Sabrina Tionohoué, élue départementale déléguée aux politiques inclusives pour les personnes en situation de handicap.

Une demande de reconnaissance de handicap tombe toutes les 15 minutes à La Réunion

4/4 HANDICAP INVISIBLE : INTERVIEW DE SABRINA TIONOHOUÉ

8 %de la population en situation de handicap, plus de 50 000 personnes frappées de « handicap invisible », les structures médico-sociales sont saturées. Sabrina Tionohoué, élue déléguée au handicap présente le « défi politique et humain » dont le Département doit prendre la mesure.

Pour compléter notre série sur les handicaps invisibles (psychiques et mentaux) Sabrina Tionohoué, élue départementale (3e canton de Saint-Pierre et Petite Ile), déléguée aux politiques inclusives pour les personnes en situation de handicap établit un constat lucide des faiblesses du système d’accompagnement à La Réunion. 

La Maison départementale des personnes handicapées croule sous les demandes. La Réunion est l’un des départements français les plus touchés et ses structures d’accueil ne répondent pas aux besoins. Pour les cinq ans à venir, la convention Khattabi, du nom de la ministre chargée des personnes handicapées, prévoit des investissements à hauteur de 38 M€ pour l’ARS auxquels s’ajouteront 29 M€ du Département afin de créer 1 250 nouvelles places dans les établissements médico-sociaux.

C’est à peu près 20% d’augmentation par rapport à l’existant : 6 000 à 7 000 places en IME (Institut Médico-Éducatif), ITEP (Institut Thérapeutique, Éducatif et Pédagogique), FAM (Foyer d’Accueil Médicalisé), MAS (Maison d’Accueil Spécialisée), ESAT (Établissement et Service d’Aide par le Travail). Mais ça ne résoudra pas le problème structurel du manque de places quand on évalue que La Réunion comptera 100 000 personnes reconnues en situation de handicap en 2030.

Tous concernés par le handicap

Pourquoi avez-vous choisi de vous engager sur la question du handicap ?

Sabrina Tionohoué : Parce que le handicap c’est un état dont on pourrait tous être potentiellement victimes. Vous savez, demain je fais un AVC, je deviens handicapé. J’ai grandi aussi dans ce milieu, ma mère a été longuement handicapée et puis Jean-Marie aussi, mon mari, est en situation de handicap.

Vous avez donc une expérience personnelle en tant qu’aidante ?

Oui, alors je ne sais pas si on appelait ça comme ça à l’époque, mais oui, on était aidant. On était devant le fait accompli. Aujourd’hui encore, je m’occupe aussi de mon mari quand il a besoin de moi. On est aidant sans le vouloir, on est obligé. On ne peut pas laisser quelqu’un seul, surtout quand il est en souffrance.

Quelles sont les missions du Département en faveur des personnes en situation de handicap ?

Le Département est chef de file du social. Actuellement, la MDPH compte plus de 73 000 personnes en situation de handicap. On est en 2024, ça fait 8 % de la population réunionnaise, et ce nombre est en constante augmentation. C’est un défi politique, un défi humain dont nous avons pris la mesure.

Qui sont ces 73 000 personnes ?

Parmi elles, il y a des gens qui ont simplement la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), mais pas d’allocations. Sur ces 73 000, il y a plus de 11 000 personnes qui touchent l’AAH (Allocation adulte handicapé). Il y a aussi les enfants qui perçoivent l’AEEH (Allocation d’Éducation de l’Enfant Handicapé) : en 2021, on comptait 8 534 enfants bénéficiaires.

Aggravation après le Covid

Le nombre de demandes est en augmentation. Avez-vous des chiffres ?

Rien que pour les enfants, on reçoit une demande de reconnaissance du handicap toutes les 15 minutes. Et les familles doivent attendre plus de 8 mois entre la demande et le retour à l’usager. C’est énorme, elles ne comprennent pas et elles sont mécontentes.

Pourquoi ce taux est-il plus élevé qu’en France ?

Déjà, il y a une dynamique de reconnaissance du handicap plus forte ici. Et puis, il y a l’alcoolisme, l’alcoolisation fœtale, le diabète… Le délai de traitement des dossiers pour les adultes est de 3 à 4 mois, ce qui est plutôt correct par rapport à la métropole. Mais pour les enfants, il y a besoin d’amélioration.

handicap mental psychologique d'une personne incapable de faire son ménage
Il est conseillé d’insister et de faire des recours auprès de la MDPH pour faire reconnaître son handicap psychique à sa juste mesure.

Les handicaps invisibles sont-ils majoritaires ?

Oui, près de 65 % des personnes en situation de handicap à La Réunion souffrent d’un handicap invisible. Parmi eux, on compte 13 000 personnes avec une déficience psychique, 10 000 avec une déficience viscérale (comme les séquelles d’AVC), 9 000 avec une déficience intellectuelle et 4 000 avec des troubles du langage. Et le Covid n’a rien arrangé.

Vous dites que la situation s’aggrave depuis le Covid ?

Oui. Entre 2019 et 2020, on a eu une augmentation de 5 points des demandes de PCH (Prestation de Compensation du Handicap). On voit aussi beaucoup d’enfants qui disent « Nous ne sommes pas bien ». Dans les collèges et lycées, ils demandent à être accompagnés.

300 patients adultes maintenus dans les établissements pour enfants

Les structures d’accueil sont-elles suffisantes ?

Non, et c’est un véritable problème. Il peut y avoir des années d’attente avant d’entrer en IME ou dans un établissement médico-social. L’amendement Creton qui permet à des adultes de rester dans un établissement pour enfants lorsqu’il n’y a pas de place dans les établissements pour adulte concerne 300 jeunes adultes à La Réunion. Ce n’est déjà pas idéal qu’un patient de 27 ans côtoie des enfants de 5-6 ans. En plus ça bloque l’entrée d’enfants handicapés qui sont alors redirigés en Ulis (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire) voire dans des classes conventionnelles alors qu’ils relèvent d’une prise en charge médicale.

Quelle est la réponse des pouvoirs publics ?

Avec la convention Khattabi, il y a 1 250 nouvelles places qui vont être ouvertes d’ici 2029. On espère que ça ira mieux, mais ce sera toujours insuffisant. 38 M€ sont engagés par l’ARS, dont 7,8 M€ sur l’offre médico-sociale relevant d’une compétence conjointe avec le Département. Et le Département s’est engagé a rajouter 29 M€ à cet offre de l’Etat. Ça doit créer de nouvelles places mais aussi améliorer l’accompagnement en milieu ordinaire.

Et l’accompagnement des adultes handicapés vieillissants ?

C’est une autre réalité. Beaucoup de personnes avec un handicap mental ont grandi chez leurs parents, et aujourd’hui, ces parents ont 60-70 ans. L’accueil familial est vieillissant. Il faut des solutions intermédiaires avant l’entrée en établissement médico-social.

handicap invisible, santé mentale, santé psychique
Les handicaps invisibles, psychiques ou mentaux, affectent 50 000 Réunionnais. © Olivier Ceccaldi

Il y a aussi la question de l’accès au travail… l’UEROS (Unité d’évaluation, de réentraînement et d’orientation socioprofessionnelle), est prévue depuis 15 ans mais elle n’existe toujours pas.

Oui, et là encore, on manque de solutions. Ce n’est pas à la MDPH de le financer, ça relève de la CGSS. Pourquoi ce n’est pas fait ici alors que ça existe en métropole ? C’est une question à leur poser.

Certaines personnes se plaignent de ne pas recevoir d’aides. Est-ce que la MDPH refuse des droits par manque de budget ?

Non. La MDPH évalue sur la base des diagnostics. Si une personne n’a pas un taux d’incapacité suffisant, elle ne peut pas bénéficier de certaines aides. Mais il ne faut pas hésiter à refaire un dossier et à être très précis dans les demandes.

Qu’en est-il de la prévention ?

On mise sur la sensibilisation dans les collèges. On finance des associations qui interviennent sur le handicap, mais aussi sur les addictions. L’alcool est un vrai fléau, et le sucre aussi. Peut-être qu’un jour, on y arrivera…

Entretien : Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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