Rêves

Enigme(s) pulsionnelle(s) des rêves à la rencontre du « génie » du vivant

LIBRE EXPRESSION

Trois de mes rêves, bien que datant de 1989, me permettent d’introduire un questionnement sur la logique sous-jacente du psychisme. Ces trois rêves étaient supposés inaugurer une nouvelle approche de la vie psychique soutenue lors de la soutenance de ma thèse de doctorat de psychologie en 2000 (*), ils furent considérés comme éléments cliniques illustrant l’hypothèse d’un vitalisme d’introversion s’exprimant par le vecteur d’images durant le sommeil.

(*) Individuation, énaction, émergences et régulations, bio-psycho-sociologiques du psychisme, université de Paris 7, 2000.

Nous devrions retrouver la distinction entre psychisme « primaire », lié à la biologie et sa prodigieuse créativité, celle-ci reliée à l’évolution ; et psychisme « secondaire » lié à l’influence culturelle, depuis ma naissance en l’occurrence. En revenant à l’expérience personnelle, on devrait pouvoir aborder le vitalisme psychique dans sa globalité au niveau du vécu au travers de ces trois rêves, approche relevant d’une introspection impossible, voire impensable pour un chercheur en laboratoire.

Le premier rêve fut suivi par deux autres la nuit suivante. Pour les analyser, il est nécessaire de les situer dans le contexte de ma psychologie de l’époque, quelque temps après mon arrivée sur l’île de La Réunion. Je peux dire que leur déclenchement (on pourrait aussi dire « l’énaction » selon Francisco Varela ou encore la « présentation ») fut causé par l’invitation d’un ami psychiatre-psychanalyste à faire partie d’un groupe de travail en psychologie. Ce groupe devait fonctionner comme un « cartel » de spécialistes. Il était intitulé : « Le pays de l’autre, conférences publiques de psychanalyse transculturelle ». Le projet était de s’engager à développer une approche clinique transculturelle des phénomènes humains dont l’approche psychanalytique serait le moyen de « lecture » d’une recherche de lisibilité et d’intelligibilité.

Cette invitation suscita en moi un état mental composé au moins de deux polarités.

D’une part, elle provoqua un sentiment de plaisir qui activait une polarité endogène au sein de mon psychisme. Il me semblait que ce contentement s’inscrivait dans le sens de mon évolution sociale et psychologique. Elle était en effet pour moi synonyme de reconnaissance, d’admission dans un groupe de recherche professionnelle, de début d’insertion et d’adaptation dans la société réunionnaise. Ne sommes-nous pas là devant une logique évolutionniste ? Au delà de ces raisons disons « conjoncturelles », cette opportunité s’inscrivait dans un contexte de mise en perspective d’évolution de ma vie professionnelle : j’attribuais un sens à cette invitation tout en l’idéalisant certainement.

D’autre part, j’avais des sentiments presque « opposés », où l’inquiétude, voire une certaine angoisse de ne pas me sentir à la hauteur de la tâche, se mêlaient au sentiment d’infériorité associé à un troisième, celui de me retrouver dans un milieu « hostile » a priori. Ces sentiments envahissaient mon esprit. Cette « hostilité » était le « pur » produit de mon imagination. S’agissait-il d’un milieu hostile à mes références jungiennes ou à la crainte d’affirmer une singularité intellectuelle ? Ou les deux ?

Par ailleurs, je me demandais surtout si je serais capable d’assumer les responsabilités qui m’étaient confiées. Une fois par mois, il fallait animer ou encadrer des débats et des conférences ponctuelles. De surcroît, nous allions former un groupe de cinq personnes qui ne se connaissaient pas.

Nous sommes devant ce que nous appellerions un état mental ici causé par l’annonce de cette invitation à participer à ce groupe. Nous allons maintenant procéder à l’étude de cette série de trois rêves étalés sur deux nuits.

Rêve de la première nuit : « Un bain de mer et l’émergence d’un gisement de sel »

Ce rêve est à placer dans le contexte de ma vie : il a eu lieu l’avant-veille de la première réunion de constitution du groupe. Il était également prévu de présenter à la presse un séminaire interdisciplinaire où la psychanalyse devait tenir une place centrale. Je me trouvais sur l’île depuis six mois, à ma connaissance seul à me « réclamer » de Jung sur le plan de la psychologie analytique.

Je me trouvais sur la côte sud-est de l’île, à cet endroit appelé « Enclos » où il est interdit de s’installer pour vivre, du fait du risque de coulées de laves du volcan actif du piton de la Fournaise. Me vint un désir irrésistible de me baigner malgré les risques. La mer était pourtant déchaînée de ce côté selon son habitude. J’avais en outre connaissance de la présence de requins… Malgré tout, je me risquais à faire quelques brasses. C’est alors que je me sentis soutenu par l’élément liquide du fait de sa forte teneur en sel. Et en effet, un gisement de sel se répandait dans la mer. Je me trouvais comme porté par elle et rassuré, à ma grande surprise. Fin du rêve.

Auto-analyse du rêve : A mon réveil, me remémorant ce rêve, j’ai instantanément ressenti les sensations déjà éprouvées en 1974 à Massada en Israël en me baignant dans la mer Morte. J’en garde un souvenir unique. Dans cette mer, on se sent comme porté, conséquence de la forte teneur en sel. La sensation inédite, surprenante, m’est restée en mémoire, une mémoire « inconsciente ». L’émergence du sens du rêve serait associée en partie à la sensation contenue dans ce souvenir. Une sorte de relation, de similitude, semble s’établir entre la sensation d’avoir été porté par le sel de la mer morte et la sensation du rêve actuel.

Ce rêve pose déjà une première question relative à la remémoration d’un souvenir ancien réactivant la mémoire. Néanmoins à mon avis il ne faudrait guère en tirer trop hâtivement d’autres déductions ou hypothèses car ce rêve devrait être considéré comme une première information, le premier rébus d’une suite… Même s’il a eu recours à une information passée, il crée une scène inédite, nouvelle, et il semblerait avoir une intentionnalité sous-jacente, comme on va le voir. Il serait aussi réducteur de se lancer dans une interprétation à la suite de ce seul rêve, car les deux autres indiquent semble-t-il des orientations conséquentes et signifiantes complémentaires associées.

La nuit suivante, il m’est donc venu deux autres rêves. Le premier décrit une scène relativement brève : Je me trouve sur la route littorale localisée au pied d’une falaise. (1) Des pierres tombent de la falaise sans m’atteindre. Fin du rêve.

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(1) Cette route est bien connue sur l’île de La Réunion pour sa dangerosité.

Ce rêve est également à situer dans le contexte de ma vie influencée par le même état mental.

Au réveil surgit un souvenir d’enfance, une scène. Je me trouvais à l’école. La remémoration fut cette fois-ci encore instantanée. Lors de ma première année d’école primaire, je fus en effet scolarisé dans une classe unique de campagne qui dispensait plusieurs cours, de la maternelle au certificat d’études primaires. J’en étais le plus jeune élève et l’instituteur était mon père. Il m’avait permis de venir à l’école pour m’occuper et m’être agréable. J’étais comme  » la mascotte’’ du groupe-classe parce que le plus jeune. Être le fils de l’instituteur-directeur de l’école me conférait d’ailleurs un « statut » particulier que je partageais avec mon frère, mon aîné de quinze mois. Mon père avait quelquefois l’habitude de nous envoyer de petits morceaux de craie pour nous rappeler à l’ordre lorsque, par exemple, nous bavardions pendant les cours. Un jour de gros orage, pendant la récréation qui se déroulait alors dans la classe où nous étions à l’abri, mon père eut l’idée d’organiser un jeu qui consistait à m’envoyer des craies pour me toucher : j’étais devenu la « petite souris ». Je devais les esquiver, ce que j’arrivais bien à faire. Je me demande si la vivacité de la mémorisation ne serait pas liée à l’action, de surcroît action de jouer gratifiante. Un souvenir se stabiliserait d’autant plus facilement qu’il serait associé à un acte sensori-moteur. Nous pouvons parler d’images motrices véhiculées dans le rêve.

Interprétation du rêve : Le matin à mon réveil, j’ai instantanément pensé à cette invitation à participer à ces conférences avec mes collègues. Je devais appréhender des critiques éventuelles et je les associais aux pierres pouvant tomber de la falaise. La crainte de leur chute devait symboliser les critiques que j’aurais pu recevoir. Cela aurait activé le souvenir du jeu des craies comme symbole de critiques éventuelles. Le rêve m’indiquait que ces critiques ne me toucheraient pas. Mais je ne peux dire si l’interprétation que je viens de présenter était aussi nette dans mon esprit après ce premier rêve. C’est le troisième rêve qui me le confirma.

Deuxième rêve de cette deuxième nuit : Je suis devant une bouche d’incendie qui commence à fuir. De l’eau s’en échappe. Je m’avance pour essayer de fermer la vanne et n’y arrive pas. La fuite d’eau s’amplifie : plus j’insiste, plus elle s’intensifie. Fin du rêve.

L’impression de ne pouvoir bloquer cette eau me donnait l’impression de ne pouvoir contenir une force en moi… force qui passerait par une « bouche ». Si vous voulez participer à un cycle de conférence, c’est bien par la bouche que les paroles sortiront, n’est-ce pas ?

Ces trois rêves ont donc été réalisés sur deux nuits. Il est nécessaire de les situer pour les analyser dans le contexte plus précis de ma psychologie de l’époque.

Reprise des trois rêves selon une interprétation considérée comme la plus proche du récit : « Le rêve tel qu’il est ».

Dans le premier, mes préoccupations préconscientes semblaient avoir besoin de ce soutien symbolisé par le filon de sel comme pour me rassurer de ce que fantasmagoriquement je projetais, à savoir : la crainte de me retrouver dans un univers hostile, « le milieu des psy » à références freudiennes. Je ressentais le sel en rapport avec la confiance en Soi (le Moi se retrouverait inclus dans le Soi expurgé de ses complexes). Le filon de sel remplissait une fonction rassurante, il se localisait « sous » le corps, (serait-ce le « proto-Soi » de Damasio ?). La PULSION basique, exprimée par ce filon, me poussait apparemment à prendre des « risques ». La découverte et la présence de ce « gisement » rassuraient ma conscience, ou mon « Moi », lequel semblait ignorer ce « gisement » provenant d’une entité plus globale, le Soi, (suivant l’approche jungienne) dans mon interprétation. Ce serait un rêve « rédempteur » de la peur projetée. Cette partie de l’île qui représente l’inconscient sauvage, accidenté, dangereux, peut réserver de réconfortantes surprises ! (Nous avions avec des amis péché un requin, un requin tout à fait réel, à peu près à cet endroit de « l’Enclos », deux mois avant l’émergence de ce rêve). J’ai cru comprendre que le rêve me disait en d’autres termes : « Tu peux prendre des risques ! ». Ce premier rêve ne devait pas suffire pour modifier mon état mental constitué de ces deux sous-états mentaux. La représentation mentale qui « planait » au dessus de ma tête peut-elle être considérée comme un fantasme lié à l’impression de ne pas me sentir à la hauteur de la tâche, tout en désirant assumer cette tâche ? Ces configurations psychiques occuperaient la sphère du psychisme secondaire, si l’on reprend notre ordre langagier proposé initialement.

Le deuxième rêve indiquerait que les critiques ne me toucheraient pas, en réactivant un souvenir où je sortais « gagnant », non atteint par les craies symbolisant les critiques.

Le troisième rêve semble suggérer que de toute façon réside de la force dans la bouche et qu’il faut que « ça sorte ».

Suivant une optique « jungienne » téléonomique, ces rêves sembleraient vouloir compenser un manque de confiance en soi initial. On retrouverait là la fonction de compensation de Jung, les deux derniers rêves me confirmant (avec insistance !) d’avoir confiance. Dans les trois rêves, des informations d’une partie du psychisme qu’on pourrait appeler l’inconscient (sain) émergeraient à destination d’une autre partie du psychisme qu’on pourrait appeler le Moi, ou en terme jungien le complexe Moi.

Je me pose la question de la valeur symbolique du sel. Dans la dynamique de mon inconscient, le sel devenait un élément dissous dans l’eau de mer qui elle remplit une « fonction de soutien », le soutien de la pulsion. Dans le domaine culinaire, il est un élément essentiel à la nourriture. On partage le sel comme le pain. Dans la liturgie baptismale, « le sel de la sagesse » est le symbole de la nourriture spirituelle. Chez les Grecs comme chez les Arabes ou les Hébreux, il est le symbole de l’amitié. J’ai dû me plonger dans des dictionnaires des symboles pour chercher d’autres repères porteurs de significations. Ces considérations s’avèrent intellectuelles bien qu’elles puissent satisfaire l’esprit et susciter une certaine ouverture du psychisme « cognitif ». Je sentais qu’il ne fallait pas s’éloigner de la « simplicité » du rêve.

On peut se référer au fantasme de « la mère porteuse » sécurisante. Une théorisation hâtive pourrait conduire le rêve dans une direction régressive des dynamismes psychiques. Je ne pense pas qu’il faille s’y orienter et cela d’autant plus que les deux autres rêves indiquent me semble-t-il une direction différente.

Ces rêves inspirent une première constatation au niveau de l’inconscient, ils semblent compenser le contenu du conscient ou une dimension de l’attitude consciente. Ce serait comme une « fonction de compensation » qui orienterait des énergies dans un autre sens. J’aurais tendance à accepter cette interprétation. De plus, nous savons que la biologie n’aime pas la déperdition d’énergie et là on pourrait dire que le rêve orienterait l’organisme bio-psychique dans une direction « économisatrice ».

En outre, le jour de la première rencontre de constitution du groupe du « cartel », j’ai voulu présenter le premier rêve tout en faisant part de mes appréhensions. Economiquement, il est reconnu qu’il vaut mieux dire que l’on est angoissé quand on l’est !

Reprenons les analyses.

L’articulation du psychisme « primaire » et du psychisme « secondaire »

Je suggère que l’on envisage l’hypothèse de la PULSION issue du psychisme primaire, qui, après m’avoir poussé à me baigner, serait comme métamorphosée en prenant la forme de ce gisement de sel. Cela reviendrait à lui attribuer une intention, celle de me pousser d’abord à prendre des « risques », à évoluer suivant une logique innée et téléonomique selon la logique du psychisme primaire. Le psychisme primaire est-il seul à intervenir ? Nous sommes amenés à avancer la notion de mémoire-habitude acquise à faire face ou non à des situations nouvelles développées lors d’apprentissages antérieurs. Cette « mémoire-habitude » structure le psychisme « secondaire ». On pourrait imaginer que la pulsion, avant de prendre sa décision d’énacter un rêve, et portée par sa force intrinsèque, puiserait en même temps dans l’inconscient des informations acquises qui l’inciteraient à pousser l’organisme dans une certaine voie. Elles seraient, dans mon cas, en quelque sorte liées au niveau de professionnalisation.

Dans ce scénario, les rêves seraient énactés à la fois par des stimuli externes, l’invitation à me joindre à ce groupe, et internes, le résultat du dilemme causé par ces deux états mentaux et leur confrontation avec la pulsion basique liée au corps et ses dynamismes innés.

Envisager que l’émergence de la pulsion basique soit à l’origine de la résolution du conflit entre ces deux états mentaux m’enthousiasme et me rend perplexe en même temps. Que la pulsion soit un guide aussi fiable me semble presque relever d’un pouvoir démiurgique. Envisageons l’éventualité d’une guidance inconsciente de la pulsion, habituée à faire face à des « obstacles » suivant l’éventualité d’une certaine « mémoire habitude » envisagée plus haut. Il faudrait d’une part procéder à un long développement pour évoquer l’éventualité d’une sorte de connaissance qu’aurait l’inconscient des capacités que détiendrait un organisme au niveau du psychisme « secondaire », habitué à faire face à différentes situations.

Nous serions là au niveau de l’étude qualitative des acquisitions et de leur valeur potentiellement dynamisante. D’autre part, cela pourrait impliquer qu’il y ait simultanément une fonction d’évaluation préalable à la décision par l’inconscient à pousser l’organisme à faire face à la situation en fonction de données internes. Ces « informations » seraient celles que mon cerveau aurait emmagasinées pour me permettre d’être à la hauteur de la situation, il s’agirait là de prises de décisions à agir, ou au contraire à ne pas agir dans telle ou telle situation. Elles interféreraient dans ces décisions en fonction de dispositions potentielles contenues au niveau du psychisme « secondaire ».

Psychismes « primaire » et « secondaire » se retrouveraient unis dans le mouvement d’évolution hybride biopsychique suscité par la dynamisation de ces trois rêves et l’activation de la pulsion à condition qu’il y ait à la suite des rêves un passage à l’acte dans la réalité. Je rappelle qu’Henri Laborit disait, suivant une formule extrêmement synthétique, que le cerveau était fait pour agir.

Une citation d’Antonio Damasio va me venir en aide pour faire comprendre la logique vitaliste « bioculturelle » de la pulsion, et ce malgré le caractère quelque peu spéculatif du raisonnement qui suit. La pulsion, bien qu’étant initialement d’origine biologique, en habitant un corps singulier, finit par « l’investir » et en avoir une certaine « connaissance intuitive inconsciente ». On peut imaginer que cet accès à la connaissance est issu d’une réalité « hybride » bio-culturelle : « C’est comme s’il existait, dit Antonio Damasio, une passion fondant la raison, une pulsion prenant naissance dans la profondeur du cerveau, s’insinuant dans les autres niveaux du système nerveux, et se traduisant finalement par la perception d’une émotion ou par une influence non consciente orientant un processus de prise de décision. La raison, de sa forme pratique à sa forme théorique, se développe probablement, sur la base de cette pulsion innée, par un processus ressemblant à l’acquisition (c’est nous qui soulignons) d’une compétence supérieure dans la pratique d’un art. Sans incitation de la pulsion, on n’acquiert jamais la maîtrise de l’art. Mais posséder cette pulsion ne garantit pas automatiquement de devenir un maître », p. 307, L’erreur de Descartes.

En accordant une autorité à la vision téléonomique du vivant de Rosine Chandebois j’ai voulu accorder un certain crédit à l’hypothèse d’une impulsion et d’une direction téléonomique sous-jacente de la pulsion dépendante à la fois de la biologie et donc du psychisme « primaire », compte-tenu des acquisitions du psychisme « secondaire » depuis ma naissance. Cela est sérieusement envisageable sur le plan biologique, mais comment sauter le pas sur le plan psychique ? La pulsion purement organique installée dans le psychisme primaire pourrait-elle à elle seule orienter le psychisme « secondaire » suivant une direction pertinente par rapport à la réalité ? « Il ne suffit pas d’avoir l’incitation de la pulsion, il faut aussi acquérir la maîtrise de l’art. » Cela signifie dans mon cas : « Détenir des références solides pour se repérer dans l’univers des psychanalystes ». J’ai souligné « acquérir », pour insister sur la dimension de l’acquis. La pulsion ne serait pas si démiurgique que cela ! Cette mise au point mériterait un chapitre spécial. Pour l’instant, dans notre hypothèse, la pulsion semble puiser des ressources et des informations dans l’existant du couplage structurel organisme-environnement, inné et acquis.

Suivons un raisonnement hypothétique à partir de cette éventualité d’une direction vitaliste téléonomiquement guidante de façon introvertie de la pulsion sur le plan psychique. Il faut aussi rajouter l’hypothèse d’une habitude de l’inconscient à faire progresser la personnalité dans son ensemble, étant donné le passé de la personne. Autrement dit, il est dans mon habitude de faire confiance à mon inconscient. Cela méritait d’être précisé.

En transposant les apports de F. Varela et d’A. Damasio dans l’abord de mes rêves, nous sommes en présence de deux états mentaux qu’on pourrait dire « opposés », l’un voulant déclencher un processus de participation à ce cartel, l’autre semblant freiner les velléités du premier. On peut caractériser cette opposition de conflit entre deux présentations, créant ainsi une légère dissociation. L’émergence d’une FORCE supérieure aux forces antagonistes en présence semble avoir suscité le dépassement du conflit et un nouvel ordre. On peut imaginer que cette force, en émergeant, modifierait la configuration des deux états mentaux initiaux mis en tension d’opposition du fait de la réactivité stimulante ou inhibante des différents composants (ou structures) incités par ces deux états mentaux. Cette configuration se retrouverait modifiée dans le sens d’une dynamisation créatrice par l’émergence de la pulsion médiatisée par le rêve et le travail potentiel du rêve.

Après évaluation de la « situation », la pulsion aurait construit la « synthèse » des forces en présence en inventant et en proposant une solution qu’elle traduirait en langage d’images, ce qu’il a été convenu de nommer « rêves » afin de dépasser les oppositions initiales. La « mission » de la pulsion serait alors de « synthétiser » les différents états mentaux des divers composants du psychisme et d’en faire émerger un nouveau, qui deviendrait une « solution ». Dans le premier rêve, le désir irrésistible de me baigner serait ainsi lié à la force initiale de la pulsion malgré la menace de la mer « déchaînée ». La pulsion se serait alors « fondue » dans des images potentiellement « soutenantes » pour dépasser les autres dispositions des états mentaux qui pouvaient freiner son évolution.

Introduisons la notion de « conscience de Soi » éminemment subjective en demandant : « Avez-vous confiance en vous ? ». Si je vous demande ceci, ma question devrait attirer votre attention et réveiller aussitôt votre état mental. Si cette question vous est posée après que vous ayez eu un succès professionnel ou affectif, vous risquez de me répondre : « Oui, très confiant (ou assez confiant) en moi ! « . Notre sentiment « subjectif » de nous-même serait en fait très changeant. En m’impliquant dans cette façon de voir, je dirai que la confiance en moi qui remonte à cette scène de l’école était présente sans que j’en sois conscient. Ce savoir sur moi-même était entreposé dans mon inconscient et ma conscience l’ignorait. Je me demande si l’on ne pourrait pas en déduire que notre inconscient aurait une connaissance supérieure de nous-même que n’aurait pas notre propre connaissance consciente. On imagine que la pulsion « hybride » bio-culturelle serait impulsée, d’une part par la charge énergétique qu’elle contiendrait génétiquement, ce serait sa dimension innée ; d’autre part par la mémoire inconsciente de l’organisme dans lequel elle évolue. Pour conforter cette façon d’analyser l’influence bio-culturelle de la pulsion, j’évoquerai un processus semblable qui se serait déroulé avec la remémoration de l’eau chargée de sel qui vient me soutenir. Le gisement de sel pouvait symboliser le soutien de la pulsion. Celle-ci, dans sa dimension biologique, se sentirait soutenue par des éléments de sa mémoire culturelle sur lesquels elle se fonde pour pousser l’organisme vers de nouvelles adaptations.

Le premier rêve a également activé instantanément au réveil un souvenir qui remonte à l’année 1974. Le second, encore plus ancien, celui de la scène des jeux de craies, remonte à l’année de mes quatre ans. La confiance en soi qui serait énactée par ces trois rêves serait une sorte de conscience inconsciente. Elle pourrait être considérée comme une information ou mieux une connaissance dont disposerait l’inconscient. Dans ce cas, nous aboutissons à cette éventualité : mon inconscient mettrait la pulsion au service de l’ensemble de ma personnalité pour la faire avancer selon la logique téléonomique de mon psychisme.

L’image d’un « aiguillon », déjà évoquée, symbolisant le jeu de la pulsion avant qu’elle se détermine à faire « bouger » l’ensemble de la personnalité dans un sens ou dans l’autre, me vient à l’esprit. La notion d’aiguillon résulterait d’une énergie, sorte de pulsion partielle de la pulsion « basique » ou structurelle sur laquelle reposerait l’ensemble du psychisme. L’aiguillon serait l’éclaireur de la pulsion « basique », il « circulerait » au niveau des composants (ou des structures du psychisme) dans une optique d’instinct d’évaluation et de régulation homéostatique. Avant l’émergence d’un rêve, il serait supposé recenser les « forces » et les « faiblesses » innées et acquises des différents composants suivant leur état d’activation en un temps extrêmement rapide instinctif, selon F. Varela. Et ce, avant d’en faire émerger un scénario imagé suivant un « bricolage » singulier au rêveur. Envisager cette hypothèse reviendrait à penser que dans l’inconscient, il se traiterait un mouvement de prise de décisions rapidement « orchestré » énacté par des états mentaux plaçant le psychisme et sa pulsion dans la situation de devoir prendre une décision. Le rêve ou une série de rêves annonceraient des alternatives de décisions possibles, une des facettes de ce « génie » du vivant.

Frédéric Paulus
Animateur du CEVOI – Réunion
Président du CEVE Centre d’Etudes du Vivant Europe

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Rêves et pulsions

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Kozé libre

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