Après l’opération militaire d’Israël « Rising Lion » (« Lion dressé ») contre l’Iran dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 juin 2025, et celle de son allié américain « Midnight Hammer » (« Marteau de minuit »), toujours contre l’Iran, dans la nuit du samedi 21 au dimanche 22 juin 2025 — opérations de guerre (préventives) hors de tout cadre légal de la légitime défense (prévue par l’article 51 de la Charte des Nations unies) ou d’un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU —, nous pouvons nous demander si nous n’assistons pas à la fin d’un ordre mondial établi sur le « Rule of Law », sur « l’État de droit » au niveau international. Autrement dit, en se comportant ainsi, c’est-à-dire en violation des normes internationales en vigueur, Israël et les États-Unis ne sapent-ils pas définitivement le nouvel ordre international né après 1945 ?
Entre espoirs et déboires
Après le déchaînement de violence qui a marqué l’Europe dans la première moitié du XXe siècle, de 1914 à 1945 – époque de guerres, de destructions et de révolutions qui mit l’Europe à feu et à sang (Enzo Traverso, À feu et à sang, Stock, 2007) – et la capitulation de l’Allemagne et du Japon en 1945, les représentants de la Chine, des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union soviétique ont rédigé la Charte des Nations unies (adoptée à l’unanimité le 25 juin 1945 et signée le lendemain). Au cœur de cette Charte de 111 articles, qui va s’affirmer comme le fondement de l’ONU, figure le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde par des mesures collectives efficaces destinées à écarter toute menace, réprimer tout acte d’agression et obtenir le règlement des différends internationaux. Le monde s’est alors engagé dans la construction d’un modèle politique, économique et social fondé sur le respect des droits de l’homme, le développement des relations amicales entre les nations, sur les bases d’une paix juste et durable.
Quatre-vingts ans plus tard, que reste-t-il de cette paix ? Assistons-nous effectivement à l’effondrement du système international fondé qui a émergé au sortir de la Seconde Guerre mondiale ?
« Il y a 80 ans, sur les ruines laissées par la guerre, le monde a fait germer l’espoir », a déclaré António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, lors d’une cérémonie à l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, le mercredi 25 juin 2025. Depuis sa création, l’ONU s’efforce d’être, selon son expertise, « une force constructive dans un monde marqué par la destruction ».
Un lieu où les plus petits ont voix au chapitre aux côtés des puissants. Un espace où même les adversaires les plus farouches peuvent se parler. « La Charte nous a donné les moyens de changer des destins, de sauver des vies et d’apporter de l’espoir dans les endroits les plus éprouvés du monde », a insisté M. Guterres, établissant un lien direct entre la naissance de l’Organisation et la prévention d’une troisième guerre mondiale. « Nous avons assisté à des avancées en matière de démocratie, de respect des droits humains et du droit international, mais nous constatons malheureusement aujourd’hui une tendance troublante dans la direction opposée », a-t-il également noté (ONU Info, 26/06/2025).
Le rapport de force domine, le droit recule
Mais à l’heure où les conflits s’enchaînent (Gaza, Ukraine, Soudan…), le dialogue recule et les nationalismes resurgissent dans le monde, le moment n’est pas seulement aux hommages. « Nous commémorons cette date à une période douloureuse de la vie de notre Organisation », a souligné le président de l’Assemblée générale, Philemon Yang, du Cameroun. « Des nations influentes ont choisi la force, au détriment du droit international et des principes de la Charte », a-t-il déclaré avec tristesse. Dans la même ligne de l’espoir déçu, António Guterres, lors de son discours marquant les 80 ans de la signature de la Charte fondatrice des Nations unies, le jeudi 26 juin 2025, a lancé cette mise en garde : « Soyons clairs : aujourd’hui, nous assistons à des attaques contre les buts et principes de la Charte des Nations unies comme jamais auparavant. »
« La menace ou l’usage de la force contre des nations souveraines. La violation du droit international, y compris du droit international humanitaire et du droit international des droits humains. La prise pour cible de civils et d’infrastructures civiles. L’instrumentalisation de la nourriture et de l’eau. L’érosion des droits humains », a-t-il déclaré, avant de fustiger « un schéma bien trop familier : suivre la Charte quand cela nous arrange, l’ignorer quand elle dérange. La Charte des Nations unies n’est pas optionnelle. Ce n’est pas un menu à la carte. Nous ne pouvons pas et ne devons pas normaliser les violations de ses principes les plus fondamentaux », a-t-il encore plaidé (France 24/AFP, 26/06/2025).
Prenons un exemple de violation du droit international. L’inviolabilité du territoire figure dès l’article 2 de la Charte des Nations unies. Et pourtant, la Russie occupe une partie de la Géorgie et une partie de l’Ukraine. La Turquie occupe le nord de la Syrie et revendique les eaux adjacentes à son territoire. L’Inde a fait du Cachemire un État de l’Union indienne, et Pékin, qui s’est installé en mer de Chine méridionale, menace Taïwan. L’Azerbaïdjan grignote progressivement le territoire arménien. Israël flirte avec l’idée d’annexer au moins une partie de la Cisjordanie, etc., etc. (Bruno Tertrais, Sciences Humaines, avril 2025). Et voilà que Donald Trump, le président des États-Unis, revendique le canal de Panama et le Groenland !
Force est de constater que c’est la loi du plus fort qui domine, non tempérée comme autrefois par le droit international et la négociation multilatérale. Cette mise à l’écart du droit est dangereuse. C’est un dévoiement, dont nul ne sait où il mènera, mais certainement pas à l’instauration d’une paix durable. Il n’est pas sans intérêt de noter que la Charte des Nations unies a opéré un basculement dans l’histoire du droit international. Avant son adoption, comme l’a souligné le président de la Cour internationale de justice (CIJ), Yuji Iwasawa, les États jouissaient d’un quasi-monopole sur le sort de leurs ressortissants, les droits humains relevant essentiellement des affaires internes (ONU Info, 26/06/2025).
La paix par le droit
Je pense ici à cette Exhortation à la paix aux chefs des peuples belligérants, lancée par le pape Benoît XV (1854-1922), le 1er août 1917, en pleine guerre, trois mois avant la Révolution d’octobre : « Tout d’abord : le point fondamental doit être qu’à la force matérielle des armes soit substituée la force morale du droit ; d’où un juste accord de tous pour une diminution simultanée et réciproque des armements (…) ; puis, en substitution des armées, l’institution de l’arbitrage, avec sa haute fonction pacificatrice, selon les normes à concerter et des sanctions à déterminer contre l’État qui refuserait soit de soumettre les questions à l’arbitrage, soit d’en accepter les décisions. » Malgré le refus subi, Benoît XV reviendra à la charge trois ans plus tard, à la fin de la guerre, pour demander la création d’une société entre nations, une seule société fondée sur la justice et la charité.
La force juridique et morale du droit, ou le poison de la paix par la force, c’est-à-dire la paix fondée sur le droit commun des peuples, ou le chaos. La paix par le droit comme socle du vivre-ensemble des peuples, ou la revanche des passions. Certes, aujourd’hui, le vent souffle en sens contraire : le président des États-Unis, Donald Trump, ne jure que par la force, la force de l’Amérique. Les pays occidentaux ne savent plus sur quel pied danser. Ils soutiennent un jour un processus de négociation, et le lendemain approuvent sans condition le recours unilatéral à la force. La Chine et la Russie s’entendent avec les émergents pour déclarer obsolète cet ordre international né en 1945 sous influence américaine. Mais les propositions pour l’amender ou le remplacer ne se bousculent pas. Que faire ?
« Aujourd’hui plus que jamais, nous devons respecter et renouveler notre engagement envers le droit international — en paroles comme en actes », déclare António Guterres, invitant les États membres de l’ONU « à être à la hauteur ». Oui, tout en précisant que la paix ne se construit pas sur l’équilibre des forces avec droit de veto pour certains membres, mais sur la primauté du droit.
« Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir. »
— Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social
Reynolds MICHEL
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