Pour Marie Dafreville, la danse racine permet de se reconnecter à soi et aux ancêtres. (Photo Kay-C Photography)

[Kiltir] Je danse qui je suis

RENCONTRE AVEC MARIE DAFREVILLE

Marie Dafreville, 35 ans, était jusque là une salariée rangée. En réalité, ce qu’elle porte en elle, c’est la danse. Depuis l’âge de 15 ans, le mouvement rythmique a entraîné son corps à travers différentes expériences. Aujourd’hui, elle transmet la danse africaine, pratique aussi le voguing, le dancehall, le yoga. A travers la danse racine qu’elle a créée, sur le socle de la danse africaine, elle guide les gens vers une reconnexion à eux-mêmes et célèbre la place des ancêtres qui ont ouvert la voie. C’est sa manière d’être pleinement elle-même. Vidéo signée Maniel Nativel (MN Photographie, réalisée au parc tardif à Saint-Pierre à la Réunion), interview de Jéromine Santo-Gammaire.

Bonjour Marie, est-ce que tu peux nous expliquer le concept de la danse-racine ?

Marie Dafreville : La danse racine a deux visées pour moi : la reconnexion à soi à travers le chakra racine associé aux besoins essentiels, à l’ancrage, et la reconnexion aux ancêtres, aux mémoires. Je trouve divin la rencontre entre la danseuse et le percussionniste. Le week-end où nous avons fait le cours dans le parc tardif, j’avais trois musiciens, un balafoniste, un dumiste, un soliste djembé. Le dum apporte le cadre, le rythme, l’ancrage dans le corps. Le djembé c’est plus le flow, la liberté dans le rythme, tandis que le balafon est une percussion mélodieuse qui créé plus de groove, de swing dans la danse, de la légèreté.

Guider le corps vers la recherche de son équilibre

Je viens partager de la joie dans la danse, me défouler bien sur, mais c’est bien plus que ça. C’est un tout.

Le chakra racine, ça se rapporte à quoi ?

Il se situe au niveau du périnée qui est au centre du corps. Il se rapporte aux besoins essentiels comme se nourrir, se loger, se mouvoir, c’est aussi l’équilibre entre le Ciel et la Terre, entre mon ancrage et ma légèreté, ma liberté, ou autrement dit entre le côté « contrôle » et le côté « perché ». C’est une recherche continuelle de cet équilibre, du point zéro. On n’est pas des êtres parfaits.

A travers mes ateliers, je ne viens pas délivrer un savoir, je viens accompagner les gens. Je vais guider cette recherche du corps avec l’outil danse africaine, percussions, balafon, je vais guider le corps vers la recherche de son équilibre, de ce point zéro.

On va utiliser l’énergie collective au service de cet équilibre individuel et aussi dans le sens contraire, chacun des danseurs vient individuellement pour servir le collectif. L’un nourrit l’autre.

La danse racine se concentre sur cette notion d’ancrage et de point zéro, y a un travail de conscience qui est fait dessus et des mouvements autour de ça. Après, dans le mouvement, il y a une harmonie qui se fait. Je sollicite un chakra sur chaque posture mais après ça monte à tous les niveaux.

Tu dis que la danse permet de reconnecter avec les ancêtres, de quelle manière ?

Je vais faire allusion au servis kabaré où souvent, pour invoquer ses ancêtres, on dit qu’il faut qu’on danse, qu’on les fasse danser.

Pour moi, Dieu c’est moi, mais c’est aussi mes ancêtres. Dans les cultures africaines, il y a beaucoup cette spiritualité là des ancêtres qu’il faut aussi faire vivre librement dans notre quotidien. Il faut avoir du respect pour eux et leur donner leur place, parce qu’ils nous aident, ils sont présents.

Pour moi, l’art en général c’est vraiment le moyen de Dieu pour s’exprimer.

Marie Dafreville

Dans certaines cultures africaines, tu fais des ronds de danse intuitive. Les djembé roule, craz, i grèn danse africaine et là les gens vont s’inspirer et y en a qui vont oser rentrer dans le rond et se lâcher. Et c’est ce qu’il s’est passé le week-end dernier, une femme est rentrée avec une marche ancêstrale, des mouvements très simples mais tu sentais que c’était pas elle. C’était elle mais il n’y avait pas qu’elle qui dansait. Et c’était juste divin pour moi à ce moment là. Après on en a discuté, elle m’a dit « je les ai laissé danser parce qu’ils en avaient besoin », parce qu’elle, elle est connectée à ça.

C’est ce que j’aime dans ces ateliers, tu as tout, il y a des femmes zorey qui aiment danser parce qu’elles aiment se défouler et ça reconnecte au corps et elles ont besoin de ça et tu as des femmes créoles qui sont peut-être plus sensibles à ces racines africaines là et qui vont réagir avec.

Est-ce que le zorey qui va danser la danse africaine, il va rester forcément en dehors de « l’expérience mystique » ?

Au final, chacun fait son expérience et tout le monde est légitime. Tous les peuples ont leur expérience spirituelle et même un zorey peut avoir des racines africaines qui résonnent en lui fortement et qu’il a besoin de faire exprimer. Je pense qu’on est encore sur une construction identitaire mais dans le nouveau monde qui arrive c’est plutôt une histoire de sensibilité, on est humain. Cette sensibilité aux ancêtres elle n’est pas africaine en fait. Tu as ça partout. Honorer les ancêtres, c’est international. Pour moi, l’art en général c’est vraiment le moyen de Dieu pour s’exprimer.

Pour Marie Dafreville, la danse racine permet de se reconnecter à soi et aux ancêtres. (Photo Kay-C Photography)
Pour Marie Dafreville, la danse racine permet de se reconnecter à soi et aux ancêtres. (Photo Kay-C Photography)

A un moment donné, je vais être franche, j’étais en colère pendant des années parce que dans des cours de danse africaine que je fréquentais il y avait majoritairement des femmes zorey et je me disais « où sont les sistas, les sœurs ou sont les femmes créoles? » Et elles me disaient « oui mais nous c’est dans notre sang, on n’a pas besoin de venir apprendre ». En fait de plus en plus je me rends compte, pratiquer la danse africaine avec toutes les origines différentes, que ce soit zorey, étranger, Africain, Réunionnais, ça construit aussi. C’est une construction identitaire. Le regard de l’occident aussi est important car il m’amène un regard extérieur. Il m’amène aussi à prendre du recul et à affirmer qui je suis en tant qu’afro-descendante.

« Toute douleur physique est connectée à une émotion »

La danse racine c’est un condensé de ce que j’ai vécu en tant que femme, en tant que Réunionnaise, en tant que citoyenne du monde et c’est aussi une expression de ma sensibilité, car je suis aussi sensible à ce qui ne se voit pas.

Quelle relation tu entretiens avec tes ancêtres ?

Tu as certaines pratiques comme des pratiques malgaches où on te dit il faut avoir un autel chez toi. Tu peux y mettre des cigarettes, du rhum, une bougie, de l’eau, desfois à manger. Ca se fait aussi dans les pratiques afro-brésiliennes ou africaines de donner à manger aux ancêtres. Là, dans nos cultures occidentales cette pratique animiste n’est pas très présente.

J’ai grandi dans cette culture occidentale et chrétienne mais j’ai toujours été attirée par les pratiques animistes et aujourd’hui j’ai un autel chez moi. Quand c’est l’anniversaire de la mort d’un de mes défunts, je mets une bougie, des fleurs, des plantes, des photos. Mon grand père portait des lunettes alors il y a des lunettes sur mon autel parce que ça résonne avec moi. Mais après, chacun fait comme il veut. Pour moi, c’est important de transmettre ça à travers mes ateliers de danse racine.

Est-ce qu’à travers la danse tu parviens à libérer le corps de mémoires ?

Je n’ai pas la prétention non plus de libérer les mémoires. Certaines personnes font ce travail là. En tous cas, ça nous apprend à ressentir. Là où ça fait mal quand tu danses, c’est que tu as quelque chose à aller travailler là-dessus. Quand on sait que toute douleur physique est connectée à une émotion, un organe, une blessure, quelque chose qu’on a vécu dans l’enfance ou quoi.

Le fait d’écouter son corps c’est une manière de se guérir au final. La danse racine est un moyen parmi plein d’autres d’aller écouter son corps. D’écouter ce que les ancêtres ont à nous dire.

Pour moi, l’ancrage, c’est prendre ce qu’il y a à l’extérieur, l’intérioriser et voir comment je fonctionne avec. Dans la danse de l’ancrage, il y a cette histoire de connexion avec la musique, le battement du cœur, le rapport à la Terre.

Marie Dafreville

Le corps est hyper intelligent, il peut se guérir seul. Peut-être la danse va être l’élément déclencheur et, en continuant de pratiquer, tu vas libérer. Mais peut-être qu’il faudra aussi aller voir une personne spécialisée dans le soin. Pour moi, personnellement, c’est vrai que la danse racine a un côté thérapeutique.

Pour toi, c’est quoi l’ancrage ? Comment tu ressens que tu es bien ancrée, à travers la danse ou dans ta vie ?

Pour moi l’ancrage c’est le moment où tout est un. C’est la pleine présence et la pleine conscience, la pleine authenticité. Par exemple, pour moi, pendant des années, apprendre la danse c’était faire comme la prof. Et donc je m’auto-critiquais, je m’auto-censurais en disant « ouai mais le mouvement c’est pas comme ça ». Pour moi, l’ancrage c’est prendre ce qu’il y a à l’extérieur, l’intérioriser et voir comment je fonctionne avec. C’est aussi quand tout est fluide. C’est kissa milé. Je suis, I am.

Quand il y a cette notion d’ancrage, je suis Un, je suis le vent, je suis les arbres, je suis Jéromine, je suis Marie, je suis unité. Et dans la danse je suis le battement du djembé, le musicien, je suis unité. Pour moi, la danse de l’ancrage, c’est ça aussi, je suis unité entre le rythme de la percussion et mon rythme à moi. Il y a cette histoire de connexion avec la musique, le battement du cœur, le rapport à la Terre.

Ousa mi sort, ousa mi sava

Pour ça que la danse racine a deux sens, le rapport à soi et aux ancêtres. Qui je suis et d’où je viens. C’est cette recherche de qui je suis, ousa mi sort. L’expression en créole qui dit il faut connaitre ousa ou sorte pour connaitre ousa ou sava, c’est aussi en lien avec ça. I fo konet ou sa ou sorte pou konet kisa ou lé. C’est cette notion là pour moi l’ancrage et la danse racine. Le ‘qui je suis’ pour moi c’est l’expansion de ‘où je viens’. Si je devais mettre des mots sur ma danse c’est ça.

Parce qu’en plus, dans ma danse, je suis très douce, il y a beaucoup de flow. C’est ce que je suis. C’est pour ça que j’ai voulu l’appeler danse racine. J’utilise les rythmes traditionnels africains pour m’exprimer aussi librement. Y a des filles qui disent « ça fait penser à de l’afro-contemporain ce que tu fais ». Même si j’utilise les rythmes traditionnels africains, il y a pas que ça, il y a de la créativité. Parce que les danses traditionnelles africaines sont des danses rituelles, sont des danses sacrées où chaque rythme, mouvement est lié à des moments de la vie, mariage, excision, il y a la jeune femme, la danse de la jeune fille… Je suis dans la recherche de ça mais aussi avec mon unicité à moi, mon individualité à moi aussi. A travers cette recherche là je trouve l’authenticité.

On danse qui on est. Avec notre corps, notre souplesse, nos limites. Et c’est ok.

Je fais du voguing avec une amie, une personne non genrée. Quand elle danse avec son corps, sa féminité, desfois je danse à côté la même choré et moi on dirait c’est pas du tout la même choré. Pourtant je fais les même mouvements mais mon corps mon flow est différents. Elle elle a les poignets hyper flex ça part dans tous les sens. Moi j’aimerais avoir cette souplesse dans le bras et le poignet, je la travaille, mais peut-être je l’aurai jamais, mais c’est pas grave.

Vidéo : Maniel Nativel

Texte : Jéromine Santo-Gammaire

Marie Dafreville propose ses cours de danse racine tous les lundis de 19h à 20h30 au case de Stella à Saint-Leu.

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.

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