BIOSURVEILLANCE
De grosses entreprises et institutions hébergent des ruches pour mesurer la pollution à trois kilomètres à la ronde. Leurs abeilles livreront-elles un jour les résultats de leurs millions de prélèvements ?
Bzzz, bzzz… Depuis plusieurs semaines, un silence institutionnel (ARS, mairie et Département) répond à notre article sur la « pollution chronique aux pesticides » relevée par le Cirad dans les eaux de surface des ravines Charrié et Du Pont de Petite-Ile.
Bzzz, bzzz… À défaut de volonté politique, les abeilles pourraient-elles se charger de la surveillance de la pureté de l’environnement ? C’est en tout cas ce que propose l’association Bee Run Apiculture qui organisait le 14 novembre dernier une table-ronde sur la « biosurveillance par l’abeille et les ruches connectées ».
L’idée n’est pas nouvelle, le syndicat des apiculteurs de La Réunion, via l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), installe depuis 10 ans des ruches auprès de diverses institutions dans la commune du Port, à la Cinor, à Saint-Pierre, etc. Mais Bee Run, créée il y a trois ans, lui donne un nouvel élan en affichant quelque 25 partenaires répartis sur toute l’île.
Traquer les plantes exotiques invasives
Les responsables de Bee Run évoquent « la sixième extinction de masse » à propos des disparitions de dizaines de milliers d’espèces d’insectes et de la biodiversité en général. Les ruches qu’ils installent sont censées jouer le rôle de sentinelles de l’environnement afin de déceler toute trace de pollution, principale cause de ces extinctions.
Les abeilles, en butinant les fleurs dans un rayon de trois kilomètres autour de leur ruche, ramènent sous leurs pattes des pollens qui sont des traceurs particulièrement efficaces pour déceler les indices de pollution. « Une ruche d’abeilles opère l’équivalent de 40 000 prélèvements par jour sur 700 hectares », explique Christophe Dupeyré, président de Bee Run. Une petite partie de ces pollens, environ 2%, est récupérée et envoyée à des laboratoires spécialisés dans la détection des molécules qu’on leur aura demandé de chercher.
La SPL Edden (société publique locale du Département) traque par exemple les plantes invasives introduites dans les espaces naturels sensibles qu’elle gère. Laurent Calichiama, responsable scientifique, se félicite de cette aide aux botanistes chargés des relevés de terrain. « Les pollens prélevés nous informeront premièrement sur les espèces exotiques envahissantes et deuxièmement sur la détection des plantes indigènes rares et protégées pour lesquelles il faudra mettre en place des mesures de conservation particulières », indique-t-il.
Un « point zéro » avant l’incinérateur
Accessoirement la mesure des pesticides figure au programme mais la SPL Edden insiste sur le fait que ce ne sera pas sa priorité. « Le but n’est absolument pas de stigmatiser les activités agricoles », précise le scientifique.
On comprend bien que les ruches installées chez les partenaires n’ont pas vocation à dénoncer les pollueurs mais, plus positivement, à biosurveiller les alentours. La nuance est subtile. Florence Mussard, directrice de l’installation de stockage des déchets non dangereux (ISDN) de Pierrefonds, présente les ruches du site comme des sentinelles démontrant que l’activité de la décharge n’est pas polluante.
Les abeilles de Pierrefonds ont également pour mission d’établir « un point zéro » avant la mise en service de l’Unité de valorisation énergétique Runeva afin de mesurer les conséquences de l’incinération des déchets à partir de 2026.
Dans les gaz d’échappement de Gillot
L’aéroport Roland-Garros, l’un des premiers partenaires de Bee Run, a confié à ses abeilles le soin de relever les présences d’hydrocarbures aromatiques polycycliques : c’est-à-dire les gaz d’échappement des voitures et des avions.
Après deux années de service, les ruches sentinelles ont au moins permis de sensibiliser les salariés et les usagers des structures hôtes à l’importance des abeilles pour le maintien de la biodiversité. Mais elles n’ont pas encore livré les résultats de leurs analyses.
C’est à la transparence des données qui seront rendues publiques que l’on pourra évaluer si leur installation répond à une réelle volonté de réduire les pollutions. Ou s’il fallait surtout cocher les bonnes cases pour répondre aux obligations de RSE (Responsabilité sociale des entreprises).
Bzzz bzzzz…
Franck Cellier
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