[Vu de Paris]
Dans la dernière ligne droite de la campagne pour l’élection présidentielle d’avril prochain, les douze candidats ont dévoilé leur programme spécifique à l’Outre-mer. Conférences de presse, « Plan Outre-mer », simple fiche sur leur site internet ou encore « lettres aux territoires », leurs orientations sont désormais connues. L’enjeu de cette communication politique est autant de séduire les Ultramarins vivant en France que les quelque 1,5 million d’électeurs dans tout l’Outre-mer français.
« J’aime l’Outre-mer », « Les Outre-mer sont une richesse pour la France », « La plus longue frontière terrestre de la France est avec le Brésil », « La Guyane, c’est la France » : il y a d’abord les platitudes et les lieux communs que les douze candidats – à de rares exceptions – considèrent comme les éléments de langage indispensables à toute campagne électorale nationale en direction des départements, régions et territoires d’Outre-mer. Cette campagne pour l’élection présidentielle d’avril 2022 n’a pas échappé à la règle.
Seul le candidat d’extrême-gauche Philippe Poutou s’est distingué en ne consacrant que quelques lignes à ces territoires français sur son site internet pour les qualifier de survivance du « nécolonialisme ». Dans le détail, le candidat du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) écrit que son parti refuse « la politique française de maintien des colonies et de gestion coloniale des populations en Kanaky, aux Antilles, à la Réunion, en Corse. Nous défendons le droit des peuples à l’auto-détermination et sommes solidaires des luttes pour la défense de la culture et des langues locales ». Crédité de seulement 1% des intentions de vote dans la plupart des sondages nationaux, Philippe Poutou n’est pas représentatif du discours politique envers les citoyens ultramarins.
Ces derniers représentent 1,6 millions d’électeurs, soit une part non négligeable du corps électoral français, à l’heure où le paysage politique est particulièrement fragmenté et l’accès au second tour un enjeu très disputé de ce scrutin. « L’enjeu électoral est clair, même si les ressorts qui l’animent sont difficiles à identifier et moins limpides que dans les années 80, décrypte Mikaa Mered, chercheur en sciences politiques, secrétaire général de la Chaire Outre-mer à Sciences-Po. Nous travaillons sur la question du lien entre les déterminants du vote ultramarin de l’Hexagone par rapport aux votes des Ultramarins dans les territoires. Notre hypothèse de travail est qu’il y a un lien, filial, familial, de cœur, d’identité. Les partis politiques parient la-dessus – sans avoir eux-mêmes de certitude – c’est la raison pour laquelle on retrouve encore une fois cette année, dans les programmes, des propositions pour créer une cité ou une maison des Outre-mer en Ile-de-France. »
« Etat d’urgence social »
Portée par Valérie Pécresse (Les Républicains), Emmanuel Macron (La République en marche) et Anne Hidalgo (Parti socialiste), une proposition comme la création de la Cité des Outre-mer – promise de longue date mais jamais réalisée jusqu’ici – n’aura aucun impact dans les territoires ultramarins. Elle peut « éventuellement, donner une certaine couleur pro-ultramarine à un candidat et déclencher une forme de sympathie ou permettre à un électeur d’avoir une écoute plus appuyée ou intéressée sur des propositions dudit candidat qui n’ont rien à voir avec l’Outre-mer », éclaire encore Mikaa Mered.
Pour ce qui est des propositions spécifiques à l’Outre-mer, seuls les « gros » candidats, ceux crédités de plus de 10% d’intentions de vote dans les sondages se sont fendus de propositions précises. Jean-Luc Mélenchon, candidat (extrême-gauche) de la France Insoumise a ainsi élaboré un « Plan Outre-mer » détaillé. Après « l’état d’urgence social », qu’il compte mettre en place dans tous les Drom s’il est élu, « le deuxième mot clef de notre plan pour les Outre-mer est l’autonomie pour sortir d’une dépendance économique de type postcoloniale », affirme-t-il. En Guyane et aux Antilles en particulier, les élus, à l’unisson du mouvement social, demandent une autonomie accrue, sans pour autant revendiquer le statut prévu par l’article 74. »
Ce positionnement est aux antipodes de celui d’Emmanuel Macron, président-candidat à sa réélection, auteur d’une « lettre aux territoires » déclinée dans chaque collectivité ultramarine. « Souveraineté », « action diplomatique » et « fermeté dans la lutte contre l’immigration illégale » sont les mots-clés de la missive parvenue aux Guyanais. Le président sortant veut également renforcer « la flotte aérienne de nos forces de souveraineté contre la pêche illicite et l’orpaillage illégal. »
Les Accords de Guyane et « l’égalité réelle » sont une partie de l’héritage socialiste revendiqués autant par la candidate socialiste Anne Hidalgo que par la candidate de droite (Les Républicains), Valérie Pécresse. Lors d’une conférence de presse dédiée spécifiquement aux Outre-mer, cette dernière affirmait être « à la fois régionaliste et patriote ». En promettant « une loi de programmation pour permettre un rattrapage massif sur 10 ans, concertée avec les élus ultramarins », la candidate Les Républicains insistait sur « la continuité territoriale », notamment lorsque les Ultramarins sont confrontés à un deuil familial. En tant que présidente de la Région Ile de France, Valérie Pécresse vante son bilan en la matière. Comme plusieurs autres candidats, sans aller toutefois jusqu’à promettre « l’autonomie », Valérie Pécresse estime qu’il est temps pour un « vaste mouvement de décentralisation ».
« La colonisation : une bénédiction »
Une parole entendue par Brian Coueta, 31 ans, originaire de Guyane. « Je ne me sens pas personnellement concerné par la campagne présidentielle française, tient à préciser d’emblée ce jeune Guyanais installé depuis dix ans en région parisienne. Ce qui me tient à cœur c’est, quel que soit le président, de parvenir à l’autonomie. Par rapport à la Corse, la Guadeloupe, c’est le moment : les politiciens ont l’air ouverts sur la question. Je ne sais pas si c’est une ruse ou pas mais il faut saisir l’occasion parce que c’est la seule chance pour résoudre certains de nos problèmes », poursuit-il.
Brian fait partie de cette « communauté ultramarine » convoitée par les candidats et les candidates à la présidentielle. Il compte rentrer en Guyane dès qu’il en aura la possibilité, lui qui vient de reprendre des études afin de se former aux sciences économiques et sociales. « C’est la Guyane qui m’intéresse, nous sommes venus en région parisienne pour soigner ma mère mais mon optique c’est de pouvoir rentrer dans mon pays », conclut-il.
Il ne se sent « pas important » pour les politiciens français, Brian ne fait certainement pas partie de la clientèle politique d’Éric Zemmour. Le candidat d’extrême-droite – qui dispose d’un programme ultramarin réduit à sa portion congrue et ne connaît de son propre aveu les Outre-mer que comme destination de vacances antillaises – a affirmé chez nos confrères de l’Outre-mer que « la colonisation a été une bénédiction ».
Face à Christophe Pierre, un militant de la cause autochtone des populations du Haut-Maroni, l’ancien polémiste revendiquait que « les Outre-mer sont une richesse pour la France, mais la France est une richesse pour les Outre-mer. Cela les protège ». Quelles que soient la violence des polémiques qu’il parvient à générer, Éric Zemmour aura bien du mal à faire jeu égal avec sa rivale à l’extrême-droite, Marine Le Pen. Cette dernière est à la fois la candidate qui réalise les scores les plus élevés dans l’Outre-mer à la présidentielle et s’y investit le plus. Jusque dans la dernière ligne droite de la campagne pour cette élection elle était en déplacement en terre ultramarine, en Guadeloupe.
Son programme, le plus détaillé de cette élection avec celui de Jean-Luc Mélenchon, promet notamment la fin du droit du sol en Guyane et des conditions drastiques pour les étrangers. Censée permettre de lutter contre l’immigration illégale, cette proposition a eu une forte influence sur plusieurs autres candidats comme Emmanuel Macron et Valérie Pécresse. « Souveraineté », « contrôle des frontières », « fermeté » : eu égard aux scores qu’elle y a réalisés, le programme de la fille de Jean-Marie Le Pen est probablement celui qui a eu le plus d’influence pour l’élaboration de ceux de ses concurrents en vue de l’élection présidentielle d’avril prochain.
Julien Sartre