RATTRAPÉ PAR LA LOI TAUBIRA ET LE FUTUR CHANTIER DU BARACHOIS
Ericka Bareigts, la maire de Saint-Denis, mène actuellement une procédure pour déboulonner la statue de Mahé de La Bourdonnais à l’occasion des cérémonies du 20 décembre prochain. Une commission scientifique doit se mobiliser pour organiser en même temps le procès de ce gouverneur des Mascareignes qui a organisé l’esclavage, considéré comme un crime contre l’humanité depuis la promulgation de la loi mémorielle Taubira en 2001.
Près de trois siècles après les faits, Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais est sous la menace d’être jugé à titre posthume en référence à la loi dite Taubira, du 21 mai 2001, qui reconnaît comme crime contre l’humanité les esclavages et les traites tels qu’ils ont été pratiqués à l’île Bourbon sous son commandement.
Le collectif Laproptaz Nout Péi, à l’initiative de ce procès symbolique, se trouve être sur la même longueur d’onde que la maire de Saint-Denis, Ericka Bareigts, quant au regard qu’il convient de porter sur la période de l’esclavage à La Réunion. A l’occasion de leur dernière rencontre, le 31 mai dernier, le projet de ce procès La Bourdonnais a résonné avec le projet de réaménagement du square éponyme à côté de la préfecture.
La municipalité dionysienne vient en effet de lancer un appel à maîtrise d’ouvrage qui prévoit le déboulonnage de la statue de l’ancien gouverneur général des Mascareignes. De là à faire le rapprochement avec le procès, il n’y a qu’un pas, et il est assumé. Si le dossier avance au rythme souhaité, procès et déboulonnage marqueront les prochaines festivités du 20 décembre, à l’occasion du 174ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage à La Réunion.
Déménagement au musée de Villèle ou à la préfecture
Ericka Bareigts, qui mène la procédure auprès de tous les acteurs concernés, s’attache actuellement à « ne vexer personne » : « ça m’intéresse de sortir cette statue de l’espace public en menant un travail pédagogique de connaissance partagée sans posture d’excès d’un côté comme de l’autre. Peut-être serons nous la première ville à sortir quelque chose comme ça » !
Cette statue est classée sur la liste des monuments historiques mais ce seul obstacle réglementaire n’est pas insurmontable et la municipalité proposera de l’ériger dans un endroit plus approprié, « un lieu historique » comme un musée — le musée historique « de l’habitation et de l’esclavage » de Villèle est le plus fréquemment cité — ou dans les jardins privés de la préfecture.
« Pour qu’un peuple soit résilient, il faut qu’il connaisse son histoire. Il faut lui donner la considération qu’il mérite pour qu’il puisse passer à autre chose ».
Ericka Bareigts
« Nous allons déplacer cette statue et nous allons le faire bien, insiste la maire de Saint-Denis. C’est un beau combat à mener. C’est le combat de la considération. Pour qu’un peuple soit résilient, il faut qu’il connaisse son histoire. Il faut lui donner la considération qu’il mérite pour qu’il puisse passer à autre chose ».
Une commission scientifique est en cours de constitution, une médiation culturelle sera menée dans les quartiers dionysiens à partir du mois de septembre pour que cette opération de ré-appropriation de l’histoire puisse se mener avec sérénité. Dans cette sérénité se situe en effet tout l’enjeu du projet de déboulonnage.
Une statue contestée, drapée, badigeonnée…
Au fil des ans la statue de La Bourdonnais est devenue une cible récurrente, tant elle est représentative d’une domination inhumaine. En 2011, à l’occasion du bicentenaire de la révolte des esclaves de Saint-Leu, le RSKP (Réyoné Soubat Kont Profitèr) l’avait masquée d’un drap noir.
Elle a été depuis badigeonnée de peinture blanche ou rose et affublée d’écriteaux « Je suis raciste », « je suis esclavagiste ». Ce sont d’ailleurs les premières photos qui apparaissent lorsqu’on tape « statue de La Bourdonnais » sur Google.
Suite à l’assassinat de l’Afro-américain George Floyd en 2000 par un policier blanc des statues attribuées à des « suprémacistes blancs » ont été déboulonnées, dans le monde, en Angleterre aux Antilles… Pas à La Réunion mais le débat avait été relancé dans ce même élan.
Le public de Sakifo condamne La Bourdonnais
« Nous aussi, nous pourrions réunir 200 personnes et déboulonner La Bourdonnais mais nous ne voulons pas passer pour des casseurs, explique Mathieu Laude-Persée, cofondateur du Komité Réyoné Panafrikin, initiateur du collectif Laproptaz Nout Péi. Nous ne voulons pas faire comme nos frères des Antilles qui viennent de subir des perquisitions (1). Ne donnons pas le bâton pour nous faire battre, il est préférable que cet enlèvement se fasse officiellement avec l’argent de nos impôts ».
Il imagine un procès auquel prendrait part des historiens, des universitaires, des magistrats, mais aussi, et surtout, de simple citoyen comme dans un juré d’assises. Ce serait, selon lui, l’occasion pour la France de sortir d’un éternel déni : « malgré de beaux discours, on n’arrive jamais à désigner ceux qui ont organisé l’esclavage ».
La question est en tout cas popularisée régulièrement par le chanteur Davy Sicard. Il lui a consacré une chanson « Mahé » et il interroge régulièrement le public sur l’opportunité de l’honorer avec sa statue dans l’espace public. Il est d’ailleurs bien accompagné (aux percussions et dans le discours) par Frédéric Maillot, également engagé dans le RSKP et vice-président de la Région. Samedi dernier, au Sakifo, des milliers de spectateurs ont levé la main. (Visionner la vidéo). Soit pour déboulonner La Bourdonnais. Soit pour, au moins, lui apposer une plaque rappelant ses crimes… Mais personne n’a levé la main pour laisser la statue en l’état.
Franck Cellier
(1) Des militants martiniquais ont été interpellés le 3 mai dernier dans le cadre de l’information judiciaire ouverte après la destruction de quatre statues en 2020 (statues de Joséphine de Beauharnais et de Pierre Belain d’Esnambuc et deux statues de Victor Schoelcher). (Source : France-Antilles)
Yvrin Rosalie : « Laproptaz, i vé dir balèy dovan nout port »
Sale coïncidence. Nous avions rendez-vous ce mercredi 8 juin avec Yvrin Rosalie, président du Komité Eli, aux abords de la stèle qui honore la mémoire des révoltés de 1811, qui s’étaient soulevés contre leurs propriétaires esclavagistes. Nous devions évoquer le projet de « déboulonner » la statue de Mahé de la Bourdonnais à Saint-Denis. Or, ce matin-là, c’est l’une des têtes des révolté de la stèle de Saint-Leu qui avait été dérobée. Profanation, bêtise, vandalisme… Le saura-t-on un jour ? Toujours est-il que la tête a été retrouvée le jour-même au domicile du voleur.
Le président du Komité Eli n’accuse personne mais il tient le vandalisme en horreur d’autant plus que la stèle saint-leusienne a déjà été abimée par le passé. Il ne se voit donc pas en casseur de monument à propos de la statue dionysienne de Mahé de La Bourdonnais. Il travaille à son déboulonnage, mais proprement. Aussi se retrouve-t-il parfaitement dans l’esprit du collectif Laproptaz Nout Péi qui regroupe une quarantaine de mouvements., « Laproptaz, i vé dir baley dovan nout port », dit-il dans la vidéo jointe : connaître parfaitement son histoire sans laisser de poussière sous le tapis.