Cécile Fontaine: « La peur, c’est l’anéantissement de l’espoir »

[PRÉSIDENTIELLE]

Quand on dit Cécile Fontaine, on pense Rouge Bakoly, théâtre social à la limite du journalisme,  et musique avec La Sépia. Cette semaine, nous avons rencontré la jeune femme chez elle, à Sainte-Marie.

Cécile Fontaine, avant de débuter l’entretien, pouvez-vous vous présenter?

Je suis réunionnaise, comédienne de formation, je chante au sein d’un groupe La Sépia et j’assure la direction artistique d’une compagnie pluridisciplinaire, Rouge Bakoly, qui s’occupe de théâtre, de musique, ces derniers temps de photo avec Jean-Marc Grenier pour un projet sur le maloya. En effet, il y un ancrage social fort puisque la compagnie s’est construite autour d’un projet sur la prostitution avec l’ARPS (association réunionnaise de prévention des risques liés à la sexualité), « Chéri concentre toi s’il vous plaît » écrit avec l’auteure Nancy Huston, qui a demandé d’aller à la rencontre de femmes qui se prostituent, une approche délicate, sociale en effet.

Vous vous approchez de la matière sociale, avez-vous déjà fait de même avec la matière politique?

Je ne l’aborde pas dans mon travail frontalement, mais je l’aborde de fait parce que, pour moi, l’acte politique est aussi un engagement sur le territoire. Dernièrement, j’étais en résidence de diffusion à Sainte-Rose, et j’ai découvert les pratiques existantes sur le territoire. A Ravine-Glissante, j’ai rencontré une grande quantité de musiciens, ça m’a fait réfléchir sur ce qu’est le culturel. Quand on demande une subvention, nous sommes incités à aller vers les territoires dépourvus d’offre culturelle. Et dans ces territoires, à Ravine-Glissante en tout cas, il y a de la culture; on nous envoie proposer de la culture à des gens qui la portent. Nous avions du coup organisé un concert avec des groupes locaux, qu’il a fallut reporter à cause du décès de Noël Bataille. Finalement, nous envisageons maintenant un festival de trois jours, tellement la demande est forte, tellement les talents sont nombreux.

Sortir du musellement

Pendant les trois mois de résidence, est-ce qu’on parlait campagne électorale avec les Sainte-Rosiens?

Tout le monde n’a pas la nécessité de parler de politique. D’autant que les territoires ruraux peuvent être marqués par les clans politiques, ce qui ne favorise pas l’émergence d’espaces sans couleur politique. On ne peut pas utiliser un espace culturel pour ramener à soi une pensée politique. L’engagement doit être celui de la neutralité, de la possibilité d’un espace de dialogue ouvert à tous, quel que soit sa couleur politique. D’autant qu’à Ravine-Glissante, il n’y a plus de frontière entre spectateurs et acteurs, c’est nous la culture.

J’ai l’impression d’un décalage profond entre la vie réelle et la vie politique…

Oui, d’autant qu’on a subi des agressions importantes pendant cet épisode Covid. Le port du masque, le pass sanitaire, le confinement… On a vu la nécessité pour les gens de sortir de ce musellement, de cette emprise, de cette politique sanitaire violente et discriminatoire.

Vous pensez qu’on s’en sort de ces mesures sanitaires?

Tout dépend du résultat des élections. Il y a une vrai menace sur notre vie, il y a de gros enjeux capitalistes si la droite repasse, si Macron repasse, car on sait maintenant quels intérêts il défend.

Il y aurait une façon de droite et une façon de gauche de gérer cette situation?

Sans doute. On a vu comment on nous a imposé des mesures, des vaccins, sans savoir quel était leurs efficacités réelles. Quoi qu’il arrive la Macronie continue sur sa lancée, avec violence si ça lui paraît nécessaire. Il n’y a pas de confiance pour le peuple, on voit un grand mépris. Ce que j’ai trouvé particulièrement violent, c’est l’instauration de la peur, la désignation de clusters, qui a poussé les maires à se taire pour ne pas être montrés du doigt. On n’avait pas la possibilité de s’exprimer, de dire notre pensée sans devenir hors la loi. On a dû aussi se faire sa propre opinion devant la fabrication du discours par les médias dominants, d’où l’importance de médias indépendants comme le vôtre pour permettre notre esprit critique.

Séduite par le programme de Mélenchon

Marginaliser les esprits critiques ne permet-il pas de les exclure du vote, de les pousser à l’abstention?

J’ai moi-même eu peur qu’on nous interdise d’aller voter, que le pass sanitaire nous l’interdise. Toucher aux peurs empêche de parler des choses essentielles. De la mort par exemple. C’est extrêmement dégradant d’avoir traité la vieillesse comme elle a été traitée. Qu’on doit faire survivre à tout prix, qui meurt à 95 ans? Ou quand on a parlé de façon dramatique d’un bébé décédé; une information qui fait peur mais pas du tout représentative. La peur, c’est l’anéantissement de l’espoir, si on obéit à la peur, la jeunesse a dû prendre des décisions pour ne pas être encore plus exclue.

Covid et guerre éclipsent les vrais sujets?

Tout à fait. C’est là que je suis séduite par le programme de Jean-Luc Mélenchon, il remet au centre des notions importantes, par exemple le désarmement du monde. Je veux être guidée par des choses lumineuses, pas par la volonté de dominer.  Je suis réunionnaise et, dans mon histoire, la domination est intégrée comme un traumatisme par mon peuple. C’est courageux de parler de ces choses car ça ne fait pas gagner des voix. Notre système impose une tête d’affiche, mais l’Union populaire est la seule à regrouper des voix diverses.

Imaginons que Mélenchon soit élu, qu’attendez-vous de lui les trois premiers mois?

La révision de la constitution, qu’on reparte en arrière dans un premier temps, revoir des lois qui ont énormément durci les conditions de travail, les lois qu’on appelle liberticides. Par exemple interdire aux patrons de presse de toucher au service public. Qui lui-même n’est pas exempt de reproches. J’ai arrêté d’écouter France Inter, car je suis heurtée par le manque de diversité dans le choix des intervenants, par le seul choix de personnalités consensuelles, comme si sortir du cadre n’était pas possible.

Allégeance aux Gafam

On a rêvé, mais dans un second tour Macron Le Pen, quel sera votre choix?

Je ne voterai pas. Je ne peux pas prendre parti pour une politique qui ne me correspond pas. En revanche il faudra inventer d’autres façons de faire pour s’exprimer.

Quelles menaces pèsent-elles alors pour le monde culturel qui a été désigné comme non essentiel un moment?

Il faut vraiment qu’on prenne conscience de ce qu’est l’univers numérique. Par exemple, quand tu crées de la musique, tu dois faire allégeance aux Gafam, il faut passer par les plateformes et leur donner le fruit de ton travail. Aujourd’hui on nous vend le virtuel comme passage obligé alors que, pour moi, l’important est le contact des uns avec les autres. C’est un appauvrissement culturel et de la diversité. 

Et la question de l’identité réunionnaise dans cette campagne?

C’est une question délicate que celle de l’identité. Il faut savoir ce que l’on veut défendre dans notre identité parce que l’extrême droite aussi utilise cette notion. Personnellement, je ne veux pas être étiquetée. Chanteuse, mais pas que. Créole, qu’est-ce qu’on a dans la tête ? Quand on me voit blanche, on se demande qui je suis? J’ai pas besoin de me justifier, il y a des malgaches dans ma généalogie, c’est une illusion tout ça. J’utilise un créole francisé, on le remarque parce que je suis blanche, chez un caffre ça passerait sans problème. Comment parler d’authenticité ? Qui serait inauthentique ? Quelqu’un qui parlerait français peut être tout autant authentique qu’un autre en créole. 

Le terme de créolisation est présent dans le discours de Mélenchon. Pensez-vous que ça parle à l’électeur de France hexagonale?

Les Hexagonaux doivent aussi se cultiver. Ils sont trop hexagonocentrés. Ils sont déjà créolisés depuis toujours, mélanges de Polonais, Portugais et autres, la créolisation est là depuis longtemps.

Propos recueillis par Philippe Nanpon

L’entretien intégral comme si vous y étiez

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.