DOCUMENTAIRE LEV’ LA TET DANN FENWAR
Le film d’Erika Etangsalé Lèv la tèt dann fénwar s’articule autour des confidences d’un père à sa fille. La réalisatrice et narratrice, est née en France. A l’origine du documentaire, elle souhaite reconnecter avec son histoire personnelle et, à travers elle, avec l’île natale de son père, la Réunion, qu’il a quittée à l’âge de 17 ans avec le Bumidom. Le film actuellement présenté dans plusieurs festivals a obtenu de nombreuses distinctions (au Festival international de Cinéma de Marseille, Festival International et régional de Cinéma de Guadeloupe, Festival premiers plans d’Angers, Festival du cinéma de Brive...). Le point de vue sensible et intime questionne la transmission, la mémoire, l’héritage des ancêtres aussi.
La crète des montagnes sombres se dresse face au regard du spectateur. Comme une muraille. L’œil de la caméra la scrute, la détaille. Terre à la fois inconnue et inquiétante, mais aussi familière, accueillante. Un mystère. Ce sont les formes qui hantent Erika, dans ses rêves la nuit. Là bas en France. Son père, Jean René, est né sur cette île, la Réunion, dont elle ne connaissait rien avant de venir s’y installer en 2008. Lui a quitté sa terre à l’âge de 17 ans, avec le bureau en charge de l’immigration, le Bumidom.
« J’étais de la main d’œuvre pas cher », raconte-t-il dans le film de 52 minutes.
« Même si j’étais silencieux, quelque chose s’est transmis »
Le film d’Erika Etangsalé aura mis près de dix ans à naître. Produit en 2021, il n’a pas encore été diffusé à la Réunion. Il s’articule autour des confidences d’un père à sa fille. Le spectateur se retrouve dans l’oreille de la narratrice, dans sa tête presque, propulsé dans ses rêves, son imaginaire. La bande sonore est presque une entité à part entière. Elle a sa vie propre, indépendamment des images qui parfois se joignent et se mêlent, trouvent une osmose. La jonction des deux, images et sons, quand elle survient, repose les pieds du spectateur au sol, dans la réalité d’une route ou d’un snack. Au pied des immeubles du Chaudron où Jean-René a grandi. Dans le présent de la confidence.
Le spectateur est témoin de cette intimité partagée pour la première fois, après des années de silence. « Même si j’étais silencieux, il y a quand même quelque chose qui s’est transmis », remarque Jean-René Etangsalé. Des rêves semblables, une passion pour la caméra. Une souffrance aussi que la narratrice cherche à exorciser. Une mémoire qu’elle porte malgré elle. Un trou qu’elle a cherché à combler. Des questions auxquelles elle a essayé de trouver des réponses. C’est ce que ce film questionne, la mémoire. La transmission au-delà des mots. La filiation, les ancêtres.
Au fur et à mesure, l’histoire intime glisse vers l’histoire collective de la Réunion. Et quelque part, cette mémoire touche un héritage intemporel, et universel, dans lequel chacun peut se reconnaître. Car cette histoire appartient à l’humanité. Elle questionne la construction même de l’Histoire collective, le récit qui est enseigné et transmis à l’école, par les institutions. Le confronte à autre chose, que l’on sent, que l’on porte, mais que l’on ne peut pas expliquer.
Les montagnes conservent les mémoires
Certaines histoires ne peuvent être narrées.
Seules les montagnes conservent les mémoires de ce qu’y ont vécu les marons et maronnes. Loin de l’esclavage auquel soumettaient les colons français des côtes.
Une histoire douloureuse, arrachée. Une histoire de courage et de bravoure, de figures, de modèles dont on ne peut qu’imaginer la vie, faute de traces tangibles. Erika Etangsalé les fait revivre à travers cet imaginaire qu’elle invoque.
L’intensité monte avec la profondeur de l’expérience. Le silence des mots se confronte à l’exacerbation de sons entêtants. Les images sont tournées à ces moments indéfinissables, la tombée de la nuit et le levé du jour. Entre ombre et lumière. On ne distingue pas tout. Erika Etangsalé joue avec finesse avec les contrastes, les nuances subtiles.
Pudeur et simplicité
Les histoires se téléscopent et n’en forment plus qu’une.
C’est un film emprunt d’une grande pudeur, comme celle dont font preuve les deux protagonistes. Une simplicité pleine. Qui montre davantage que des grands discours ou des images au rythme rapide. Qui fait ressentir plus qu’elle ne cherche à expliquer.
La réalisatrice raconte cette simplicité, s’attarde sur les détails, sur ce que contiennent ces silences, ces cris d’oiseaux, ce que cachent ces nuages, ces moments partagés entre une fille et son père. C’est la troisième fois seulement qu’il revient sur son île natale depuis son départ. Il n’y a pas d’effusion de sentiments. Le spectateur pourtant, assiste à la reconnexion d’un homme avec sa terre. Mais les choses les plus fortes sont parfois les plus simples.
Jéromine Santo-Gammaire