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Est-il venu en France le temps de la perlaboration ?

Antidote aux pulsions de pouvoir égotique 

Dans une France clivée de fait entre trois blocs, le temps est peut-être venu d’une culture qui romprait avec le traditionnel dualisme droite (==) gauche. Le terme peu familier de « perlaboration » que j’utiliserai nécessite d’en proposer une définition préalable.

Perlaboration est un néologisme. Il signifie élaborer, travailler avec soin ; la réflexion tant introvertie qu’extravertie s’y opère alternativement, progressivement, mettant à l’épreuve sa personnalité. Ce terme utilisé dans l’univers des psychanalystes désigne une élaboration fondant le travail psychique qui modifie spontanément la configuration potentiellement névrotique de la personne. Nous serions tous potentiellement névrosés avec des formes acceptables collectivement et d’autres plus problématiques. La perlaboration correspond à un travail, souvent long et silencieux, par lequel la logique évolutionniste du vivant chez l’humain s’impose, « usant » en quelque sorte les complexes. La pulsion naturelle de guérison des névroses devrait faire son travail malgré la résistance à ne pas désirer changer. En sorte que, si la perlaboration apparaît comme un moment pénible de l’analyse chez des patients, « elle n’en est pas moins nécessaire et douée d’une fécondité propre impulsée par un processus désigné par le terme « d’individuation », pensent certains psychanalystes d’orientation jungienne. Que nous soyons ou non en thérapie.

Dans le contexte de la vie publique, un acteur politique devrait être attentif à cette intériorité lorsqu’il se trouve confronté à lui-même, par ce processus de perlaboration. Du fait, par exemple, de ses motivations égotiques ou altruistes (pardon d’être aussi schématique) qui elles peuvent être conscientes ou inconscientes et plus ou moins névrotiques. Cette posture serait un handicap en présence d’un complexe névrotique évident de la personne lorsque celle-ci occupe une position dominante, alors qu’il s’agit de tenir compte de plusieurs avis du fait d’une culture qui s’éloignerait de positions dualistes au profit d’une nouvelle culture trialectique. Cette culture nécessite des compromis, des négociations, du respect, de l’écoute bienveillante, le sens de la justice et de la réciprocité.

Désolé cher lecteur pour ces termes « ésotériques » mais qui, confrontés à une nouvelle culture potentielle à venir, deviendraient des points de repères théoriques fiables.

La lettre du Président pourrait ainsi être sous-tendue par cette nouvelle culture qui engendrerait une nouvelle attitude face au temps qui passe.

La perlaboration suscite en effet un « travail » qui établit un va et vient entre la conscience du possible et l’idéal et la ou les réalités psychologiques, sociologiques et économiques.

Par exemple, si une politique aspire à plus d’égalité, le bloc opposé a priori peut être sollicité pour la recherche des domaines où une plus grande justice peut être avancée. La valeur « enrichissement » pourrait être relativisée par rapport à des pauvretés insupportables.

Autre exemple, dans le champ de l’énergie, en admettant le postulat que nous serions tous des écologistes (comme je le pense profondément) qui s’ignorent : l’abandon du nucléaire est-il envisageable ? Le recours à des referendums pourrait être plus souvent envisagé à condition de prendre le temps de bien informer les citoyens, ce qui est loin d’être la culture actuelle dans notre belle France. L’exemple de la Suisse pourrait nous inspirer.

En introduisant une culture de la prise de décision entre plusieurs « blocs », nous serions confrontés à une pratique inédite qui nous émanciperait de la culture actuelle du management pyramidal sous l’autorité potentiellement arbitraire d’un chef. Et ce, au profit d’une culture collective plus intelligente du fait du collectif.

De là pourrait, à terme, se répandre une nouvelle culture lors du processus de prise de décision. Elle s’établirait selon trois phases correspondant à trois attitudes illustrées par trois verbes qui sont :

1) Se confronter aux diverses situations et réfléchir en parallèle aux conséquences des décisions, ce fameux dilemme, souvent simpliste, « pour ou contre » avec le processus imaginaire en gardant à l’esprit que la nuit portant conseil, la décision peut attendre que les esprits pré-élaborent des alternatives.

2) Laisser advenir, du fait que l’intelligence du plus grand nombre serait supérieure à sa propre intelligence.

3) Contempler ou encore admirer, car l’intelligence collective dépasse à n’en pas douter ses propres possibilités. Les enfants, déjà, sont sensibles lorsqu’on leur porte attention et respect.

Et les ingénieurs qui ont envoyé Ariane 6 tout récemment dans l’espace avec succès ont de quoi être fiers et nous-mêmes admiratifs.

Il est possible que le Président inaugure en « toile de fond » cette nouvelle culture dans sa lettre. Elle suggère de prendre le temps afin que cette nouvelle intelligence évoquée puisse émerger pour bâtir et intégrer « une majorité solide, nécessairement plurielle ».

Le temps du « noir ou blanc » serait-il révolu ? comme le chante Jean-Jacques Goldman : « Entre gris clair et gris foncé » !

Frédéric Paulus

Expert Extérieur Haut Conseil de Santé Publique

Docteur en psychologie et en sociologie  

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