous pourrions appeler le « libre arbitre ». Cette liberté nous viendrait de l’inconscient (d’autant plus facilement non névrosé), faculté visuelle endogène qui émergea d’avant homo Loquens.
On peut douter de cette réalité intelligente parce que nous serions trop influencés par des dimensions binaires ou matérialistes de la réalité et acculturés concernant l’exploration de nos « rêves » arbitrairement explorés par Sigmund Freud (1856-1939).
De surcroît, les scientifiques sont « orientés » sur « le voir » au détriment de dimensions perceptives plus globales qualifiées de « subjectives ».
Descartes, et d’autres, ont pourtant évoqué leurs rêves, anticipant des découvertes.
Relevons une exception contemporaine avec Antonio Damasio, (1944). Ce neurologue, psychologue et philosophe vient de publier : « Sentir et Savoir, Une nouvelle théorie de la conscience », (2021), livre qui devrait créer des ouvertures dans nos pensées et peut-être nos pratiques de promotion de la santé dès la conception du bébé, lui qui ressent avant de comprendre.
Une Nouvelle Alliance entre Carl Gustav Jung et Eric Karsenti ?
Frédéric Paulus
Psychothérapeute et Directeur du CEVOI
Expert Extérieur Haut Conseil de Santé Publique