Alain Bled

LES « ZARNAKÉDITEURS »

Alain Bled est chroniqueur à Radio Sud Plus et auteur de plusieurs romans, récits de voyages et documentaires entomologiques. Il participe à de nombreuses activités culturelles depuis les années 70. Dans cette rubrique, il abordera la littérature de la Réunion sous toutes ses formes.

Un flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. Et si Monsieur de La Fontaine racontait des fables, il y dénonçait souvent les fabulateurs qui sévissent dans toutes les professions, y compris dans le milieu littéraire. En 1978, un ouvrage dénonçait déjà le racket de l’édition.

Edité par le Castor astral, il décrivait tous les pièges tendus aux écrivains débutants, par des imprimeurs peu scrupuleux, qui promettaient monts et merveilles à tous ceux qui envoyaient leurs œuvres affirmant que celles-ci étaient magnifiques et qu’ils allaient la publier en urgence. Il suffisait que l’auteur leur envoie quelques centaines d’euros (des francs à l’époque) et le pseudo-éditeur s’engageait à tirer quelques centaines d’exemplaires de l’ouvrage, les diffuser, en envoyer aussi à l’auteur à prix « réduit » , et à en faire la promotion. En fait, tout ça était bidon, souvent l’imprimeur ne tirait que quelques dizaines d’exemplaires, et empochait dix fois la valeur de l »impression. Et comment l’auteur s’en apercevrait-il, puisqu’à moins d’un miracle, il n’arriverait  à en vendre qu’à ses proches et au compte-gouttes dans les salons !

Editeurs bidon, livres au pilon

Bref, l’édition à compte d’auteur était, et demeure toujours, une énorme arnaque ! A la Réunion, les  victimes étaient le plus souvent dupées par « la Pensée Universelle », qui a grugé des dizaines d’auteurs réunionnais, avant d’être condamnée par les tribunaux.

Aucune sélection des œuvres : cet éditeur acceptait 95 pour cent des œuvres proposées ! Sans apporter de corrections, ni les relire. Même couverture moche pour tous les ouvrages, aucune promotion sérieuse malgré les promesses… Je conseille à tous de découvrir aussi cet article : https://www.liberation.fr/livres/1996/05/02/des-auteurs-liquides_172773/

Croyez-vous qu’un demi-siècle plus tard, cette tricherie n’existe plus ? Au contraire, on pourrait citer pas moins de dix maisons d’édition, rien qu’à Paris, qui procèdent encore de cette manière. Vous les trouverez souvent sur la table des auto-édités dans les salons du livre. Les écrits ne sont pas forcément mauvais d’ailleurs. Le problème, c’est que, même en pleine conscience, les auteurices acceptent de se laisser arnaquer, ayant trop envie de voir leur livré édité, même à 2000 euros pour un simple travail d’impression plus ou moins médiocre. Seule promesse vraiment tenue par ces escrocs : ils s’occupent de la référence ISBN obligatoire, mais ça, n’importe quel auteur auto-édité pourrait le faire facilement lui-même.

De « Taches d’encre » à « Bas de laine éditions »

Ce qui m’énerve, en tant qu’auteur moi-même, c’est de constater que depuis des décennies, des auteurs locaux acceptent cette situation. Ajoutons que si on marchande, on peut obtenir de fortes réductions ! Ainsi chez « Taches d’encre », (pseudonyme), des auteurs locaux ont payé jusqu’à 2000 euros pour un ouvrage invendable, car sa livraison depuis Paris, pour un lecteur de la Réunion, augmentera le prix total de 50 pour cent !

Qui va acheter un livre inconnu à 30 euros alors que le format équivalent chez les vrais éditeurs, d’ici ou d’ailleurs, ne dépasse pas 20 euros?

Et il ne faut pas croire que cette escroquerie ne touche que les jeunes. Elle vise tous ceux qui n’osent pas se lancer dans l’auto-édition, la vraie, ou ceux qui n’ont pas le courage de se remettre en question, en se disant « bon, finalement, il vaut peut être mieux que je revoie ma copie ».

C’est vrai que les éditeurs locaux, pour la plupart, ne sont pas très réactifs. J’en sais quelques chose. Et les droits d’auteur sont minables, mais c’est la règle générale en métropole aussi. Par contre,  les éditeurs réunionnais me semblent assurer plutôt bien la diffusion dans l’île.

Si vous habitez à la Réunion et que vous écrivez sur un sujet qui n’a rien à voir avec la Réunion, fuyez encore plus les « zimprimarnakeurs » de l’Hexagone ! Si Gallimard ne veut pas de vous, n’optez pas pour « Bas de laine éditions ».

Editer à Paris, ça n’a rien de forcément valorisant !

Je rage de voir des recueils de poésie avec des photos très belles mais gâchées par une impression de m…. Et tous ces ouvrages dont la couverture est tellement ringarde ou banale que, non, vraiment, ça ne donne pas envie. Et que dire des résumés au dos du livre, parfois mal écrits, voire constellés de fautes ?

C’est toujours l’éditeur qui gagne

Alors, quelle solution intermédiaire me direz-vous, si vous n’êtes pas jugés assez bon pour Albin Michel là-bas ou Orphie ici ? Personnellement, quand les éditeurs locaux me snobent, je médite tout seul, lol, non, en fait je m’adresse à une petite maison d’édition de Nîmes, Nombre 7, qui d’ailleurs a racheté Edilivre. Il y a  une relecture des ouvrages (en diagonale à mon avis mais bon, c’est déjà un progrès), un dialogue par mail pour le choix de la couverture, etc. et une bonne réactivité. A vrai dire, je parle plus longtemps avec mon éditeur de Nîmes qu’avec ceux de la Réunion… ce qui est quand même un comble ! Mais avec Nombre 7 , reste l’inconvénient de la distance, et donc de la diffusion sur l’île ! Différence avec l’éditeur à compte d’auteur : ils ne demandent pas un centime, mais on s’engage à acheter quelques dizaines d’exemplaires, avec 30 à 40 pour cent de réduction-auteur. Par ce procédé, l’éditeur rentre aussitôt dans ses fonds, c’est vrai ; mais si  l’auteur ne se sent pas capable de vendre 50 exemplaires de son oeuvre,  quel intérêt de vouloir absolument éditer sur papier ?

Comme j’ai pu tester cinq éditeurs différents, dont trois locaux, en cinq ans, je pense que l’idéal, c’est un éditeur à compte d’éditeur local. Oui, je sais, on gagne plus en vendant soi-même ses bouquins, mais vous allez les vendre à qui ? Il y a deux cents auteurs qui se partagent les places sur les stands des salons locaux. Et ne parlons pas des librairies, qui croulent sous le poids des demandes d’auteurs !

Pour vous consoler, ne croyez pas que tout est rose quand on est chez un grand éditeur : si votre bouquin ne marche pas, il sera liquidé au bout de trois mois ! Et souvent, on n’a pas le droit de vendre des exemplaires soi-même.

Alors, à vous de réfléchir, mais que vous soyez un vieux retraité qui souhaite écrire ses mémoires, ou une jeune poétesse voulant narrer ses états d’âme,  pensez à l’un de mes amis qui a fini par brûler sa caisse d’invendus dans un  terrain vague, ou à cet auteur dont une libraire m’a offert le livre laissé en dépôt, en me disant « il m’a dit de les donner, au moins ainsi il espère que quelqu’un les lira ».

A vos plumes, donc… Mais pas pour signer n’importe quel contrat !

                                                                                Alain Bled

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