Vie chère et formation des prix : les (tardives) prises de conscience d’un profond ignorant

LIBRE EXPRESSION

C’était l’époque où s’imposaient les gilets jaunes sur les ronds-points de La Réunion, l’époque où était à nouveau massivement dénoncé le « coût de la vie » exorbitant, réquisitoire réunionnais périodique, hélas peu suivi d’effets perceptibles.

Lors d’une session de préparation à la retraite des fonctionnaires, organisée par la SRIAS, alors que, parfait ignorant, je m’apprêtais à approuver la dénonciation des abus relatifs aux marges bénéficiaires accordées à tous les produits importés, comestibles ou plus généralement d’usage domestique, le collaborateur d’un service de la préfecture m’interrompt pour m’indiquer qu’avec le nombre d’intermédiaires qui s’interposent entre la fabrication de la plupart des produits, quelque part dans le monde mais surtout en métropole, et leur achat réunionnais, il y a de quoi expliquer et comprendre une bonne partie du renchérissement de tout ! 

Ma curiosité s’était arrêtée jusque là à la notion vague de « coût des transports »… Sans devenir beaucoup plus connaisseur pour autant, je prends connaissance de la liste qu’il m’apporte le lendemain.

Ensemble, on en fait un tableau, dont mon interlocuteur me dit que tout le monde connaît ça (à part moi bien sûr, ce dont je conviens sans restriction !). Et il me rappelle qu’on n’est pas dans un monde de gentils intellos (j’ai compris !), mais que toute activité économique a pour finalité de « faire du profit ». Et qu’aux divers coûts et marges bénéficiaires calculés par les entreprises intermédiaires, il faut ajouter l’ensemble des taxes que ne manquent jamais de percevoir l’Etat et les multiples institutions officielles sur le travail des autres…

Et il me confirme que l’accumulation inévitable de ces réalités financières finit par coûter bien plus qu’en métropole à l’acheteur-consommateur réunionnais. Et qu’avant de cibler le ou les responsables locaux de la cherté de la vie, je devrais comprendre sur quelles bases se forment les prix des produits qui me coûtent ce « pognon de dingue… ».…

Et il me met sous le nez le tableau qu’il complète par une 3e colonne, celle des taxes et des impôts que j’avais évidemment complètement oubliés…

Voilà ce que ça donne :


Exemple du circuit emprunté par une marchandise quelconque…
0Production du produit• Le producteur fixe le prix de baseLe producteur paie à l’Etat : TVA, taxe professionnelle, taxe foncière, impôt sur les sociétés, etc…
1Transport dans un port métropolitain• Société de transport qui en tire profitCette Société paie à l’Etat : TVA, taxe professionnelle, taxe foncière, impôt sur les sociétés, etc…
2Stockage dans le port• Généralement : La chambre de Commerce, qui fait du profit
Cette Société paie à l’Etat : idem
3Embarquement• Société d’acconage… qui fait du profit
Cette Société paie à l’Etat…
4Transitaire• Société de transit… qui fait du profit
Cette Société paie à l’Etat…
5Fret maritime• Compagnie de Navigation … qui fait du profit
Cette Société paie à l’Etat…
6Assurance• Compagnie d’assurance… qui fait du profit
Cette Société paie à l’Etat…
7Débarquement à la Réunion• Société d’acconage… qui fait du profit
Cette Société paie à l’Etat…
8Stockage• CCIR… (Chambre de commerce et d’industrie de La Réunion) qui fait du profit
Cette Société paie à l’Etat…
9Transit RéunionTransitaire… qui fait du profit
Cette Société paie à l’Etat…
10DédouanementService des douanesL’Etat, le Conseil régional, le Conseil départemental, les Communes encaissent TVA et Octroi de mer sur le prix de revient de la marchandise…
11Transport chez un importateur grossisteSociété de transport… qui fait du profitCette Société paie à l’Etat : TVA, taxe professionnelle, taxe foncière, impôt sur les sociétés, etc…
12Stockage et vente du grossisteSociété grossiste appliquant un coefficient sur le prix de revient et sur les taxes locales…
Cette Société paie à l’Etat…
13DétaillantGrande surface ou magasin ou boutique, appliquant son coefficient sur le prix du grossiste
Cette Société paie à l’Etat…
14Achat

Entre la production de la marchandise quelque part « lot coté lamer » et son achat à La Réunion, il y a au pire 13 intermédiaires, même si on sait que les grands distributeurs ont su simplifier leur organisation et donc diminuer leurs coûts de transport et d’importation.

Passablement honteux de mon ignorance, mais pour ne pas trop le montrer, je consens mollement à cette découverte… Et puis je ne revois plus ce collaborateur préfectoral qui va partir à la retraite. Et… engagé dans d’autres combats, je laisse tout ça de côté.

Mais voilà qu’il y a deux ou trois jours, lisant les informations que m’apporte l’actualité, je tombe sur la déclaration résolue d’un maire de notre département traitant de la cherté de la vie. Au milieu d’un plaidoyer relatif aux coûts des transports et au manque criant de concurrence, donc au contrôle des lobbys, il incite vigoureusement l’Etat à « tout faire pour mieux contrôler et sanctionner les abus ou les marges déraisonnables, voire carrément user de son pouvoir pour faire baisser les prix ». 

Du coup, je retourne à mon tableau de la formation des prix et je repense à cette troisième colonne qui traite des multiples taxes imposées par les pouvoirs publics et dont doit bénéficier également la commune du maire plaideur.

• Pas certain de tout comprendre, il me semble tout de même qu’il conviendrait de reconnaître qu’à tous les maillons de cette chaine de la formation des prix, 

– les gagnants n°1 sont l’Etat et les collectivités locales

– les gagnants n°2 sont toutes les entreprises qui tirent profit le long du circuit, et notamment les importateurs. Donc pas seulement le détaillant ou la grande surface commerciale, par ailleurs elle-même importatrice…

Toutes les entreprises intermédiaires, importateurs y compris, établissent leurs marges. Sur lesquelles notamment, l’Etat et les collectivités locales perçoivent les diverses taxes.

Toujours aussi con qu’un caddy à la dérive sur un parking désert, je me demande à laquelle des 13 étapes intermédiaires il faudrait intervenir pour « mieux contrôler et sanctionner les abus ou les marges déraisonnables » ? Et puis, en imaginant (il en faut de l’imagination !) une résolution favorable aux consommateurs, attention à maintenir des taxes bien calculées pour ne pas déséquilibrer les budgets des collectivités locales et des mairies… Y avez-vous pensé M. le maire ?

• Mais sur un point essentiel, je finis par donner raison à l’édile local : certaines de ces sociétés surtout importatrices sont en situation de monopole. Ce sont de puissants lobbys, ce qui fait en général monter les prix, qu’ils fixent à leur guise. Alors que d’autres (ou les mêmes), investissent leurs profits en créant des emplois… heu… à l’étranger. De toute manière, ce sont les Réunionnais qui paient !

Un benêt mirobolant

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Kozé libre

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