NRL : DÉPÔT DE BILAN [ÉPISODE 1]
Début aujourd’hui d’un feuilleton en quatre épisodes sur le déplorable héritage du chantier de la NRL. Commençons par l’état des lieux d’une route « en fin de vie », d’un chantier à l’arrêt et d’une bretelle provisoire.
Toute La Réunion était invitée à assister le 27 octobre dernier à une assemblée plénière extraordinaire du Conseil régional traitant d’un seul sujet : la Nouvelle Route du Littoral.
Qu’en a-t-on retenu ?
Que le chantier, qui aurait initialement dû être achevé depuis deux ans, est dans une impasse. On le savait déjà.
Que ça va coûter plus cher. D’ailleurs l’annonce de « plus de deux milliards au lieu de 1,6 milliard» est sous-estimée.
Et que l’on ne sait pas quoi faire de ce déplorable héritage laissé par l’ancien président…
Dans la meilleure des hypothèses, il ne faut pas s’attendre à une livraison totale avant 2028… Quel gâchis ! Quel triste symbole pour un territoire qui se veut émancipé !
Mais, allons plus profond dans le scandale. Le rapport non-public, soumis aux élus, compte 157 pages. Sa consultation est édifiante.
Premier constat, la transparence n’a jamais été le fort de la NRL. On apprend dès les premières pages du rapport que le marché de la digue non réalisée entre la Grande-Chaloupe et la Possession a été résilié en octobre 2019. A cette époque, l’information était connue des services de l’Etat et des principaux acteurs du chantier. Mais consigne avait été donnée de ne rien en dire…
Aujourd’hui la nouvelle majorité annonce la mise en ligne prochaine de toutes les informations ayant trait à la NRL. Dont acte. Pour l’instant c’est cependant un rapport plus ou moins confidentiel qui nous permet de faire le point
Nous aborderons durant les prochaines semaines les chapitres du « gaspillage financier », de « l’impasse technique » et « le grand flou des projets à venir ». Commençons, pour ce premier épisode, par l’aspect le plus concret : Dans quel état se trouve aujourd’hui l’axe vital reliant Saint-Denis à la Possession ?
Carapace totalement destructurée
Malgré les imposants filets permettant de canaliser les petits éboulis, il est toujours aussi dangereux de circuler sur la route du littoral qui reste sous la menace d’un éboulement massif tel que défini dans le rapport Sutter de 1998. La Région a beau consacrer 6M€ chaque année à l’entretien des 12 kilomètres de RL, sa dégradation, essentiellement par les vagues, ne cesse de s’accentuer. « La carapace en tétrapodes est totalement déstructurée », lit-on dans le rapport. L’ouvrage est « en fin de vie ». Ça bouge à chaque épisode cyclonique. « Elle pourrait être détruite à l’occasion d’un cyclone ».
Puisqu’on en est à se faire peur, on apprend que, de toute façon, les grosses infrastructures de La Réunion que sont l’aéroport de Roland-Garros et les ports ne sont pas du tout dimensionnées pour faire face a l’élévation du niveau des océans.
Mais revenons à cette route « en fin de vie » et à ce trou de 2,5 km qui aurait dû être comblé par une digue sur talus baptisée poétiquement la « MT5.2 » (soit la 2ème tranche du 5ème marché de travaux). Faute de matériaux et faute de financement il faut désormais se replier sur une solution provisoire pour que les près de 70 000 véhicules qui passent par là puissent s’éloigner de la falaise en empruntant le viaduc déjà construit.
34 millions d’euros pour une bretelle provisoire
Le sujet était tabou du temps où Didier Robert tenait les rênes de la collectivité. La communication officielle criait aux « bobards » et aux contre-vérités quand on évoquait la demi-NRL. Elle est en fait dans les tuyaux depuis longtemps et le rapport de la Région comporte enfin une illustration de ce chantier.
Pour raccorder cette demi-NRL (ou ces 2/3 de NRL si l’on considère le linéaire à livrer jusqu’au PK 9,5) à l’actuelle route du littoral, il faut bâtir une bretelle d’accès. Des surcoûts sont engagés. Il faut déjà sécuriser le museau de la digue inachevée au niveau de la Grande Chaloupe pour le protéger de la houle. Un marché de 1,4 millions d’euros a été attribué. Et pour la bretelle en elle-même, un autre marché de 21,5 millions d’euros a été attribué.
Il va aussi falloir étudier sérieusement le coût de la sécurisation de l’ébauche de la digue côté possession. Sans même savoir combien de temps cette protection est censée durer…
En fait le surcoût du raccordement est évalué à 34 millions d’euros. La petite bonne nouvelle c’est que l’État y participe à hauteur de 17 millions.
De nombreux marchés secondaires sont en cours de finition ou restent encore à attribuer concernant la réalisation de la chaussée et les éléments de sécurité sur le viaduc et les premières digues. On est loin de la promesse du président sortant de livrer la bretelle avant la fin de l’année.
Réparation des premières digues jusqu’en juin 2022
Cet horizon est même repoussé d’un an à cause d’un imprévu : la carapace censée protéger les premières digues construites est bancale. Le rapport consacre plusieurs pages à ce fâcheux désordre. Depuis 2018 le maître d’œuvre Egis ne cesse de sonner l’alarme. Il a émis près de 240 documents et il a fallu engager une procédure contentieuse pour que le Groupement Bouygues-Vinci se penche sérieusement sur l’état de délabrement des accropodes qu’il avait posés.
A priori ces malfaçons ne constituent pas un risque de ruine de l’édifice mais elles peuvent induire de lourdes charges d’entretien et de réparation dans le temps. Alors que la NRL a été vendue aux Réunionnais comme ne nécessitant pratiquement pas de maintenance par rapport à l’actuelle route du littoral.
Le groupement s’est finalement engagé à retirer, reposer et réparer les accropodes endommagés. Ses interventions vont durer jusqu’à juin 2022 empêchant ainsi les travaux de construction de la voie de raccordement.
Cette bretelle s’appuiera sur un remblai de liaison entre les deux axes (NRL et RL) « permettant de rattraper les différences de niveau et d’assurer une transition sécurisée avec des rayons de courbures acceptables ».
Petit problème, en plus de ne pas avoir été prévue et de coûter 34M€, cette bretelle ne prévoit pas d’accueillir les cyclistes. La Région n’en compte que 10 à 20 par jour. Et il faut bien reconnaître que leur place sur la NRL suscite bien des questions. Au point qu’on a imaginé les aiguiller sur un encorbellement — d’un coût de 10 à 15 M€ selon le maître d’œuvre — et aux prises avec les vents particulièrement puissants qui sévissent dans cette zone, 30 mètres au-dessus des flots…
La Région devait de toute façon privilégier les voies de bus pour se conformer aux engagements pris vis-à-vis de l’Europe qui a mis 151 M€ dans cette NRL au titre du développement durable. C’est-à-dire donner une place aux transports en commun dans ce projet à la gloire du « tout voiture ». Quitte à balancer les vélos à la baille.
La construction de la voie de raccordement nécessitera également des fermetures partielles et complètes de la route. Mais ça, c’est un détail.
Franck Cellier