1/4 HANDICAP INVISIBLE
Suite à un stress émotionnel ou psychologique, la maladie se déclare ou se révèle. Les autres ne voient rien en surface, mais à l’intérieur c’est le désordre complet et c’est douloureux, handicapant. Hélas les victimes de ce genre de maladies invisibles ont du mal à faire valoir leur handicap et leur droit à une aide ou à une allocation.
Les bras ballants, le regard perdu, la larme prête à rouler sur sa joue, Sylvie (prénom d’emprunt) semble pétrifiée devant la vaisselle qui s’accumule jour après jour et qui déborde de l’évier. Elle ne peut pas. Elle n’y arrive plus. Et pour le ménage, et pour le jardin. C’est pareil. La même impuissance a fait de sa vie un calvaire depuis des années.
Depuis quand remonte le mal ? Depuis qu’elle a perdu son boulot, il y a sept ans. Et sans doute au-delà lorsque sa mère la trouvait « trop noire ». Elle a pourtant réussi ses études. Elle s’occupait d’une boutique, mais voilà, comme dans de nombreuses boîtes, le travail est maltraitant. Elle se souvient très bien des collègues jaloux, du nouveau responsable humiliant, des injustices, du mépris… Des tentatives de retrouver du travail, de la reprise laborieuse de ses études. Il n’en émerge que des refus : beaucoup de refus. Et ne parlons pas du quotidien, des disputes avec le voisin, les menaces, la peur…
Elle ne s’est jamais relevée de ce ressenti douloureux. Et cette souffrance, d’abord psychique, s’est propagée dans son corps. Elle a perdu le sommeil. Ses cheveux sont tombés par touffes. Elle ne voyait plus que d’un œil. Elle a eu une ménopause précoce. De médecin en médecin, d’analyse en analyse, on lui a décelé une carence en vitamine B12 et en iode.
« J’avais le syndrome des jambes sans repos. C’est horriblement douloureux. J’étais dans un brouillard mental qui m’empêchait de me concentrer et ça se traduisait par des problèmes cognitifs. On a fini par me diagnostiquer une fribromyalgie », raconte-t-elle ? Il s’agit de douleurs diffuses et persistantes qui s’accompagnent d’une fatigue accablante. Il n’y a pas de remède. On ne peut traiter que les symptômes.
Refus des aides de la MDPH, du CCAS et du Département
Sylvie désespère mais « elle donne le change ». Essaie de faire comme si. Sa neuro-psy a bien vu qu’il lui fallait 5 heures pour faire sa vaisselle et nettoyer son salon. Mais tout ce tableau clinique ne suffit pas à convaincre les autorités comme la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) de ses réels besoins.
On lui a reconnu la qualité de travailleur handicapé RQTH mais ça ne lui sert à rien puisque son état l’empêche de travailler. Son handicap ayant été évalué à moins de 50 %, elle n’a droit à rien. Pas d’allocation adulte handicapé (AAH) ni de prestation de compensation du handicap (PCH). Ni macaron pour se garer sur une place « handicapé », ni priorité aux caisses spécifiques des supermarchés. La Commission des droits à l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) l’a juste « invitée à formuler une demande d’aide ménagère auprès du Centre communal d’action sociale. »
Elle l’a appelé, ce CCAS. Une agent lui a répondu catégoriquement : « Pas d’aide si le handicap est inférieur à 80 % ». Elle lui a conseillé un autre numéro, c’était le service du Département qui lui a fait la même réponse en l’encourageant à faire un recours contre la décision de la CDAPH.
584 € par mois pour vivre et se soigner
La voilà qui sanglote. « Je ne touche que 584 € par mois. Ma voiture et l’essence que je mets dedans me coûtent 200 € par mois pour aller à mes rendez-vous médicaux. Ma demande d’inscription à la Boutique Solidarité m’a été refusée parce que je dépassais le plafond de 2 €. Je vis de la solidarité de mes amis. C’est un enfer »… Et elle continue à donner le change. En surface elle semble bien fonctionner mais dans son quotidien, c’est très difficile.
Peut-être ferait-elle mieux de faire semblant. De faire pitié. Jean-Philippe Sévagamy, non-voyant qui rédige de nombreux articles sur le monde du handicap, dresse le décor de relations compliquées entre les usagers de la MDPH et les « contrôleurs » : « je connais un handicapé qui a été piégé parce qu’il était fier de montrer qu’il avait réussi à faire son ménage et qui a perdu ses aides ».
Certains handicaps se voient et d’autres non quand ils sont psychiques ou mentaux. Or les cas sont de plus en plus nombreux. Des troubles neuro-psy peuvent entraîner des troubles utérins, des endométrioses, des déséquilibres hormonaux qui provoquent encore d’autres malaises… Le désordre au niveau de la biochimie des hormones aura un impact sur l’attention, sur la mémoire et sur le fonctionnement cognitif des patients.
Le stress qui rend malade
Cette chimie invisible explique pourquoi une telle reste les bras ballants devant l’entretien de son lieu de vie, pourquoi telle autre n’arrive même plus à répondre à un texto ou à se rendre à son rendez-vous. Ça se soigne par des médicaments mais ça ne suffit pas. C’est ainsi que Géraldine Miron, orthophoniste, voit arriver dans son cabinet des patients de plus en plus nombreux qui n’arrivent plus à s’organiser : « Leurs fonctions exécutives sont impactées et ça peut se retrouver sur les fonctions langagières par ce qu’on appelle le manque du mot. »
« J’ai de plus en plus de patients qui viennent me consulter suite à des états de stress d’où découlent des troubles cognitifs. Il n’y a pas d’étiologie neurologique, pas de troubles de types AVC ou tumeur, mais les symptômes sont les mêmes, dit-elle. Ce sont des patients qu’on a beaucoup vu arriver après le Covid. » À cause du stress généré par cette période, à cause d’une remise en question intime de chacun pendant la pause du confinement…
Déficit de personnel et accompagnement inexistant
En tout cas, ces nouveaux malades invisibles doivent se battre souvent seuls pour faire reconnaître leur maladie. « Le handicap invisible est mal pris en compte parce que les gens qui en souffrent sont en autonomie, ils ne sont pas passés par l’hôpital, il n’y a pas de cause de la maladie bien définie. »
Faute d’information et de formation, les croyances populaires déconsidèrent les « maladies invisibles ». Le système de santé, étant déjà en déficit de personnel, l’accompagnement de ces troubles est quasi inexistant. Rien à voir avec les accompagnements adaptés proposés dans les pays nordiques ou au Canada.
Les comptes-rendus rédigés par les praticiens sur ces patients d’un nouveau genre ne semblent pas sensibiliser le médecin référent de la MDPH qui décidera du taux d’invalidité et des aides allouées. « On ne prend pas en compte la globalité des mal-être du travail, regrette Géraldine Miron, les troubles cognitifs et les aspects médicaux. Ces malades-là vont de thérapeute en thérapeute mais il y a peu de globalité de prise en charge. »
Franck Cellier
À suivre demain, jeudi 13 février, l’interview de Denise Ledormeur, présidente de l’association Handicap solidaire.
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