Le 6 du mois, jour du versement des aides sociales, la boutique Farfar ne désemplit pas. © Olivier Ceccaldi

Farfar : la boutique qui tient bon

À La Réunion, les boutiques de quartier disparaissent lentement, emportées par la concurrence des grandes surfaces et les transformations sociales. Pourtant, elles demeurent des lieux essentiels de lien, de mémoire et de transmission. À travers l’histoire de la boutique Farfar, reprise par Milo après l’AVC de son père, se dessine le portrait d’un commerce en résistance. Un lieu où l’on joue au babyfoot, où l’on discute, et où l’on tente de faire vivre un modèle en voie d’extinction.

Dans les hauteurs du 12e, au Tampon, les boutiques de quartier ferment les unes après les autres. Maxime a mis la clé sous la porte. Chez Henry, les murs tiennent mais le lieu se vide lentement de sa substance. Mais à quelques mètres de là, la boutique Farfar tente de tenir bon.

Derrière le comptoir, Milo, 29 ans, a repris les rênes presque malgré lui. « Je me suis toujours dit : jamais de la vie je vais bosser ici », confie-t-il. Mais en avril 2023, son père est victime d’un deuxième AVC. Le lendemain, Milo est là, à la caisse. « Le 2 avril, j’étais dedans. »

Une transmission imprévue

La boutique Farfar a été ouverte en 2003 par le père de Milo, jeune retraité à l’époque. « Je préparais déjà la suite, je voulais pas rester sans activité », explique-t-il. Il y investit son temps et son énergie, la transformant en lieu de vie autant que de vente. « Une boutique comme ça, il faut y aller tous les jours. Sinon, elle meurt. »

Le lien avec les clients y était fondamental. « La proximité, ça passe par la confiance. Et la confiance, ça se construit. » Quand la santé le force à s’arrêter, Milo reprend tout, presque sans transition : la boutique, mais aussi la coopérative que son père avait créée pour aider les petits commerçants.

Créée avec d’autres boutiques indépendantes, la coopérative permettait de mutualiser les commandes, d’importer en direct et de réduire les coûts. « On passait tous nos produits dans un conteneur, et on dispatchait ici. Résultat : 20 à 30 % d’économie », explique Milo.

Mais la mécanique s’enraye suite à des problèmes de trésorerie et les fournisseurs ont stoppé les commandes. Retour chez les grossistes et réduction des marges. Une difficulté supplémentaire pour un commerce déjà fragilisé par la concurrence des grandes surfaces.

Milo et son père, une histoire de transmission familiale. © Olivier Ceccaldi
Milo et son père, une histoire de transmission familiale. © Olivier Ceccaldi
le baby foot est devenu le point de rencontre de beaucoup d'habitants du quartier. © Olivier Ceccaldi
le baby foot est devenu le point de rencontre de beaucoup d’habitants du quartier. © Olivier Ceccaldi
L'alcool représenté 50% du chiffre d'affaire de la boutique (hors tabac). © Olivier Ceccaldi
L’alcool représenté 50% du chiffre d’affaire de la boutique (hors tabac). © Olivier Ceccaldi
Le 6 du mois, jour du versement des aides sociales, la boutique Farfar ne désemplit pas. © Olivier Ceccaldi
Le 6 du mois, jour du versement des aides sociales, la boutique Farfar ne désemplit pas. © Olivier Ceccaldi
Gilbert "Maloya" anime les journées à la boutique avec ses reprises de chansons locales. © Olivier Ceccaldi
Gilbert « Maloya » anime les journées à la boutique avec ses reprises de chansons locales. © Olivier Ceccaldi

Un babyfoot pour relancer le lien

Pour redonner vie à la boutique, Milo installe un babyfoot. « Je voyais les jeunes s’emmerder. Je me suis dit : au lieu qu’ils traînent, qu’ils jouent. » Le plateau de jeu devient un point de rencontre. Les plus jeunes s’affrontent, les anciens s’y essaient. « Même moi, ça m’a rapproché des clients. Le jour où j’ai recommencé à m’amuser, j’ai vu que la boutique pouvait redevenir un lieu vivant. » 

Depuis quelques mois, les anciens du club de baby foot du Tampon qui auparavant s’entrainaient au Golden, un bar du centre-ville sont également venu découvrir le lieu. « Au début, on était un peu sceptique mais finalement, quand on a commencé à jouer, on s’est aperçu qu’il y a toujours un vrai engouement autour de ce sport » explique un ancien joueur de niveau international. 

Chez Henry : la mémoire qui s’efface

À quelques pas, la boutique Chez Henry tient encore debout. Ouverte en 1955 par le père d’Harry, elle a traversé des décennies de transformations. « Papa dormait sur une caisse dans la boutik », raconte Harry. Sa mère, réunionnaise, tenait le comptoir dès l’aube. « Les gens passaient à 5 ou 6 heures du matin pour aller au champ. Ils prenaient un ti coup de rhum. »

Aujourd’hui, les clients se font rares. « Depuis les années 2000 et l’arrivée des grandes surfaces, les gens ont arrêté de venir. Pour dix centimes de différence, ils vont ailleurs. » La boutique vend encore un peu de pétrole et de peinture. « Heureusement qu’on n’a pas de loyer. On est chez nous. » Mais le constat est sans appel : « La boutik, je pense que c’est fini. Peut-être que notre fils reprendra le local pour le louer. »

Devanture de la boutique Chez Henry. © Olivier Ceccaldi
Devanture de la boutique Chez Henry. © Olivier Ceccaldi

Seuls les anciens continuent de s'arrêter dans la boutique Chez Henry. © Olivier Ceccaldi
Seuls les anciens continuent de s’arrêter dans la boutique Chez Henry. © Olivier Ceccaldi
Harry a repris la boutique après son père qui l'avait fondée en 1955. © Olivier Ceccaldi
Harry a repris la boutique après son père qui l’avait fondée en 1955. © Olivier Ceccaldi
A l'intérieur de la boutique Chez henry, les murs continuent de raconter une histoire ancienne. © Olivier Ceccaldi
A l’intérieur de la boutique Chez Henry, les murs continuent de raconter une histoire ancienne. © Olivier Ceccaldi
Harry montre une photo d'archive prise plus de dix ans auparavant. Si certains des anciens ont disparu, la devanture de la boutique n'a pas bougée. © Olivier Ceccaldi
Harry montre une photo d’archive prise plus de dix ans auparavant. Si certains des anciens ont disparu, la devanture de la boutique n’a pas bougé.
Madame Marie, qui aide son mari à tenir la boutique depuis 1992 avec ses deux fils, Olivier et Fabien. © Olivier Ceccaldi
Madame Marie, qui aide son mari à tenir la boutique depuis 1992, avec ses deux fils, Olivier et Fabien. © Olivier Ceccaldi

Maxime : la fermeture sans reprise

Encore plus près, la boutique de Maxime a déjà fermé. Une autre vitrine baissée, faute de relève. « Il a des enfants, dont un fils avec un doctorat, mais il n’a pas envie », constate Milo. Une situation qui lui donne d’autant plus le sentiment d’une responsabilité : « Si moi je reprends pas, personne le fait. Et la boutique ferme. »

Devanture de la boutique de Maxime, fermée. © Olivier Ceccaldi
Devanture de la boutique de Maxime, fermée. © Olivier Ceccaldi

Un modèle en danger

À La Réunion, la boutique est bien plus qu’un commerce. C’est un lieu de passage, de lien, de parole. « Il y en a, ils viennent pas pour acheter. Ils viennent parce qu’ils sont seuls. Pour discuter, pour jouer au baby », raconte Milo. À Farfar, on croise aussi bien des jeunes du quartier que « le petit papi qui vient acheter ses légumes ». Toutes les classes sociales s’y retrouvent. 

Et pourtant, ce modèle s’effondre. Faute de moyens, de relève, de reconnaissance. « Le nerf de la guerre, c’est l’offre. Si t’as pas les bons produits, les bons prix, et l’espace, tu ne tiens pas. » 

Un futur à inventer

Milo ne baisse pas les bras. Il rêve maintenant d’aménager l’étage de la boutique en salle de jeux, pour libérer l’espace au rez-de-chaussée, y installer un stand de fruits et légumes, et renouer avec une clientèle plus large. « Il y a un besoin ici. Et ça ferait du bien aussi au quartier.»

La boutique Farfar, c’est le pari qu’un lieu de vie peut encore résister dans un monde de codes-barres et de marges calculées. Un pari fragile, mais essentiel. « Les gens disent que les boutiks disparaissent. Mais ils n’y vont plus. Pourtant, elles sont là. Et elles attendent qu’on les regarde. »

Olivier Ceccaldi

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Olivier Ceccaldi

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