Arpentisaz, une expo-chantier pour mettre en l’air les savoir-faire locaux

Alors que la France Design Week a débuté depuis le 12 septembre, l’artiste Amanda Goicovic dévoilait une expo-chantier dans le bâtiment culturel Le Sud. Une sortie de résidence qui lui permet de faire découvrir son univers, les savoir-faire locaux et mettre en l’air l’émergence de la filière textile sur l’île de La Réunion. 

Arpenter, tisser, relier

Arpentisaz, contraction d’arpenter et de tisser, c’est l’acte de « parcourir le territoire en tirant les fils d’une filière (textile) qui émerge petit à petit. » Voici les mots d’Amanda Goicovic que l’on peut lire au début de son exposition-chantier dévoilée lors des journées du patrimoine au centre culturel Le Sud, à Saint-Pierre. Le titre de l’exposition dans laquelle l’artiste restitue ses six mois de résidence, exprime pleinement son engagement et sa réflexion. 

Ancienne chercheuse, Amanda Goicovic s’est toujours questionnée sur la place donnée à l’artisanat dans l’art et notamment l’art contemporain. Finalement, les difficultés de financement l’ont poussée à privilégier sa position d’artiste et de créatrice sans perdre de vue la finalité : « la dimension artisanale dans les œuvres d’art peut-elle être considérée comme un geste politique? »  Avec l’expo-chantier, l’artiste exprime son envie de sortir des postures classiques, du rapport artiste-spectateur. Alors elle fait intervenir ceux qui viennent regarder, elle les invite à toucher, à sentir et même à faire. 

Atelier confection d'objet. © Amanda Goicovic
Atelier confection d’objet. © Amanda Goicovic
Photos et exposition de travaux réalisés par Runfabrik. © Amanda Goicovic
Atelier tressage. © Amanda Goicovic

Expo-chantier, l’art comme pratique partagée

« C’est un concept où j’essaye de faire avec les gens et j’intègre leur travail dans l’exposition. L’idée est de dire que les territoires fabriquent leur avenir » explique l’artiste. Par exemple, lors des journées du patrimoine, elle avait organisé plusieurs ateliers pratiques autour de différents thèmes comme la fabrique d’objets à partir de matériaux naturels tels que le bambou, la fibre de bananier; une initiation au tissage de la laine de la plaine des Cafres. Des créations venues tour à tour nourrir l’exposition de départ. 

Les participants aux ateliers peuvent récupérer ici des fibres de bananiers et les retravailler.
Les participants aux ateliers peuvent récupérer ici des fibres de bananiers.
Chaque nouvelle création vient s'ajouter là et fait partie intégrante de l'expo-chantier.
Chaque nouvelle création vient s’ajouter là et fait partie intégrante de l’expo-chantier.
Travaux réalisés lors de l'atelier fabrication d'objets à partir de matériau locaux.
Travaux réalisés lors de l’atelier fabrication d’objets à partir de matériau locaux.
Travaux réalisés lors de l'atelier d'initiation au tissage avec de la laine feutrée.
Travaux réalisés lors de l’atelier d’initiation au tissage avec de la laine feutrée.

Une filière textile en devenir

Durant les six derniers mois, Amanda Goicovic est allé à la rencontre de nombreux acteurs de la filière textile sur l’île de La Réunion. Pour la laine, elle s’est rapprochée de l’association Audace; du tiers-lieu Runfabrik, chantier de réinsertion et manufacture de proximité, et de l’association de l’Art et du Choka pour voir comment les initiatives locales réinventent l’utilisation des matériaux locaux. Aux côtés des pièces d’Amanda, les artisanes de l’île occupent une place centrale : leurs créations, individuelles ou collectives, dialoguent directement avec son travail.

On peut par exemple retrouver des œuvres de la brodeuse Colette Turpin, basée à Cilaos et meilleure ouvrière de France, de Philomène Payet, artisane du choka, Clotilde Chevreau, Zoé Desmets ou encore Geneviève Kazanove. De nombreuses artisanes femmes qui montrent par leurs créations comment l’artisanat peut occuper une place dans le quotidien. 

Un matrimoine à préserver face à l’homogénéisation culturelle

Pour l’artiste, ces savoir-faire artisanaux – en particulier dans le textile – constituent un véritable matrimoine : des gestes façonnés au fil des générations et transmis de femme en femme. Dans sa réflexion politique autour de l’artisanat, elle cherche également faire émerger l’idée d’une société nouvelle, différente qui passerait par un retour au fait main : « c’est une valorisation de pratiques populaires, une nouvelle manière d’imaginer les échanges, de sortir d’une économie actuelle trop normée et adaptée en rapport à la métropole » insiste-t-elle.

La dimension de lutte contre une forme de néo-colonialisme est complètement présente dans l’ensemble de son travail artistique et de recherche. On se rapproche de la réflexion sur l’appropriation culturelle dans le milieu de la mode. Comment faire en sorte de développer les pratiques locales sans que celles-ci ne deviennent exploitées. En 2022, au Mexique, le gouvernement avait par exemple accusé de plagiat de nombreuses marques internationales qui utilisaient les motifs et le savoir-faire des artisanes locales. 

Travaux réalisés par Amanda Goicovic.

Transmettre aux nouvelles générations

Mais pour que ces pratiques ne soient pas spoliées, il est nécessaire de les transmettre au plus grand nombre et notamment aux nouvelles générations qui pourront les faire perdurer. C’est tout un pan du travail de l’artiste qui durant sa résidence a travaillé avec les écoles de Jean Albany et les Bougainvilliers. Cette approche englobe plusieurs enjeux, « une sensibilisation à la mémoire des savoir-faire ainsi qu’une valorisation des pratiques manuelles dans un système scolaire qui tend à être de plus en plus théorique » explique l’artiste.

Imaginer un avenir solidaire et autonome

On peut d’ailleurs voir une affiche qui interroge « et si les écoles devenaient des espaces de réactivation des savoir-faire, pour soutenir une économie locale, sociale et populaire, à partir des métiers de l’artisanat, de ses matières et matériaux? » Au-delà de La Réunion, Arpentisaz interroge notre monde globalisé : comment préserver les spécificités locales quand le capitalisme tend à uniformiser pratiques et cultures ? Pour Amanda Goicovic, l’artisanat n’est pas un héritage figé mais une manière d’imaginer un avenir plus autonome et plus solidaire.

Texte et photos : Olivier Ceccaldi

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A propos de l'auteur

Olivier Ceccaldi

Reporter citoyen, Olivier a tout d'abord privilégié la photographie comme support pour informer notamment sur les réalités des personnes exilées face à la politique migratoire de l'Union européenne. Installé sur l'île de La Réunion depuis 2024, il travaille principalement sur les questions de société.

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